Illustration notre Dame Paris

Entrée payante à Notre-Dame : « Bonne idée », « nécessité », ou « rupture catastrophique » ?

Alors que Rachida Dati a annoncé avoir proposé de rendre payant l’accès à la cathédrale Notre-Dame de Paris, les avis sont partagés parmi les experts et la classe politique. Certains, comme le communiste Pierre Ouzoulias, pointent même une manœuvre « impossible », car « illégale ».
Camille Romano

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Notre-Dame de Paris pourrait-elle devenir payante ? La ministre de la Culture Rachida Dati a annoncé réfléchir à cette option : « J’ai proposé à l’archevêque de Paris une idée simple : mettre en place un tarif symbolique pour toutes les visites touristiques de Notre-Dame et consacrer totalement cet argent à un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux ». La ministre suggère ainsi dans les colonnes du Figaro de mettre en place une entrée à « 5 euros », qui permettrait de récolter « 75 millions d’euros ». Un fonds qui permettrait de « sauver toutes les églises de Paris et de France. Ce serait un magnifique symbole » s’enthousiasme ainsi la maire du 7e arrondissement.

Sauver le patrimoine religieux

La suggestion a été saluée par la droite : à commencer par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. « C’est une proposition que je soutiens », affirme-t-il au micro de France Inter, une mesure utile, « si ça doit, pour 5 euros, sauver un patrimoine religieux auquel on peut être attaché, que l’on croit au ciel ou qu’on n’y croit pas ». La présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse a également loué sur X une « bonne idée » de la ministre : « Il n’y a pas à hésiter ».

Une position partagée par le président de la commission de la culture du Sénat, Laurent Lafon. Le sénateur centriste a jugé au micro de Public Sénat que c’était une « bonne idée », rappelant que cela avait été suggéré « à plusieurs reprises ». « On a un vrai problème de financement de notre patrimoine, de notre patrimoine religieux en particulier et il faut mobiliser des ressources. Je souhaite que la réflexion soit étendue à d’autres cathédrales, on peut penser à Reims, à Chartres, qui sont des sites fortement visités. C’est, je crois, une nécessité pour avoir un patrimoine notamment religieux qui soit bien entretenu. »

Pour Bérénice Gaussuin, architecte du patrimoine, la proposition semble toutefois « compliquée ». « Il faudrait d’abord savoir la raison pour laquelle on veut faire payer l’entrée : est-ce pour une raison de conservation ou pour rentabiliser la présence d’un monument historique ? Sur le principe, faire payer les entrées dans les monuments historiques, cela se fait depuis longtemps. », concède-t-elle. Tout en rappelant un obstacle : » Avec Notre-Dame, le souci est que le bâtiment est multi-usage : il y a du tourisme, mais aussi du culte. Une église n’est pas un musée : il y a toujours une activité religieuse », souligne-t-elle. Elle ajoute également que « laisser penser que les entrées payantes à Notre-Dame seront entièrement consacrées à la conservation du patrimoine est illusoire, parce que malgré tout, cet argent va aussi aller à autre chose, la rémunération des guides par exemple ».

Une monétisation de la culture « dérangeante »

L’experte pointe une réticence symbolique à ce type de proposition : « À titre personnel, je suis pour un prix faible ou une gratuité pour les monuments historiques et les musées : la monétisation de la culture est tout de même dérangeante. Il est déjà difficile de faire accéder la culture à tout le monde en raison de freins psychologiques. »

 

Marchandiser la culture, un écueil que balaie Laurent Lafon : « Il faut distinguer dans ces lieux religieux d’abord ce qui relève de l’exercice du culte. Il est évident que ceux qui viennent pratiquer le culte n’ont pas à payer, l’église doit être ouverte pour les pratiquants. »

