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Soumission chimique : le Sénat peut-il sanctionner Joël Guerriau ?

Malgré un procès requis à son encontre, le sénateur Joël Guerriau, soupçonné d’avoir drogué à son insu la députée Modem, Sandrine Josso, dans le but de commettre une agression sexuelle, s’accroche à son mandat depuis un an et demi. L’avocat de la députée a écrit à Gérard Larcher pour lui demander des « éclaircissements » sur les « mesures » envisagées à l’encontre du sénateur.
Simon Barbarit

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A en croire Joël Guerriau, lorsqu’il vient au Sénat, il serait « très bien reçu par les collègues ». C’est ce que le parlementaire a affirmé aux équipes de « Complément d’enquête », dans une émission sur le Sénat diffusé la semaine dernière.

Le sénateur, toujours membre du groupe Les Indépendants-République et Territoire, est soupçonné d’avoir dilué de la MDMA à 91,1 % pure dans un verre de champagne de la députée Modem, Sandrine Josso, qu’il avait invité à son domicile à la mi-novembre 2023. En avril dernier, le parquet a requis un procès devant le tribunal correctionnel pour « administration de substance afin de commettre un viol ou une agression sexuelle ». Il reste présumé innocent.

En septembre 2024 peu avant le démarrage de la session parlementaire, Joël Guerriau s’était entretenu avec Gérard Larcher. Interrogé sur l’objet de cette rencontre, le président du Sénat avait expliqué avoir demandé, dès le mois de novembre 2023, à Joël Guerriau de se démettre de ses fonctions et de ne plus venir au Sénat. « J’avais convenu que je le reverrai avant le début de la session parlementaire, pour lui rappeler la nécessité de se démettre de ses fonctions, notamment de secrétaire du Sénat et de vice-président de la commission des affaires étrangères », avait-il exposé.

« Le Président du Sénat a demandé la démission de Joël Guerriau »

Si Joël Guerriau a accepté de quitter ces deux fonctions, il refuse catégoriquement de démissionner de son mandat de sénateur, malgré les lourdes charges qui pèsent contre lui. Gérard Larcher précise qu’il n’est pas de son ressort d’empêcher un retour de Joël Guerriau au Sénat. « Je rappelle que seul le Conseil constitutionnel, après une décision de justice, peut démettre un parlementaire de son mandat », avait-il souligné en septembre. « Le Président du Sénat a demandé la démission de Joël Guerriau. Cette décision appartient au sénateur », peut-on lire sur le site infox Sénat.

« A minima, on peut se poser la question d’une procédure disciplinaire »

Insuffisant pour Arnaud Godefroy, l’avocat de Sandrine Josso qui a envoyé un courrier à Gérard Larcher dans lequel il lui demande des « éclaircissements » sur les « mesures » envisagées à l’encontre du sénateur. « Je lui avais déjà envoyé un courrier en septembre. Je n’avais pas eu de réponse. Le président du Sénat ne peut pas se retrancher derrière la séparation des pouvoirs. Ce n’est pas convenable. A minima, on peut se poser la question d’une procédure disciplinaire à l’encontre de Joël Guerriau au regard des faits qui lui sont reprochés. Lui-même reconnaît la possession de stupéfiants que lui aurait procurée un de ses collègues sénateurs. Ça pose quand même une question déontologique. A l’Assemblée nationale, Yaël Braun Pivet ne s’est pas privée pour sanctionner un député qui avait fait usage de drogue », explique Arnaud Godefroy joint par publicsenat.fr.

L’avocat fait ici référence au cas du député LFI, Andy Kerbrat condamné pour achat de stupéfiants cette année. Le mois dernier, le Bureau de l’Assemblée a décidé de l’exclure pour 15 jours et de le priver de la moitié de son indemnité parlementaire pendant deux mois. Toutefois, cette sanction s’appuyait sur une enquête de Mediapart révélant qu’Andy Kerbrat aurait pioché dans son compte d’avance de frais de mandat (AFM) pour financer sa consommation de stupéfiants, ce que l’intéressé conteste. A noter que l’ex députée RN, Christine Engrand s’était vu infliger la même sanction pour un usage personnel de son AFM.

