Déficit : Pierre Moscovici n’exclut pas un « risque » de « dérapage léger » en 2025

Auditionné par le Sénat, le président de la Cour des comptes est revenu sur « l’année noire » pour les finances publiques qu’a été 2024, dénonçant de nouveau une « gestion erratique et un pilotage à vue », avec à la clef un dérapage du déficit. A l’avenir, Pierre Moscovici appelle à mieux garantir « l’indépendance » des prévisions de croissance, pour la « soustraire au politique ». Il menace de ne pas certifier les comptes de l’Etat, si plusieurs « anomalies » ne sont pas corrigées.
François Vignal

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C’est entendu, l’état des finances publiques en 2024 a été pour le moins mauvais. Et le mot est faible. Une commission d’enquête du Sénat l’avait largement étayé. La Cour des comptes vient apporter le même regard, comme l’a expliqué ce mercredi matin Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. Il a notamment présenté aux sénateurs le rapport sur le budget de l’Etat en 2024 et sur la certification des comptes de l’État pour l’exercice 2024, tout en évoquant, en toute fin d’audition, l’année en cours.

2024, « une année noire »

Comme il l’a fait il y a quinze jours, lors d’une conférence de presse, Pierre Moscovici a redit combien l’année 2024 avait été « une année noire » pour les finances publiques. « Ce rapport qualifie l’année 2024 comme celle d’une dérive inédite des finances publiques, principalement en raison d’une forte dynamique des dépenses des collectivités locales […] et aussi des dépenses sociales », explique l’ancien ministre de l’Economie de François Hollande, pointant un « exercice 2024 chaotique ».

Résultat, « les années 2023 et 2024 ont plus que doublé l’effort à faire pour arriver aux 3 % de déficit. C’est ça la réalité. Il était de quelque 50 milliards d’euros, il est de 110 milliards aujourd’hui. C’est pour ça que je parle d’année noire ».

Il pointe particulièrement « la prévision initiale de croissance de 1,4 %, qui était jugée déjà élevée, face à 0,8 % selon le consensus des économistes. Cet écart est considérable », alors que « dès février 2024 », la prévision a été abaissée de 0,4 point.

« Une loi de finances rectificative, en février ou mars 2024, eut été logique et nécessaire »

« Comme nous l’avons dit, une loi de finances rectificative, en février ou mars 2024, eut été logique et nécessaire pour tirer les conséquences », répète-t-il. Mais alors que les élections européennes se profilaient, « le gouvernement a fait le choix de ne pas déposer de loi de finances rectificative ». « La volonté politique, c’est ce qui semble avoir fait défaut, pour réduire durablement les dépenses de l’Etat au cours de l’année 2024 », dénonce-t-il encore.

A la place, le gouvernement a préféré « une gestion serrée et sous tension des crédits des ministères » et des annulations ou gels de crédits, avec 10 milliards d’euros annulés en février 2024, mais avec une décision contradictoire « en mars, d’un report de 16 milliards d’euros de crédits entrants », amenant Pierre Moscovici à parler de « gestion erratique et de pilotage à vue ». Il pointe encore un « stop and go », avec « 37 programmes qui ont bénéficié d’une ouverture de crédits pour un total de 4,7 milliards » en fin d’année, puis « 31 programmes ont subi en février une annulation pour 3,4 milliards d’euros ».

Cela a été dit, une part des difficultés viennent « de recettes inférieures de 22,8 milliards d’euros, par rapport aux prévisions », soit beaucoup moins que prévu, avec – 15 milliards pour l’impôt sur les sociétés et – 12 milliards sur la TVA. Un chiffre qui s’explique pour « les 3/5 par l’optimisme des prévisions ».

« L’indépendance des prévisions en France doit être mieux garantie et de manière systématique »

« Il est absolument inconcevable de préserver de telles incertitudes », prévient Pierre Moscovici, « il faut impérativement revoir nos façons d’élaborer nos prévisions, on ne peut pas se permettre d’avoir de tels écarts qui nous mènent dans un mur ». Sa préconisation : « L’indépendance des prévisions en France doit être mieux garantie et de manière systématique. Il faut libérer cet exercice du volontarisme excessif de tout gouvernement. Ça rendra à l’administration sa capacité de travailler de manière indépendante et objective ». Auditionné par le Sénat, l’ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, aux manettes lors du dérapage du déficit, avait pourtant assuré que ces prévisions n’avaient aucun lien avec le politique, comme le rappelle le rapporteur général, Jean-François Husson. « On ne peut pas dire que l’exercice de prévision soit totalement soustrait au politique. Ce n’est pas exact », sourit Pierre Moscovici, « dire qu’il n’y a pas de tension ou de décision in fine politique, ce n’est pas une réalité. Bien sûr qu’elle est politique », assure l’ancien ministre de l’Economie.

Et quid du budget en cours ? « Le gouvernement a quand même tenu compte de cette année 2024 de dérapage massif », salue Pierre Moscovici. Quant à l’objectif de ramener le déficit de 5,8 % à 5,4 % du PIB cette année, « ce n’est pas impossible à atteindre, mais il n’est pas acquis. Les risques sont plutôt du côté du dérapage léger, que du côté de l’amélioration substantielle », met en garde Pierre Moscovici. Mais après l’année noire en 2024, « il y a objectivement moins de risques » en 2025.

« Il y a des refus persistant de l’administration d’appliquer les principes et normes comptables communément acceptées »

Pierre Moscovici a aussi répété son coup de gueule au sujet de la certification des comptes de l’Etat. Il se dit « franchement agacé que pour la dix-neuvième année consécutive, les comptes de l’Etat ne soient pas en mesure d’être certifiés sans anomalie significative. Il y a des points qui sont sur ou sous évalués de plusieurs milliards d’euros ». Surtout, « il y a des refus persistant de l’administration d’appliquer les principes et normes comptables communément acceptées, il est anormal qu’elle se refuse de corriger des anomalies ». Et de lancer : « Imaginez une boîte dans laquelle le commissaire aux comptes dit qu’il y a un risque que les comptes ne soient pas certifiés, et la direction dirait on s’en fiche. Ce n’est pas acceptable ».

Si Bercy « n’engage pas un plan » pour corriger ces problèmes, Pierre Moscovici se fait même menaçant : « Je n’hésiterai pas à proposer à la Cour des comptes de refuser de certifier le budget des comptes de l’Etat en 2025. Je n’hésiterai pas une seule seconde. Je l’ai écrit au ministre des comptes publics ». Mais le président de la Cour a un espoir : « J’ai eu quelques échanges avec les ministres concernés. Je pense qu’on arrivera à ce plan de résorption. Mais j’attends de voir ».

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