Un premier problème que pointe son collègue communiste Pierre Ouzoulias, corapporteur d’une mission sénatoriale sur l’état du patrimoine religieux : comment faire cette différence ? « Pratiquement, comment cela s’organise ? », s’interroge-t-il. « Comment faire la distinction entre un fidèle et un touriste, quelle que soit sa nationalité ? « Pour le communiste, la proposition est tout bonnement « une erreur ». D’ordre symbolique tout d’abord : « la mission première de l’Eglise, c’est d’accueillir tout le monde. Imposer un prix pour entrer à Notre-Dame, après tout ce qui a été fait pour elle, c’est contraire à son esprit. C’est triste de constater que c’est un sénateur communiste, athée qui défend l’universalisme d’une Église catholique et qui demande qu’on chasse les marchands du temple. Cette marchandisation de la culture est une rupture catastrophique. », insiste-t-il.

Rupture entre la nation et son patrimoine

Mais selon Pierre Ouzoulias, la proposition de Rachida Dati est tout simplement « illégale ». Déplorant une « idée destinée aux médias pour faire de la communication », il rappelle que « c’est illégal au vu de la loi de 1905. Les bâtiments religieux appartiennent à l’Etat et sont réservés à l’usage des cultes. La gratuité, c’est vraiment inscrit dans la loi de 1905. » De plus, ajoute-t-il, cette modification nécessiterait l’accord de l’archevêque de Paris, qui est l’affectataire de la cathédrale, propriété de l’Etat.

Il est rejoint par le sénateur centriste Loïc Hervé, qui a exprimé son opposition à la proposition sur Twitter : Chère Rachida Dati, l’accès à Notre-Dame de Paris doit évidemment rester gratuit et universel. Que l’on soit Français ou touriste étranger, croyant ou athée, on ne paie jamais pour entrer dans une église ou une cathédrale. Notre-Dame ne doit pas échapper à la règle ! »

 

Au vu de l’activité religieuse de la cathédrale, Pierre Ouzoulias poursuit : « Il faudrait organiser au sein de Notre Dame deux espaces : un espace pour le culte et un espace pour les visites. Ce qui serait possible à la limite, c’est une chapelle fermée qui serait payante. Rachida Dati veut que chaque personne qui rentre dans la cathédrale paie, c’est impossible. Si on considère que le lieu de la visite pour laquelle il faudra payer, c’est la cathédrale en elle-même, c’est impossible. » Un aménagement qui n’a jamais été évoqué, à quelques semaines de la fin des cinq années de rénovation. « Si l’intention de Mme Dati est de faire deux espaces au sein de Notre Dame, il faut le dire. Dans ce cas, c’est un changement radical de la vocation de la cathédrale, et jusqu’à présent il n’en a pas été question », assène Pierre Ouzoulias.

Dans l’après-midi de jeudi, le diocèse de Paris a par ailleurs rappelé le principe de « gratuité du droit d’entrée dans les églises et les cathédrales » que l’Eglise catholique en France continue de défendre. Le communiqué du clergé précise qu’il est de la « mission » de l’Eglise d’« accueillir de façon inconditionnelle et donc nécessairement gratuite tout homme et toute femme ».

Quid de l’exemple étranger, cité par les soutiens de l’initiative : « Cela se passe ailleurs, en Italie, en Espagne aussi, qui sont des pays pour lesquels la religion catholique a un poids important », rappelle Laurent Lafon. Mais pour Pierre Ouzoulias, il ne faut pas oublier une différence fondamentale : en France, les cathédrales sont la propriété de l’Etat. « Ce qui en fait un patrimoine collectif. En imposant un droit d’entrée payant pour les non-paroissiens, on casse le lien entre la nation et ces édifices ».

Selon Pierre Ouzoulias, la proposition de la ministre de la Culture relève même d’une erreur d’interprétation de la conservation du patrimoine religieux : « Le souci majeur, c’est le défaut d’aide aux petites communes et le manque d’ingénierie culturelle pour les maires de ces petites communes. Ce que propose Rachida Dati ne résout pas ce problème fondamental. » Il y voit plutôt un signe de « renoncement budgétaire », alors que le gouvernement prévoit 60 milliards d’euros d’économies dans son projet de loi de finances pour 2025.

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