SIPA_01192365_000024

François Bayrou lance les consultations sur la proportionnelle : pourquoi cela va être compliqué

Défenseur de ce mode de scrutin de longue date, le premier ministre consulte mercredi le RN, favorable aussi à la proportionnelle. Manière d’envoyer un gage au parti qui le menace encore d’une censure. La gauche est pour, mais ses alliés LR sont clairement opposés. A moins que le retour du cumul des mandats entre aussi dans les discussions.
François Vignal

Temps de lecture :

12 min

Publié le

Mis à jour le

Et revoilà la proportionnelle. La question du mode de scrutin pour les législatives émaille, à intervalles plus ou moins réguliers, la vie politique du pays depuis quelques années. Déjà, sous François Hollande, la promesse d’une dose de proportionnelle avait été enterrée, avant qu’elle ne refasse surface avec Emmanuel Macron. Mais depuis 2017, rien, hormis des déclarations d’intention. En 2018, le chef de l’Etat se prononçait pour l’introduction d’une dose de 15 % de proportionnelle à l’Assemblée, puis 20 % en 2019. Mais sa réforme institutionnelle, engluée dans des négociations à rallonge avec le Sénat, a volé en éclat avec l’affaire Benalla.

Aujourd’hui, c’est à la faveur de la présence à Matignon de François Bayrou que l’idée remonte en haut de la pile. Changement de taille : le premier ministre est intimement convaincu de la nécessité de passer à ce mode de scrutin déjà pratiqué largement en Europe. Le Béarnais en est un militant de longue date. Lors de son discours de politique générale, François Bayrou se prononce sans surprise à nouveau en faveur du « principe proportionnel pour la représentation du peuple », appelant « chacun » à exprimer « sa position » dans « une discussion à avoir sur ses modalités ».

Le RN, premier reçu par François Bayrou

On y est. Le premier ministre engage cette semaine des consultations sur la proportionnelle. Il ouvrira le bal mercredi avec le Rassemblement national, autre formation défenseuse de ce mode de scrutin, en recevant Marine Le Pen, à la tête du groupe des députés RN, et le président du parti, Jordan Bardella. Il enchaîne jeudi 1er mai, qui ne sera pas chômé, avec son prédécesseur, Gabriel Attal, président du groupe EPR, accompagné du député Renaissance, Pierre Cazeneuve, qui a planché sur le sujet. Les autres formations suivront. A gauche, le PS devrait être reçu la semaine prochaine.

Le RN réclame la proportionnelle, mais avec l’établissement d’une prime majoritaire pour la liste arrivée en tête. Autrement dit, la liste arrivée première bénéfice d’un bonus, lui assurant la majorité. Ça tombe bien pour le RN, qui arrive en tête de nombreux scrutins au plan national. Mettre sur la table, maintenant, le sujet, permet aussi à François Bayrou d’envoyer un gage au parti d’extrême droite, qui le menace toujours de censure. Le premier ministre pourrait ainsi s’acheter une assurance vie grâce à la proportionnelle, ou du moins gagner du temps.

« Proportionnelle intégrale ? Partielle ? Départementale ? Régionale ? Est-ce qu’il y a une prime majoritaire ? »

Mais dans ce paysage politique où rien n’est simple, l’équation n’est-elle pas insoluble pour François Bayrou ? Contenter l’opposition qui le menace, risque de fragiliser son déjà très fragile socle commun, profondément divisé sur le sujet. Et pour ne rien simplifier, si deux camps de dessinent, entre les pro et les anti, le sujet divise même chez les partisans de la proportionnelle. Car l’enjeu, c’est le type de proportionnelle. Et il y en a un paquet.

« Evidemment, les consultations sont très importantes. Car quand on dit proportionnelle, on ne dit rien. On ne dit pas le mécanisme. Est-ce la proportionnelle intégrale ? Partielle ? Départementale ? Régionale ? Est-ce qu’il y a une prime majoritaire ? Il y a beaucoup de proportionnelle », relève la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, interrogée lundi à l’issue du Conseil des ministres. « Quelle proportionnelle ? Il existe autant de combinaisons possibles que pour tomber sur les bons chiffres du loto », raillait début janvier au Sénat Pierre-Jean Verzelen, sénateur de l’Aisne (Les indépendants), lors de l’examen d’une proposition de résolution sur la proportionnelle, déposée par l’écologiste Mélanie Vogel.

Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau opposés à la proportionnelle

Chez les LR, c’est un gros « non » qui se profile. Avec en toile de fond, la campagne pour la présidence du parti, qui complique la donne. Le chef de file des députés LR, Laurent Wauquiez, saute sur toutes les occasions pour pousser son rival, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, à la faute. Et la proportionnelle en est une. « Je suis contre », a-t-il soutenu ce week-end sur BFM TV, demandant « que Bruno Retailleau, dont c’est la compétence, s’oppose à cette volonté de François Bayrou et impose au premier ministre l’abandon » de la réforme du mode de scrutin…

S’il ne cherche pas à « rétorquer » à Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau assure qu’il est tout aussi défavorable à la proportionnelle. « Vouloir la proportionnelle, c’est prendre le risque d’enkyster de façon définitive l’instabilité parlementaire et gouvernementale en France », a-t-il affirmé dimanche sur BFM TV, affirmant que « la proportionnelle est une mauvaise chose ».

« Vous ne pensez pas que les Français n’ont pas des préoccupations plus importantes que la proportionnelle, dans le merdier dans lequel on est ? »

Dans le parti présidé par Gabriel Attal, les choses devraient être plus ouvertes. Mais le sujet fait débat. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, défend depuis plusieurs années l’introduction d’une dose de proportionnelle. Mais en avril 2024, l’ancien président du groupe Renaissance, Sylvain Maillard, affirmait que son groupe était « majoritairement contre la proportionnelle ».

Aujourd’hui, les parlementaires du camp présidentiel sont toujours partagés. Et certains sont même farouchement opposés. « La proportionnelle, c’est instituer le régime de l’impuissance. C’est fait pour que les socialistes puissent se séparer de LFI. C’est le régime des partis. Donc je n’y suis pas favorable. C’est le seul moment où je suis d’accord avec Wauquiez ! Et aujourd’hui, on a le résultat de ce que donnerait la proportionnelle à l’Assemblée. On voit ce que ça donne… » dénonce, sous couvert d’anonymat, un parlementaire Renaissance proche du Président. « Quand vous êtes tête de liste, c’est bien, vous ne foutez rien et vous êtes réélu », raille encore ce parlementaire, qui ajoute : « Vous ne pensez pas que les Français n’ont pas des préoccupations plus importantes que la proportionnelle, dans le merdier dans lequel on est ? C’est un divertissement ».

Hervé Marseille « favorable à une proportionnelle départementale »

Au centre, l’UDI soutiendra la réforme. « J’ai toujours été proportionnaliste », soutient le sénateur et président du parti, Hervé Marseille. Le président du groupe Union centriste du Sénat est « favorable à une proportionnelle départementale, du type de celle adoptée en 1986 à l’instigation de François Mitterrand, avec tous les départements à la proportionnelle ». Le centriste note au passage que « quand vous avez des extrêmes puissants, le scrutin majoritaire devient périlleux ».

Mais « comme il s’agit d’ouverture de discussions », Hervé Marseille met aussi sur la table « la proportionnelle, associée au retour au cumul des mandats. On fait souvent le grief à la proportionnelle de faire élire des gens qui n’ont pas de rapport avec le terrain. Donc le fait de cumuler permet d’avoir des parlementaires qui peuvent garder des mandats exécutifs locaux, pour recréer un lien entre terrain et parlementaires ». Le retour du non-cumul, élément d’un possible deal avec les LR sur une dose de proportionnelle ? Le président du Sénat, Gérard Larcher, n’est pas hostile à évoquer le sujet, dès lors qu’on parle du cumul des mandats simultanément. François Bayou lui-même a ouvert la porte lors de son discours de politique générale, affirmant que la réflexion sur le mode de scrutin « nous obligera à reposer en même temps la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale ».

Si le Modem sera évidemment favorable, c’est une autre histoire avec Horizons. « On voit que l’Assemblée correspond à peu près à ce à quoi pourrait ressembler une proportionnelle, et on observe les effets sans majorité, avec une difficulté à faire passer des textes », pointe dans Le Monde Paul Christophe, président du groupe Horizons, opposé au changement de mode de scrutin.

Outre le RN et une partie de sa majorité, c’est à gauche que le premier ministre devra regarder. Elle est dans son ensemble d’accord sur le principe. Mais tous les partis ne sont pas totalement alignés.

LFI pour une proportionnelle « nationale » mais sans prime majoritaire

La France Insoumise est « favorable à un mode de scrutin proportionnel, un mode de scrutin vraiment proportionnel. Si vous faites un mode de scrutin avec une prime majoritaire de 50 %, comme je l’entends de certaines formations politiques, ce n’est plus vraiment proportionnelle », affirme Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, invité de la matinale de Public Sénat lundi matin.

« Nous avons une suggestion : ça pourrait être un mode de scrutin national, dans lequel ensuite il y a des sections par département, pour les candidats, comme dans le mode de scrutin des régionale, où on vote à l’échelle de la région et ensuite, il y a des sections départementales avec des candidats pour garder une représentation des territoires », détaille le député LFI. Regardez :

« Il faut maintenant qu’on passe un cap dans le travail parlementaire » pour l’écologiste Mélanie Vogel

Pour la sénatrice Les Ecologistes, Mélanie Vogel, fervente défenseuse de la proportionnelle, c’est le moment d’y aller. « Il faut maintenant qu’on passe un cap dans le travail parlementaire. On a passé un cap dans le débat politique. On a acté que la nécessité de changer le mode de scrutin était réel », avance la sénatrice représentant les Français établis hors de France, dont la proposition de résolution, un texte non contraignant, a été adoptée par le Sénat d’une courte majorité. Pour l’élue, passer à la proportionnelle permettrait de développer « une culture politique » du compromis, souvent présente ailleurs en Europe.

