Avec la mort de Jean-Pierre Elkabbach, Public Sénat perd son fondateur et premier président

Le journaliste politique, mort mardi soir à 86 ans, a participé à la création de Public Sénat au début des années 2000. Il y a trois ans, sur notre antenne, il avait longuement évoqué cette aventure, alors inédite dans le paysage audiovisuel français.
Public Sénat

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Les équipes de Public Sénat se sont réveillées un peu orphelines ce mercredi matin après la disparition de Jean-Pierre Elkabbach. Figure incontournable du journalisme politique depuis les années 1960, le célèbre interviewer, réputé pour son style direct et pugnace, a également été le fondateur de Public Sénat, qu’il a présidé pendant trois mandats, de 2000 à 2009. Invité en 2020 d’« Allons + loin », il était longuement revenu sur la création et les débuts de la chaîne, vingt ans après son lancement.

À l’origine de Public Sénat et de LCP, son pendant pour l’Assemblée nationale, une loi, celle du 30 décembre 1999, qui prévoit la création d’un média dédié à l’exposition des travaux parlementaires. L’adoption de ce texte est le fruit d’un long travail d’évangélisation de la part des deux présidents de chambre de l’époque, Christian Poncelet au Sénat, et Laurent Fabius à l’Assemblée nationale, mais aussi du rapporteur Jacques Valade. Ironie du sort, l’ancien sénateur de Gironde est également décédé ce mardi, à 93 ans.

Un vent nouveau

De nombreux élus se montrent alors réticents à l’idée de se retrouver sous les feux des projecteurs, notamment du côté de la Chambre Haute, qui a pris l’habitude de travailler dans l’ombre médiatique de l’Assemblée nationale, à laquelle la Constitution accorde un rôle prédominant. « Les sénateurs ont vu que l’on parlait d’eux. Quand ils rentraient dans leurs circonscriptions, on leur disait : ‘Ah ! On vous a vu à la télé. Et comme ils n’étaient invités nulle part ailleurs, ils ont compris l’importance de la chaîne », rapportait Jean-Pierre Elkabbach.

« La création de Public Sénat était un peu l’achèvement d’une modernisation que René Monory avait engagé, poursuivie par Christian Poncelet, celle d’un Sénat encore plus ouvert sur la société et le monde », expliquait Gérard Larcher quelques années plus tôt également sur notre antenne, cette fois pour les 15 ans de la chaîne. « Le Sénat d’Alain Poher était un Sénat qui représentait fondamentalement les territoires, mais qui avait vécu la crise de 1969 et l’alternance de 1981 ». Bref, « un Sénat politique » et, par essence, plus secret. La naissance de Public Sénat ouvre un nouveau chapitre pour la Chambre Haute.

Le premier défi de la chaîne a été celui de l’indépendance. Vis-à-vis des élus d’une part, et vis-à-vis de l’Assemblée nationale d’autre part, dans la mesure où les deux chambres doivent se partager à parité le même canal de diffusion. « Si pendant dix ans les présidents successifs des assemblées ont voulu créer une chaîne parlementaire sans y parvenir, c’est parce qu’il fallait trouver des créneaux de partage qui soient justes pour l’un et pour l’autre. Or l’Assemblée, parce qu’elle a le dernier mot dans les institutions de la Cinquième République, voulait avoir l’avantage », expliquait Jean-Pierre Elkabbach.

Public Sénat voit le jour le 25 avril 2000. Cinq ans plus tard, la chaîne arrive sur la TNT (canal 13). Elle est, depuis 2008, accessible 24/24 sur Internet. « Pourquoi le nom Public Sénat ? Nous l’avons fait en concertation avec les sénateurs. Parce que le Sénat est l’actionnaire, nous sommes responsables devant le bureau de la gestion budgétaire, et d’un autre côté je voulais montrer que c’est une chaîne qui allait s’adresser à tous les publics, à tous les Français. »

Ouvrir les portes et les fenêtres

L’un des premiers temps forts de Public Sénat intervient en 2003, avec la mise en place de la commission Stasi, du nom de son président, le Médiateur de la République Bernard Stasi, chargé par Jacques Chirac d’une large réflexion sur l’application du principe de laïcité. La commission s’installe au Palais du Luxembourg. Jean-Pierre Elkabbach a alors l’idée de faire rentrer les caméras de la chaîne jusque dans les salles d’audition pour suivre au plus près, jour après jours, le travail de ses membres.

