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SNCF : faut-il limiter le droit de grève, comme l’a déjà adopté le Sénat ?

Alors que la grève se profile à la SNCF pour le pont du 8 mai, le ministre des Transports, Philippe Tabarot, soutient toujours le texte du centriste Hervé Marseille, dont il était rapporteur, qui encadre le droit de grève lors des départs en vacances ou jours fériés. « On tirera les enseignements, une fois ce conflit passé, de ce qui peut être amélioré », soutient le ministre. Mais « à court terme, la PPL n’est pas inscrite à l’ordre du jour », selon son entourage.
François Vignal

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Le pont du 8 mai va-t-il se transformer en semaine noire à la SNCF ? Les voyageurs de l’opérateur risquent de devoir être confrontés à la grève prévue pile au moment du week-end prolongé.

Plusieurs catégories de cheminots, dont les conducteurs et les contrôleurs, ont en effet déposé des préavis de grève pour la période du 6 au 10 mai, au moment des grands départs. Les contrôleurs sont appelés à se mettre en grève les 9, 10 et 11 mai par Sud-Rail, le syndicat appelant aussi les conducteurs à la grève le 7 mai, veille de jour férié. La CGT-Cheminots a quant à elle appelé à se mobiliser dès le 5 mai. Le gréviste devant se déclarer 48 heures à l’avance dans les transports, il faudra attendre l’avant-veille de la mobilisation pour avoir des prévisions de trafic. Si votre train ne circule pas, « les compagnies de train vous contacteront par e-mail ou SMS », explique la SNCF sur son site.

« Les Français commencent à en avoir ras-le-bol »

« Les Français commencent à en avoir ras-le-bol », a lancé ce vendredi matin, sur BFM TV, le ministre des Transports, Philippe Tabarot. « La grève est toujours évitable. Il y a un moment de rétractation par rapport aux préavis déposés. Je rappelle que ce sont des préavis dormants bien souvent, qui existent depuis des mois et qui sont déclenchés du jour au lendemain », souligne l’ancien sénateur des Alpes-Maritimes, ajoutant qu’« il y a quelque chose qui pose problème, que j’avais souhaité modifier dans la loi, c’est que les grévistes se déclarent non plus 48 heures avant mais 72 heures avant, pour que l’opérateur, en l’occurrence la SNCF, prévoit un plan de transport et puisse prévenir les usagers en cas de perturbation ».

L’idée dont Philippe Tabarot parle vient directement d’une proposition de loi (PPL) dont il a lui-même été rapporteur, celle du président du groupe Union centriste du Sénat, Hervé Marseille, avec une mesure potentiellement explosive, mais qui fait pleinement écho avec l’actualité : encadrer le droit de grève dans les transports, et en particulier à la SNCF.

Ce texte, qui vise à « concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève », a déjà été adopté par le Sénat il y a plus d’un an, en avril 2024. Depuis, il n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée, pour espérer aller au bout de son parcours législatif.

« Tout reste à faire », constate Hervé Marseille

« Tout reste à faire », ne peut que constater aujourd’hui Hervé Marseille. L’idée de sa PPL est de donner la possibilité au gouvernement de définir par décret 30 jours par an, durant lesquels les personnels des services publics de transport n’auraient pas la possibilité de faire grève. Cette interdiction est limitée à sept jours glissants et vise plus particulièrement les vacances scolaires, les jours fériés, les élections et référendums ainsi que des événements « d’importance majeure ». Un dispositif inspiré de l’Italie.

« Là-bas, il y a des négociations avec les syndicats à l’automne, pour déterminer les plages horaires qui doivent être neutralisées. Puis le gouvernement fixe par décret ces jours, comme la veille de Pâques par exemple, ou lors des grands départs en vacances, où on ne peut pas faire grève. Il y a un vrai service minimum », explique le sénateur UDI des Hauts-de-Seine. Il ajoute : « Il faut déterminer des jours qu’on sacralise, pour permettre aux gens de pouvoir bouger ».

Plusieurs propositions de loi sur le sujet au Sénat

L’idée d’encadrer le droit de grève dans les transports n’est pas nouvelle au Sénat, où plusieurs textes ont été déposés. Avant celui d’Herve Marseille, on peut citer la PPL d’un certain Bruno Retailleau, devenu ministre de l’Intérieur, sur le service minimum garanti dans les transports, adoptée par le Sénat en 2020, ou celle du sénateur LR Stéphane Le Rudulier, qui proposait déjà en 2023 d’interdire le droit de grève au début des vacances et les jours fériés.

Le gouvernement est-il aujourd’hui prêt à aller au bout ? L’ex-sénateur Tabarot devrait peut-être en souffler un mot au ministre. Interrogé ce matin, le membre du gouvernement défend toujours la proposition de loi Marseille. « Le ministre que je suis ne renie pas le sénateur qu’il a été hier », lance Philippe Tabarot, renvoyant aussi aux autres propositions de la PPL, comme « la mesure sur le passage de 48 à 72 heures des préavis, la question des préavis dormants, celle des grèves perlées de 59 minutes pour qu’elles ne soient pas décomptées sur les salaires. Tout ce contournement du droit de grève figurait dans cette proposition que j’ai portée avec Hervé Marseille et Bruno Retailleau ».

