Yves Jégo : « Il faut reconstruire une France des usines et des ateliers »

Yves Jégo : « Il faut reconstruire une France des usines et des ateliers »

Ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Yves Jégo défend depuis de nombreuses années le Made in France, aux côtés d’Arnaud Montebourg notamment. À l’heure où les mots de « souveraineté économique » et « relocalisation » ne sont plus tabous, il défend plus que jamais son projet. Et veut lancer un Grenelle de l’économie productive. Interview. 
Public Sénat

Par Jérôme Rabier

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Publié le

Vous prônez une nécessaire réindustrialisation de la France. Comment cela pourrait-il se faire et dans quels domaines ? 

On a vu avec la crise que bien des domaines étaient défaillants. Le textile par exemple. Qui eut cru que cette filière nous serait si indispensable. Mais aussi les médicaments, avec la chimie. On peut aussi parler de l’électronique nécessaire pour fabriquer les respirateurs. L’idée de réindustrialisation est globale, pas seulement limitée à certains secteurs.

On paye aujourd’hui très chère cette vision qui a consisté à considérer pendant des années qu’on pouvait avoir des ingénieurs mais que les usines étaient ailleurs. L’économie du 21ème siècle sera une économie d’écosystèmes de territoires qui montrera que oui il faut les ingénieurs, les designers, mais que si vous n’avez pas les usines, les ouvriers, la production, vous êtes boiteux.

Cette ambition de réindustrialisation n’est donc pas limitée à certains secteurs, mais nécessite de produire ce dont nous avons besoin.

 

Il faudrait par exemple reproduire en France, y compris pour du textile qui est fabriqué à très bas coûts en Asie ?

Les filières ne sont pas mono-produit. Si vous créez une filière textile elle peut fabriquer des masques mais aussi des jeans, des blouses, et des produits du quotidien. On ne peut pas tronçonner des savoir-faire et si on veut être en phase avec le deuxième combat, à côté du combat sanitaire, qui est le combat pour la planète et l’environnement, cela a quel sens d’acheter un jean qui a fait 20 000 km avant que vous l’achetiez. Je crois que la relocalisation plaide pour la souveraineté industrielle, c’est-à-dire la défense de nos besoins, mais aussi pour la préservation de l’environnement et le made in France est le premier des circuits courts. C’est aussi une logique de combat environnemental, bas carbone.

 

Mais cette crise sanitaire aura aussi des conséquences sociales fortes. Comment des Français qui tomberaient dans la pauvreté pourraient s’équiper en produits Made in France, encore sensiblement plus chers ?

Quand on vend le maillot de l’équipe de France 80 € et qu’il a été fabriqué 3 euros en Thaïlande, je ne suis pas sûr que le bas coût de la production lointaine aille dans la poche du consommateur. Il ne faut pas oublier que la réindustrialisation ce sont des emplois. Car derrière les usines il y a des emplois. C’est un outil de lutte contre le chômage.

Et un produit français n’est pas forcément plus cher qu’un produit low cost car souvent les marges sont plus importantes. Moi je ne suis pas partisan de fermer nos frontières, je ne suis pas un nationaliste qui pense qu’on peut vivre en autarcie. Je pense simplement qu’il faut rééquilibrer un peu et qu’on a trop perdu en matière de production. Et que désormais il y a une partie des consommateurs qui sont prêts, pour acheter des produits de qualité, à faire cet effort de prix.

 

Vous proposez pour cela de lancer un Grenelle de l’économie productive ?

L’idée du Grenelle c’est de mettre tout le monde autour de la table pour cette ambition de réindustrialiser la France.  Avec à la fois des mesures conjoncturelles de court terme pour relancer l’économie. Moi je propose par exemple que pendant 18 mois on lève le seuil des marchés publics à 500 000 euros contre 40 000 aujourd’hui. Pour permettre aux entreprises françaises d’accéder à ces marchés plus facilement.

Et il faudra aussi des mesures structurelles, avec notamment une réflexion sur la fiscalité. Moi je propose de supprimer totalement la fiscalité immobilière sur les locaux de production. Qu’une usine paye des impôts fonciers me paraît contradictoire avec la logique qu’elle crée des emplois. L’idée du Grenelle c’est de dire il faut un plan à court terme, un plan à moyen terme, un plan à long terme. Et il faut une ambition nationale et marquer les esprits.

 

Vous défendez depuis de longues années cette idée, avec la promotion du Made in France. Et vous avez notamment travaillé avec Arnaud Montebourg, qui n’est pourtant pas issu du même camp politique. Une nécessité ?

Il y a 10 ans j’ai remis un rapport à Nicolas Sarkozy sur la mondialisation anonyme, sur l’idée de redonner une origine au produit.  J’ai créé la certification Origine France Garantie.  On a organisé les Assises du produire en France avec Arnaud Montebourg qui est toujours en phase avec ce combat. Oui on pense depuis longtemps qu’on a perdu trop d’usines. On a oublié qu’on était un pays de production et on l’a payé très cher en matière sociale.  Et on le paye très cher avec le Covid 19 où l’on se rend compte qu’on n’est plus en capacité de réorganiser notre industrie pour produire ce dont on a réellement besoin.

Le made in France n’est pas un combat nouveau me concernant. C’est une conviction forte que l’aménagement du territoire, que la lutte pour décarboner la planète, que l’emploi, que la modernité d’un pays, passent par sa capacité à conserver de la capacité productive. L’économie doit être fondée sur les outils de production et se limiter au reste ne suffira plus.

 

Vous aviez pour cela transcendé les clivages politiques avec Arnaud Montebourg. Faut-il désormais aller jusqu’à l’union nationale autour de ce sujet ?