« Je suis allé voir Bernard Stasi et je lui ai dit que la chaîne parlementaire pouvait lui ouvrir ses antennes pour diffuser les travaux de la commission. Il m’a dit oui, mais TF1 et France 2 voulaient déjà les diffuser. Au dernier moment, les autres chaînes – je ne vais pas dire qu’elles se sont dégonflées – ne pouvaient plus. Christian Poncelet a alors accepté que l’on équipe les salles de caméras et nous avons pu retranscrire les travaux de la commission. » En tout : 65 heures de programmes qui connaissent un fort retentissement médiatique, notamment avec les auditions des représentants du monde médical.

En 2006, Public Sénat devient la première chaîne, en collaboration avec LCP, à diffuser le débat des candidats d’une primaire, en l’occurrence celle du Parti socialiste. Ségolène Royal, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn passent en direct sur le gril des questions d’Emilie Aubry et d’Emmanuel Kessler. « C’était un évènement. Même le New York Times, en Une, a diffusé des photos de Public Sénat », rapportait Jean-Pierre Elkabbach. Pour les présidentielles suivantes, l’exercice sera très largement repris et copié par les chaînes généralistes et les chaînes d’information en continu.

« Bibliothèque Médicis »

Si Jean-Pierre Elkabbach ferraille chaque matin sur Europe 1 pour son interview de 8 h 15 avec invité politique, sur l’antenne de Public Sénat, le journaliste choisit de prendre de la hauteur. Son émission littéraire, « Bibliothèque Médicis », est devenue l’un des programmes culte de la chaîne. Une lumière tamisée, un coin de table entre les impressionnants rayonnages de la bibliothèque du Sénat… et des entretiens sur le ton de la confidence avec des écrivains, des philosophes, des politiciens, parfois d’anciens hommes d’Etat. Pendant plus de quinze ans, défileront face au journaliste des profils aussi variés que Simone Veil, Françoise Giroud, Patrick Modiano, Patrick Boucheron, Michel Winock, Marcel Conche, Lucien Neuwirth, Robert Badinter, Nicolas Sarkozy, Bernard-Henri Lévy, mais aussi Madeleine Albright ou encore Kofi Annan. « Cette émission, on m’en parle encore aujourd’hui […] Je suis heureux et flatté de voir que les plus grands historiens français sont passés dans Bibliothèque Médicis », se félicitait encore l’animateur en 2020.

Dans la même thématique

Avec la mort de Jean-Pierre Elkabbach, Public Sénat perd son fondateur et premier président
4min

Culture

« Je ne crois pas que l’époque soit plus terrible qu’elle ne l’était en 1937 ou en 1938, chaque siècle a connu ses années de barbaries », estime Marc Lévy

En 2000, Marc Lévy publie son premier roman, « Et si c’était vrai ». Traduit en 44 langues et vendu à plus de trois millions d’exemplaires, son succès est fulgurant. Depuis cette première publication, ses écrits ont pris un virage plus géopolitique. Ses fictions font désormais largement écho à l’actualité. Dans son roman « Noa », écrit avant le 24 février 2022, il va même jusqu’à prédire l’offensive russe en Ukraine. Quel rôle les intellectuels peuvent-ils jouer dans la compréhension des conflits ? Comment et pourquoi écrire en ces temps de trouble ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Marc Lévy dans « Un Monde un Regard ».

Le

Librairie du CAP nouvelle enseigne a Cap3000
7min

Culture

Livres d’occasion et sites de e-commerce : le monde du livre fait face à de nouveaux défis

Avec sa proposition d’une contribution sur les livres d’occasion, Emmanuel Macron a relancé le sujet de la concurrence entre plateformes et petits commerces. Une guerre sans merci est engagée entre ces acteurs dans le domaine du livre, les uns pour leur rentabilité et les autres pour leur survie. Il reste qu’en ce qui concerne la lecture, le problème majeur reste la désaffection de certains pans de la population.

Le

Avec la mort de Jean-Pierre Elkabbach, Public Sénat perd son fondateur et premier président
2min

Culture

Projet de loi sur l’aide à mourir : Véronique Jannot dit oui « à 100% et sans restriction » !

Connue du grand public pour son rôle d’assistante sociale dans la série « pause-café », Véronique Jannot s’est toujours illustrée par sa bienveillance et sa bonne humeur, avec une philosophie : vivre dans l’instant présent en conservant sa dignité, du premier au dernier jour. Aujourd’hui, alors que le débat sur la fin de vie ressurgit, l’actrice soutient sans ambiguïté l’inscription de l’aide à mourir dans la loi. Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Véronique Jannot dans « Un Monde un Regard ».

Le