« A court terme, la PPL n’est pas inscrite à l’ordre du jour », mais il faudra « voir s’il y a lieu d’envisager des évolutions législatives »

Mais portera-t-il, en tant que ministre, la sanctuarisation de certains jours ? C’est peut-être difficile pour l’heure. « On tirera les enseignements, une fois ce conflit passé, de ce qui peut être amélioré. Je pense qu’on le fera sereinement et objectivement. Je sais l’émoi que cette grève potentielle crée dans notre pays et on ne peut pas faire comme si rien ne se passait », soutient le ministre des Transports, qui semble donc ne pas fermer la porte à des évolutions. Contacté par publicsenat.fr, son entourage explique qu’il s’agira de « voir s’il y a lieu d’envisager des évolutions législatives », mais « à court terme, la PPL n’est pas inscrite à l’ordre du jour ».

« Evidemment, je comprends la prudence du ministre vis-à-vis de la situation sociale. Et il faut une décision au niveau du gouvernement », souligne Hervé Marseille. « Je souhaite que le ministre fasse partager au gouvernement sa conviction qui était celle d’un rapporteur qui a compris qu’il fallait faire quelque chose. Si on ne fait rien, ça continuera. Il n’y a aucune raison que ça s’arrête », prévient le président du groupe centriste, qui n’a « toujours pas compris cette espèce de sadisme récurent à s’attaquer aux gens qui partent en vacances et rend le mouvement syndical impopulaire ».

« L’obsession à la restriction du droit de grève, c’est vraiment une obsession de la droite », dénonce le socialiste Olivier Jacquin

Si d’aventure la PPL Marseille était inscrite à l’Assemblée, ce n’est sûrement pas à gauche qu’elle trouvera du soutien. Empêcher de faire grève certains jours « n’est pas nécessaire, car la meilleure arme contre la grève, c’est le dialogue social, construit, réfléchi, avec une stratégie et franchement, à la SNCF, je constate que depuis la période Farandou (président de la SNCF, ndlr), ça ne se passe pas trop mal », soutient ainsi le sénateur PS Olivier Jacquin, qui avait déjà combattu le texte dans l’hémicycle. Pour le sénateur de la Meurthe-et-Moselle, « l’urgence pour la SNCF, car Jean-Pierre Farandou va partir, c’est qu’il soit remplacé par quelqu’un de talent, qui saura bien renouer ce dialogue social, sans lâcher trop facilement le carnet de chèque car les salaires, sous Farandou, ont augmenté plus vite que l’inflation ».

Comme on le voit, le sénateur PS n’entend pas lâcher sur l’essentiel. « L’obsession à la restriction du droit de grève, c’est vraiment une obsession de la droite et ils cherchent à aller en permanence dans cette direction-là », regrette Olivier Jacquin. S’il reconnaît que « les grèves perlées de 59 minutes, ce n’est pas génial, c’est un peu abusif et excessif », pour lui, là aussi, « il faut passer par le dialogue social, plutôt que par la loi et venir attaquer le droit de grève. C’est un droit de base dans notre société. On ne peut pas demander de démunir les salariés de leur droit de grève, nous sommes le lendemain du 1er mai ». Le socialiste ajoute que la mesure serait de toute façon « anticonstitutionnelle ».

« Vous voulez qu’il n’y ait pas de grève ? Pas de problème. On peut encore négocier »

Pour l’heure, les discussions semblent ne pas avancer entre syndicats et direction de la SNCF. Et du côté du gouvernement, on ne soutient pas la nécessité d’augmentations, l’une des revendications des cheminots.

« C’est le rôle du ministre de dire on prend le carnet de chèque et on donne des primes supplémentaires ? Non. Il y a un dialogue social, des discussions salariales qui se font une fois par an. Et on sait que c’est souvent la cause des préavis déposés avant Noël. Mais ce n’est pas tous les deux mois qu’on doit demander une augmentation, sachant qu’il y a eu des avancées très significatives ces derniers mois et années », a soutenu mercredi sur TF1 Philippe Tabarot. De quoi braquer les syndicats. En revanche, s’il avait écarté mi-avril l’autre demande concernant l’organisation des plannings, il estime finalement que ce « sont des revendications qui peuvent s’entendre ». Une déclaration visiblement insuffisante pour détendre la situation, d’autant plus que les simples réunions organisées sur le sujet sont jugées bien insuffisantes pour Sud-Rail.

« Vous voulez qu’il n’y ait pas de grève ? Pas de problème. On peut encore négocier. La direction, Monsieur Farandou, a notre numéro de téléphone. Il nous appelle ce week-end, on a une vraie réunion de négociation et il n’y aura pas de grève la semaine prochaine », lance ce vendredi matin sur BFM TV Fabien Villedieu, secrétaire fédéral de Sud-Rail. Les derniers signaux montrent qu’on s’oriente plus vers la voie de garage pour le moment, au grand dam des voyageurs.

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