« Nous sommes une organisation qui pendant longtemps n’a pas travaillé en France, au motif qu’il convenait d’abord de défendre des journalistes en proie à des violations de leurs droits dans l’ensemble du monde. Mais depuis une quinzaine d’années nous y travaillons beaucoup plus avec un mandat qui est celui de la promotion de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme du journalisme ».
Par ces propos d’introduction, le directeur général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire a justifié sa présence devant la commission d’enquête dont l’objectif est de savoir dans quelle mesure l’information peut être affectée par ces phénomènes de concentration.
Et en la matière, RSF vient de produire un documentaire intitulé « Système B », dont la présentation est la suivante : « En 15 minutes, 11 témoins décrivent la mécanique d’emprise et d’intimidation mise en place par Vincent Bolloré lorsqu’il prend le contrôle d’un média ou lorsque des journalistes enquêtent sur ses activités industrielles » peut-on lire sur le site de l’organisation.
Et ça tombe bien, l’actionnaire majoritaire de Vivendi est auditionné la semaine prochaine par la commission d’enquête.
« Le CSA a manqué une occasion historique »
Le constat fait par le dirigeant de RSF est qu’à la différence de la presse écrite, dite d’opinion, « les médias audiovisuels, du fait de la rareté des ondes, ont historiquement été fondés avec des obligations de pluralisme interne […] « S’agissant des médias audiovisuels, devons-nous renoncer à la notion de pluralisme interne ? S’interroge-t-il
Le directeur général de RSF ajoute : « Allons-nous renoncer à cette vision de médias d’information ? De ce point de vue là, nous y sommes parvenus. Lorsqu’il y a six ans, le groupe Bolloré a repris Canal plus, à notre sens, le CSA a manqué une occasion historique de faire respecter des principes conventionnels : l’indépendance, le pluralisme et l’honnêteté de l’information », estime-t-il.
Quelques semaines plus tôt, le président du CSA (désormais Arcom), Roch-Olivier Maistre avait déjà dû justifier le rôle de son institution dans le traitement des contenus du groupe Canal. « Le CSA n’intervient toujours qu’a posteriori, jamais a priori sur un programme. Le CSA n’est pas une autorité de censure […] On intervient chaque fois que nous sommes alertés sur un programme. On revisionne la séquence […] Il faut remettre les choses en perspective, voir ce qui a été dit avant, pendant, après […] Puis, (la décision) est délibérée collégialement. Je suis très à l’aise sur cette chaîne. On a prononcé plusieurs mises en demeure », s’était-il défendu.
Lire notre article. Audiovisuel : « Le CSA n’est pas une autorité de censure », rappelle Roch-Olivier Maistre
Pour Christophe Deloire, la prise de contrôle de Vincent Bolloré sur les rédactions de son groupe n’est plus forcément visible. « Les exemples que l’on peut trouver c’est lors de la prise de contrôle d’un groupe. Il y a des pratiques changeantes et là il se passe des choses. J’imagine qu’on vous a rapporté des choses lors de la prise de contrôle du groupe Canal plus […] L’enjeu n’est pas forcément de s’attacher à des problèmes visibles, c’est de s’attacher à la question de l’indépendance qui est une question structurelle ». Le dirigeant de RSF estime à ce sujet que l’indépendance, le pluralisme et l’honnêteté de l’information sur les chaînes du groupe canal « sont aujourd’hui assez théoriques, « même si sur la question du pluralisme, il y a quelques mises en garde » de la part du CSA désormais Arcom. « Nous avions demandé en 2015 lors de la prise de contrôle de Canal + par le groupe de Vincent Bolloré, que le CSA, conformément à ses compétences, initie une enquête indépendante, pouvant mener à des procédures de sanction. Aujourd’hui, à droit constant, nous estimons que le CSA doit absolument donner du contenu à ses dispositions, c’est son rôle ».
« Création d’un nouveau délit de trafic d’influence pour les propriétaires de chaînes »
Comme l’avait expliqué Roch-Olivier Maistre, Christophe Deloire souligne qu’il ne s’agit pas ici « d’empêcher certaines paroles », « de censure », « c’est simplement de garder une forme de pluralisme interne, de considérer que le journalisme, ce n’est pas une activité aux ordres d’un patron, les journalistes sont censés être un tiers de confiance de nos sociétés ».
La rapporteur socialiste de la commission d’enquête, David Assouline abonde. « Au lendemain de la guerre, il y avait ce foisonnement de journaux d’opinion et on savait dans quel journal on travaillait quand on était journaliste. C’est pour ça qu’il y avait la clause de conscience. Mais en ce qui concerne la TNT, il y a des autorisations d’émettre […] et des chaînes d’opinion n’existent pas […] Le pluralisme et la diversité sont actés. Mais les moyens de les contrôler voire de sanctionner (les manquements) sont très flous. Quelles sont vos propositions pour y remédier ? »
Le patron de Reporters sans frontières préconise à court terme d’appliquer le droit existant, à savoir la loi de 1986 sur l’audiovisuel et la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. « Dès lors qu’il y a une modification substantielle des termes du contrat, il faut renégocier les conventions, s’assurer que les chartes éthiques journalistiques le soient vraiment ». Il propose également « de conditionner la concentration des médias à des obligations renforcées » pour le groupe ou encore la création d’un nouveau délit de trafic d’influence appliquer au champ de l’information pour les propriétaires de chaînes.
Autant de pistes qu’il sera intéressant d’évoquer devant Vincent Bolloré, attendu devant la commission d’enquête, mercredi 19 janvier à 16 h 45.