De leur visite dans les locaux flambant neufs de la ligue de football professionnel, les sénateurs retiennent d’abord le luxueux « train de vie » de ses dirigeants, alors que le football français menace de s’enfoncer dans une crise financière inédite depuis la pandémie de Covid-19. La commission d’enquête sénatoriale sur la financiarisation du football s’est invitée au siège de la LFP et de sa filiale commerciale LFP Media ce jeudi, pour un contrôle « sur pièces et sur place », comme l’y autorise les pouvoirs d’investigation dont elle dispose dans le cadre de la mission de contrôle des parlementaires.
Initialement prévu avant la période estivale, ce contrôle a été décalé pour éviter d’interférer avec la réélection du président de la LFP, Vincent Labrune, le 10 septembre. La ligue a finalement été prévenue en début de semaine, « parce que nous souhaitions que les personnes que nous voulions entendre soient présentes », indique le rapporteur de la commission d’enquête, le sénateur LR Michel Savin, à l’occasion d’une conférence de presse donnée en milieu de journée. Les élus ont notamment interrogé les deux directeurs généraux et les directeurs financiers et administratifs des deux structures.
Ils ont pu obtenir l’intégralité des documents qu’ils réclamaient, et soulignent la volonté de coopération de la LFP. À ce stade, toutefois, la commission d’enquête n’a pas encore pu les analyser.
« Il y a un contraste entre le train de vie de la ligue et la situation financière des clubs »
Le Sénat a lancé au printemps une commission d’enquête sur l’irruption d’un fonds d’investissement, CVC Capital Partners, dans le capital de LFP Media, la société commerciale de la Ligue de football professionnel. L’accord prévoit la cession de 13,04 % des parts de la société commerciale détenue par la ligue en échange de 1,5 milliard d’euros, la LFP cherchant à se renflouer après le fiasco Mediapro en 2020.
Entre-temps, l’attribution des droits de diffusion de la ligue 1 au britannique DAZN et à beIN Sports, pour un montant global de 500 millions d’euros sur la période 2024-2029, bien loin des montants initialement envisagés, a suscité de vives critiques et de nombreuses interrogations de la part des élus. « Les chiffres de commercialisation des droits audiovisuels ces dernières semaines se rapprochent plus du championnat slovène que de la ligue anglaise », a notamment raillé Laurent Lafon, le président de la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
« Le montant des droits TV, très inférieurs à ce que connaissaient les clubs, les plonge dans des difficultés importantes. En moyenne, pour les clubs de ligue 1, c’est une baisse de 50 % de leurs revenus », pointe le sénateur. « Il y a un contraste entre le train de vie de la ligue et la situation financière des clubs. Cette situation est frappante », abonde Michel Savin, en évoquant notamment le salaire de Vincent Labrune.
Des rémunérations trop importantes
Le montant de la rémunération du président de la LFP a triplé depuis sa prise de fonction, passant de 400 000 euros à 1,2 million d’euros brut annuels, auxquels s’ajoute un bonus de 3 millions d’euros. Une partie de cette somme a été refacturée à la société commerciale de la Ligue de Football Professionnel. À peine réélu, Vincent Labrune s’est néanmoins engagé à baisser sa rémunération.
« Cette rémunération a été fixée à un moment ou la ligue prévoyait des recettes en forte évolution […] Il reste évident que la nouvelle conjoncture, qui n’est pas passagère, doit s’accompagner d’une prise de conscience de la part des dirigeants », estime Laurent Lafon qui appelle à « l’introduction d’une forme d’éthique ». « Il y a un décalage de plus en plus grand entre les dirigeants du football professionnel et ceux qui le font vivre tous les jours, les supporters. Pour nous, ce décalage n’est plus supportable ».
Des embauches pratiquement multipliées par deux
Autre point d’inquiétude pour les élus : l’augmentation importante de la masse salariale au cours des derniers mois. « De nombreux recrutements ont été réalisés en deux ans, entre 2022 et 2024, les effectifs de l’ensemble de la LFP et de LFP Media sont passés de 77 à 137 CDI. Dans le même temps, cette masse salariale a grimpé de 7 à 17,5 millions d’euros », explique Michel Savin. « C’est un contraste inquiétant entre l’augmentation des effectifs, l’augmentation de la masse salariale et, dans le même temps, la forte diminution des revenus liés à la vente des droits TV. »
Symbole de ce contraste pour les sénateurs, l’acquisition en 2023 d’un nouveau siège dans le très cossu 17e arrondissement de Paris, en face du Parc Monceau. « Se porter acquéreur d’un nouveau siège pour un montant de 131 millions d’euros dans un contexte de visibilité financière incertaine quant à l’évolution des droits TV, cet achat aussi important, qui pèse sur les frais de fonctionnement de la ligue, nous interroge », indique Michel Savin.
« On voulait voir comment les choses étaient organisées à l’intérieur. Le directeur général a beaucoup insisté sur la notion d’espace partagé entre la ligue et les clubs. Il s’agit non seulement des bureaux de la ligue et de sa filiale commerciale, mais il y a aussi tout un tas d’espaces réservés aux clubs. Nous avions besoin de voir, sur place, comment étaient utilisés ces mètres carrés dans ces beaux quartiers parisiens », explique Laurent Lafon.
« Ces locaux font peut-être partie de ce vent de folie qui s’est emparé des responsables de la ligue il y a deux ans. Ils se sont vus très beaux, très grands. […] Aujourd’hui on peut s’interroger sur leur bien-fondé », ajoute le président de la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
À ce stade, la commission d’enquête du Sénat a auditionné une quarantaine de personnes, mais la plupart des personnes interrogées ont réclamé le huis clos, « fait assez rare, et assez significatif de l’ambiance autour du football professionnel », relève les parlementaires Les conclusions de leurs travaux seront rendues d’ici la fin du mois d’octobre, mais déjà, ils appellent la ligue et ses dirigeants à changer de logiciel pour éviter « un naufrage ».
« La ligue doit rapidement engager des réformes de fond sur sa gouvernance, son fonctionnement, sur sa transparence, sur son train de vie et sur les évolutions à mettre en place », martèle Michel Savin. « Il y a urgence à ce que le football français arrête de vivre au-dessus de ses moyens et retrouve une gouvernance professionnelle ! »