Ces exemples pourraient-ils s’appliquer au cas de Joël Guerriau ?

Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, est catégorique. « Constitutionnellement, il est impossible à Gérard Larcher d’interdire à Joël Guerriau l’accès au Sénat. Le Sénat sanctionne les atteintes au règlement commises dans l’exercice de leur mandat. Il n’est pas compétent pour sanctionner les infractions au code pénal. », précise-t-il.

Le guide déontologique du sénateur fixe les cas où les élus peuvent faire l’objet d’une sanction disciplinaire en cas de non- « respect du principe de laïcité et avec assiduité, dignité, probité et intégrité ».

« Tout sénateur qui manquerait gravement à l’un de ces principes s’exposerait à une sanction disciplinaire (rappel à l’ordre, rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, censure et censure avec exclusion temporaire), prononcée par le Bureau du Sénat à l’issue d’une procédure contradictoire », peut-on lire.

Il est par exemple précisé que les actes de harcèlement de la part d’un sénateur, « quelle qu’en soit la nature, constituent un manquement au principe de dignité » et sont passibles de sanctions disciplinaires qui s’ajoutent « aux éventuelles procédures judiciaires, sans s’y substituer ». De même, les sénateurs sont susceptibles de se voir infliger une sanction disciplinaire en cas d’utilisation indue de leur AFM dans les cas où ce ne serait pas une simple erreur « mais un manquement à un principe déontologique, notamment celui d’intégrité ». C’est par cette voie que Yaël Braun-Pivet a pu sanctionner Andy Kerbrat.

« Le Bureau du Sénat décide ou non d’appliquer des sanctions disciplinaires prévues par le règlement. Ce sont des mesures qui sanctionnent les atteintes au bon déroulement de la séance ou des atteintes au fonctionnement régulier de l’institution. En ce qui concerne Joël Guerriau, je ne vois pas de lien avec l’exercice de son mandat. Mais, ça n’a pas empêché le juge pénal d’être saisi et l’élu d’être poursuivi », résume Benjamin Morel.

Quant à l’immunité parlementaire prévue à l’article 26 de la Constitution qui empêche un parlementaire de faire l’objet d’une arrestation ou d’une mesure privative ou restrictive de liberté, (comme le contrôle judiciaire), le temps de son mandat, Joël Guerriau n’en a pas bénéficié. Le sénateur a été mis en cause dans une l’enquête en flagrance, une procédure qui permet de ne pas avoir besoin de demander au Bureau la levée de son immunité parlementaire.

Trouble de la séance

Reste une possibilité pour le moins paradoxale mais qui permettrait l’exclusion temporaire de Joël Guerriau du Sénat. Il suffirait pour cela que le sénateur décide de revenir siéger dans l’hémicycle. Sa présence créerait, à n’en pas douter, un trouble sur les bancs du Sénat. Et le règlement du Sénat permet justement de sanctionner toute manifestation ou interruption troublant l’ordre de la séance.

Là encore, cette procédure a déjà été utilisée à l’Assemblée nationale pour sanctionner le député LFI, Thomas Portes. En 2023, en pleine réforme des retraites, l’élu, ceint de son écharpe tricolore, avait posé pour une photo avec le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du travail de l’époque, Olivier Dussopt. Un acte qui, a priori ne peut être sanctionné par l’Assemblée. Mais en refusant de s’excuser dans l’hémicycle, le député avait provoqué un tumulte composé, d’interpellations, d’invectives de rappels au règlement, pour finir par une suspension de séance. Le Bureau de l’Assemblée avait par la suite exclu Thomas Portes de l’Assemblée pour 15 jours.

 

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