Pour l’écologiste, un mode de scrutin doit « respecter trois principes » : « Représenter le plus fidèlement possible les positions politiques de la société, assurer une représentation territoriale du Parlement et être intelligible et compréhensible par les électeurs et électrice ». C’est pourquoi la meilleure solution serait pour Mélanie Vogel « des listes régionales, qui permettent d’avoir des listes assez importantes en nombre de sièges, pour avoir un réel effet proportionnel », tout en gardant la dimension territoriale. Mais elle écarte la solution départementale, « très mauvaise pour la représentativité politique », tout comme une solution mixte, qui garderait une part de scrutin uninominal.

Le socialiste Eric Kerrouche ne veut pas d’une réforme « cosmétique »

Du côté du PS, il faudra encore attendre pour avoir une position commune. Car les socialistes ne sont pas tous d’accord sur le sujet et sont en pleine période de congrès interne, ce qui ne facilite pas les choses… « On est en calage de position », dit le sénateur Eric Kerrouche, qui a été responsable d’un groupe de travail sur la proportionnelle pour le parti.

« Personnellement », le sénateur PS des Landes soutient qu’« il faut rompre absolument avec le scrutin majoritaire tel qu’il existe. […] Il ne permet pas à l’électeur de penser que son vote sera réellement pris en compte. Donc il faut passer à la proportionnelle. Après, il faut faire en sorte d’avoir un système réellement proportionnel. Soit il l’est immédiatement – si vous avez un à quatre députés par circonscription, vous n’aurez pas de proportionnalité – soit par compensation, comme en Allemagne, où ils ont deux votes possibles : un vote pour un candidat localement et un vote national, qui permet d’assurer la proportionnalité globale du système ». Mais ce dernier risque pour le coup de manquer de clarté et de simplicité pour l’électeur. Le socialiste exclut lui aussi le système mixte, « c’est ce qu’il ne faut pas faire ».

Pour Eric Kerrouche, tout dépend de l’ambition de François Bayrou. « La question, c’est est-ce simplement quelque chose qui permet de faire de la cosmétique ? Ou une transformation du système électoral qui permet une amélioration du système démocratique ? »

« François Bayrou a probablement en tête un plan »

Reste à voir vers quelle piste penche François Bayrou. « Le premier ministre a en tête de mettre un système sénatorial, avec les gros départements en population à la proportionnelle, et les petits au système majoritaire », nous avançait fin décembre une source ministérielle. Soit un système mixte… « François Bayrou a probablement en tête un plan. Pour l’instant, il n’en parle pas. Car il laisse le temps de la consultation et de la concertation », soutient Sophie Primas, « il faut laisser mûrir la discussion et voir si à la fin on peut trouver un accord qui convienne à peu près à tout le monde, sachant qu’il y a des groupes qui sont assez fermement opposés à la proportionnelle ». Dans l’idéal, « le planning souhaité par le premier ministre, c’est qu’on puisse légiférer avant la fin de la session parlementaire si le débat est mûr et si nous trouvons la solution la plus consensuelle possible ». Bon courage.

Dans la même thématique

François Bayrou lance les consultations sur la proportionnelle : pourquoi cela va être compliqué
6min

Politique

Agences de l’état : Laurent Marcangeli ne veut pas fixer d’objectif chiffré pour éviter la « formation d’anticorps »

Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur les agences de l’Etat, Laurent Marcangeli est revenu sur la méthode du gouvernement pour « simplifier » l’écosystème des agences et opérateurs de l’Etat. Les plans ministériels devraient être finalisés à la mi-juin et ce travail pourrait donner lieu à un projet de loi, voire une proposition de loi, a annoncé le ministre de la Fonction publique.

Le

François Bayrou lance les consultations sur la proportionnelle : pourquoi cela va être compliqué
7min

Politique

Présidence des LR : Laurent Wauquiez cible le « en même temps » de Bruno Retailleau

A 10 jours de l’élection du président des Républicains, Laurent Wauquiez laboure les terres de la droite pour aller chercher une victoire face au favori, Bruno Retailleau. Ce mercredi, dans un restaurant du XVe arrondissement de Paris, le chef de file des députés de droite a présenté sa candidature « de rupture » avec le pouvoir en place. Membre du gouvernement, l’élection de Bruno Retailleau à la tête des LR ferait prendre le risque, selon lui, d’une dilution de la droite dans le macronisme.

Le