La guerre en Ukraine semble prendre une nouvelle tournure. Contre toute attente, le président russe a proposé ce dimanche des négociations entre son pays et l’Ukraine. Emmanuel Macron, qui s’est entretenu avec Volodymyr Zelensky cet après-midi, a déclaré devoir « sanctionner davantage » si la Russie ne « souhaite pas la paix ». Réunis à Londres ce lundi, des ministres européens ont demandé à Moscou de faire « sans tarder » des progrès dans ses négociations avec l’Ukraine. Donald Trump a déclaré « envisager de se rendre jeudi en Turquie » pour participer à la rencontre.
Après une trêve de trois jours, les frappes de drones ont pourtant repris en Ukraine dans la nuit de dimanche à lundi malgré l’annonce de Vladimir Poutine. Dès lors, ces négociations marquent-elles un tournant dans le conflit ? Un accord est-il possible ? Entretien avec Olivier Kempf.
Allons-nous assister à une rencontre entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine ?
Je pense que cette rencontre est peu probable. Ce sont d’abord des diplomates qui vont négocier, mais les chefs d’Etat ne discuteront pas directement. Éventuellement, si un accord est trouvé et qu’il satisfait réellement les deux parties, alors une rencontre pourrait avoir lieu. On en est encore loin.
Combien de temps vont prendre ces négociations ?
Elles vont prendre beaucoup de temps. Nous avons pu le voir avec les négociations entre les Etats-Unis et la Russie depuis le retour au pouvoir de Donald Trump en janvier. En réalité, ces négociations avaient démarré en coulisses dès le mois de novembre. En mai, soit six mois plus tard, elles n’avaient toujours pas abouti. Il y a des chances que le cas de figure se reproduise.
Ces négociations peuvent-elles aboutir ?
Ce qui est sûr c’est que c’est le début d’un cycle. Si les négociations durent, des choses intéressantes vont se produire. Cela voudra dire que des discussions ont réellement lieu. D’ici deux à trois semaines, des choses concrètes peuvent commencer à se mettre en place. Nous verrons à partir de jeudi la tonalité des déclarations. Si les négociations se font sans bruit alors, ce sera bon signe, auquel cas, une porte de sortie sera difficile à trouver.
Il est tout de même probable que Vladimir Poutine refuse les offres qui vont être émises par les Ukrainiens et ses alliés. Il a déjà refusé celles de Donald Trump qui étaient, du point de vue occidental, plutôt en faveur de la Russie.
En quoi cette nouvelle phase de négociation est singulière ?
Jusqu’à présent, les Russes et les Ukrainiens ont conservé des canaux directs de discussion, mais sur des sujets limités comme sur les échanges de prisonniers, la question des énergies etc. Cependant, ces discussions ne portent pas sur l’essentiel, le conflit direct. Ce qui est singulier ici, c’est que c’est Vladimir Poutine qui a fait l’annonce. C’est lui qui prend l’initiative et ce sont les Ukrainiens qui acceptent. De ce fait, symboliquement, celui qui a la main c’est Poutine.
Pourquoi une annonce maintenant ? Est-ce lié à la visite d’Emmanuel Macron et de ses homologues européens à Kiev ?
La visite d’Emmanuel Macron n’a pas obligé Vladimir Poutine a proposer des négociations. Il allait le faire dans tous les cas. Mais le défilé du 9 mai (commémoration de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie) a été l’occasion pour lui de manifester sa puissance. Il n’est pas étonnant que l’annonce de négociations survienne peu de temps après. De plus, cela fait plusieurs mois que le président russe fait lanterner Donald Trump avec des négociations qui n’aboutissent pas. La situation ne pouvait plus durer. En prenant la main sur ces négociations, Vladimir Poutine rend service à Donald Trump en lui offrant la possibilité de se retirer du jeu. Il lui enlève une épine du pied. Tout cela a été très bien reçu par Washington.
Ces négociations ont donc pour objectif de faire plaisir aux Américains ?
Etant donné que les discussions bloquaient entre les Etats-Unis et la Russie, cela risquait d’énerver Donald Trump. Se faisant, avec sa proposition, Vladimir Poutine indique qu’il souhaite poursuivre la discussion. Ce qu’il veut avant tout c’est la poursuite des discussions bilatérales avec Washington et pas seulement sur le sujet ukrainien. Les discussions portent aussi sur les énergies ou encore sur l’Arctique.
Pourquoi Vladimir Poutine n’accepte-t-il pas la proposition de cessez-le-feu en amont des négociations ?
Selon lui, la proposition de cessez-le-feu consiste à donner un avantage militaire aux Ukrainiens. De cette manière, il annonce que la guerre va se poursuivre pendant les négociations. Il indique également ne pas prendre en considération les Européens.
D’un point de vue militaire, comment se déroule le conflit actuellement ? Vladimir Poutine a-t-il attendu d’être en position de force pour proposer des négociations ?
C’est évidemment une stratégie. Une négociation se fait toujours dans le cadre d’un rapport de force. A travers l’histoire, c’est très classique comme manière de procéder. Sur le front, en comparant les positions du premier trimestre 2024 à celui de 2025, l’avantage est clairement du côté russe. Au premier trimestre 2024, l’avancée russe était de 2 km2 par jour tandis qu’en 2025 elle est de 8 à 10 km2 par jour. De plus, ces derniers jours, des rumeurs courent sur une potentielle offensive russe. La situation militaire va clairement influer sur les négociations.
Plusieurs ministres européens des Affaires étrangères se sont réunis aujourd’hui à Londres pour échanger sur l’Ukraine. Pour la France, c’est le ministre chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, qui a fait le déplacement. Ces discussions peuvent-elles peser sur les négociations de jeudi ?
Non les échanges qu’ils vont avoir ne peuvent pas influencer les négociations qui vont avoir lieu. Vladimir Poutine ne considère pas les Européens. La preuve, il ne les convie pas jeudi à Istanbul en proposant des négociations « directes ». Les réunions pourront peut-être donner quelques arguments à l’Ukraine, mais les dirigeants européens ne sont pas véritablement dans le jeu.