On avait inventé avant que ce soit à la mode le « et en même temps ». (Rires).  Je pense qu’il faut une unité nationale derrière la production. Derrière notre capacité à garder notre souveraineté et notamment industrielle. Mais l’union nationale au sens politique est un leurre. Nous ne sommes pas dans une guerre qui met en danger la liberté et le territoire national. Et qu’aujourd’hui l’union politique nationale laisserait la classe politique républicaine et modérée contre les extrêmes. Donc politiquement ça n’a pas de sens.

Par contre essayer de bâtir une unité, du consensus, autour de grands projets comme par exemple le projet de renouveau industriel, cela peut se faire. On peut se retrouver sur certains sujets. Et quand je lis les discours, y compris des extrêmes, sur la France des usines, on peut trouver un consensus.

 

Emmanuel Macron est-il selon vous, la bonne personne pour défendre cette idée de souveraineté productive ?

Je pense que c’est sous son quinquennat, pour la première fois depuis longtemps, qu’on a construit plus d’usines qu’on en a fermées. Deuxièmement c’est lui qui avec des actions, comme l’accueil d’investisseurs étrangers à Versailles, qui a essayé d’incarner l’idée que dans un monde ouvert il fallait plutôt attirer des usines, y compris étrangères, plutôt que de vouloir délocaliser. Et enfin le 18 janvier dernier il a organisé un évènement symbolique mais spectaculaire d’exposition du Made in France à l’Élysée. Donc il a cette idée en lui qu’il faut retrouver une forme de souveraineté productive. À l’échelon du pays et aussi de l’Europe.

Je me retrouve assez dans ses propos. Moi je suis un libéral, qui est pour que les produits circulent. Mais pour qu’il y ait aussi l’idée que la responsabilité du consommateur doit lui faire arbitrer. Avec sa carte bleue c’est lui qui choisit in fine.

Je crois que la souveraineté industrielle n’est pas antinomique avec la libre circulation des marchandises. Simplement il faut faire du consommateur celui qui est capable de faire un choix responsable. Et si un consommateur veut acheter un maillot de foot chinois à 6 euros c’est bien qu’il puisse le faire. Mais ce qui n’est pas bien c’est qu’on lui vende 80 euros. C’est cela le problème.

 

Pour enclencher ce virage, faut-il accepter de laisser filer la dette comme le réclament certains ?

Cela ne coûte pas forcément beaucoup d’argent. Lever des contraintes des marchés publics sur 18 mois ça ne coûte pas d’argent. Si on dit qu’il faut piloter à l’échelon régional les politiques de réindustrialisation. Et mettre à côté des préfets de région et des présidents de régions, un commissaire à l’industrialisation, et que ce triumvirat peut faire avancer les choses en leur déléguant les pouvoirs nationaux car cela sera plus efficace. Je pense qu’il y a des mesures conjoncturelles qui ne sont pas forcément extrêmement coûteuses. Ce sont d’abord des mesures pragmatiques. Et faire confiance au tissu de 5 000 entreprises de taille intermédiaires (ETI), qui sont des entreprises qui peuvent grossir vite. C’est sur elles qu’il faut compter pour relancer un processus productif et créer de la richesse. Autant il va falloir remettre de l’argent public sur les hôpitaux, sur la santé.  Autant sur l’économie c’est davantage en s’organisant différemment et en libérant les contraintes qu’on peut y arriver.

 

Si tous les pays font le même choix, la France ne risque-t-elle pas de perdre aussi des usines comme Toyota à Valenciennes ou de devoir fermer des usines automobiles à l’étranger ?

Je ne suis pas choqué d’une usine Renault en Chine si elle vend sur le marché chinois. La délocalisation a du sens si le marché est délocalisé. Cela n’a en revanche pas de sens sur le maillot de l’équipe de France de football puisque des entreprises françaises peuvent fabriquer ce maillot et le vendre à un prix similaire en supprimant les marges intermédiaires et le transport.

 

Cela pose la question du coût du travail et du niveau des contributions sociales dans notre pays ?

Je pense que c’est à l’échelon de l’Europe qu’il faut agir, avec une taille qui compte.  Il faut bâtir une sorte de Schengen économique et que les produits venus de loin doivent participer à notre protection sociale et environnementale. Cela s’appelle la TVA sociale, la TVA kilométrique, la taxe carbone, au fond peu importe, c’est la même idée. De dire qu’un produit qui vient de très loin doit participer à rééquilibrer les choses. Oui c’est un discours protectionniste qu’il faut avoir à l’échelon de l’Europe. C’est ce que font les grands ensembles économiques.  Regardez le bras de fer entre Donald Trump et le président chinois autour de ces questions. Et si l’Europe a du sens, c’est d’être un géant économique capable de négocier avec ses partenaires une forme d’équilibre. 

 

Cette crise est-elle un tournant ou un révélateur ?

C’est un révélateur qui peut devenir un tournant. Si on sait utiliser le fait que l’‘opinion publique est désormais convaincue. Il y a 10 ans le combat pour le Made in France apparaissait comme anecdotique. Il est depuis monté en puissance, et après cette crise il va devenir une logique tout à fait évidente. Une fois que l’opinion est prête c’est maintenant aux politiques d’engager les choses. C’est pour cela que je propose cette idée du Grenelle car c’est une méthode pour une sortie de crise avec une déclinaison de mesures.

Il faut désormais reconstruire une France des usines et des ateliers, tout ce que l’on a oublié, ce qu’on a perdu. C’est un grand projet national. Produire en France c’est un projet de société.

 

Vous seriez donc prêt à rejoindre un gouvernement qui porterait cette politique ?

(Rires) Je suis prêt à servir mon pays, oui.

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