« Je considère que CNews est une chaîne d’opinion, et nous ne faisons pas le même travail. » Auditionnée ce mardi après-midi au Sénat, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, a été interrogée à plusieurs reprises, notamment par les élus Les Républicains, sur les propos polémiques qu’elle a pu tenir contre la chaîne du groupe Bolloré. « Je pense qu’à un moment, c’est bien de dire les choses », s’est-elle défendue sans aller jusqu’à requalifier explicitement CNews « d’extrême droite », comme elle l’avait fait dans les colonnes du Monde le 18 septembre.
« LCI est une chaîne d’info, BMF est une chaîne d’info et franceinfo est une chaîne d’info. Notre rôle est d’accueillir la multiplicité des opinions et des points de vue et de considérer que le téléspectateur se fera sa propre idée avec son esprit critique », a-t-elle expliqué. « Nous avons cette obligation d’impartialité, c’est une règle cardinale à laquelle nous ne dérogerons jamais, mais dans le même temps nous ne pouvons pas considérer que toutes choses se valent », a estimé la patronne de France télé. Elle a également déploré « le dénigrement massif » dont France Télévisions est la cible, assurant tenir à la disposition des sénateurs « la liste des verbatims atroces et quotidiens dont est affublé le service public ».
« Une faute morale » aux yeux de la droite
Au cours de cette audition d’un peu moins de deux heures, de nombreux sénateurs LR se sont émus des prises de position récentes de Delphine Ernotte Cunci, qui vient d’être renouvelée pour un troisième mandat à la tête de la télévision publique. « Que devons-nous comprendre ? Que le service public aurait pour mission d’être un contrepoids au groupe Bolloré, de lui faire barrage coûte que coûte, d’être un missionnaire se dressant contre une pensée jugée moralement inadaptée, avec pour rôle d’enseigner aux Français la bonne manière de penser ? », a épinglé le sénateur LR Max Brisson. Son collègue, Jacques Grosperrin a estimé qu’elle avait commis « une faute morale ». « Quand on est à la tête d’un service public financé à hauteur de 80 % par des subventions d’Etat, je pense qu’à un moment donné on aurait aimé vous entendre plus interrogative qu’affirmative. »
Mais plusieurs voix se sont aussi élevées dans les rangs de la gauche pour défendre la présidente de France Télévisions. « Dire que CNews est une chaîne d’extrême droite, de mon point de vue, ce n’est pas une provocation mais un constat courageux », a déclaré le socialiste Adel Ziane. Sylvie Robert, oratrice du groupe socialiste sur le projet de holding, lui a assuré « son soutien dans un contexte d’offensives ».
« Sur CNews j’ai eu une expérience très malheureuse », a voulu témoigner le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. « Je suis arrivé sur leur plateau et j’ai eu le sentiment d’être devant un tribunal. C’était la dernière fois, je n’y suis plus retourné. Aujourd’hui, ils ont un problème de pluralisme, évidemment, lorsque l’on traite les hommes de gauche de coupables, ils ne vont plus sur les plateaux… »
Des accusations de partialité
Revenant sur l’affaire des journalistes politiques Thomas Legrand et Patrick Cohen, accusés de partialité après la diffusion d’une vidéo les montrant en train de déjeuner avec des responsables socialistes, le rapporteur Cédric Vial a évoqué « une stratégie établie en dehors de l’audiovisuel public, par un parti politique ». Delphine Ernotte Cunci a estimé pour sa part que « c’est le boulot des journalistes d’aller déjeuner avec des hommes politiques ». « Est-ce que l’on pourrait reprocher à un autre journaliste d’avoir dîné avec Monsieur Sarkozy ? », a-t-elle interrogé, en référence au repas qu’auraient partagé dans un palace parisien Pascal Praud l’animateur de CNews et l’ancien président de la République, la veille de sa condamnation, selon une information du Canard enchaîné. Elle reconnaît toutefois que cette vidéo a pu « semer le trouble ».
« On s’est concertées avec ma collègue Sibyle Veil [la présidente de Radio France, ndlr] sur ce qu’il fallait faire de cette vidéo et de ce que dit Patrick Cohen… Et il se trouve que Patrick Cohen ne dit rien », pointe Delphine Ernotte Cunci, rappelant que les deux comités d’éthique de l’audiovisuel public en sont arrivés à la même conclusion.
Une situation financière « critique »
Sans surprise, la patronne de France télé a été interrogée à plusieurs reprises sur la situation budgétaire de l’entreprise, récemment épinglée dans un rapport sévère de la Cour des comptes. Depuis 2017, les capitaux propres de France Télévisions sont passés de 294 millions à 179 millions d’euros, avec un déficit cumulé de 81 milliards d’euros. Le budget 2025 devrait être marqué un résultat net négatif de 40 millions d’euros, indique les Sages de la rue Cambon, qui alertent sur « l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la première entreprise de l’audiovisuel public. »
« Le rapport alerte sur la situation financière du groupe, qui est qualifiée de ‘critique’, je rejoins cette analyse en tout point, d’autant plus facilement que je ne cesse d’alerter les pouvoirs publics sur cette situation », a expliqué Delphine Ernotte Cunci, ciblant principalement la baisse des fonds alloués par l’Etat et l’absence de contrat d’objectifs et de moyens. « Entre 2015 et 2025, les concours publics ont diminué alors même que l’inflation a progressé de plus de 20 %. Cela signifie que France Télévisions coûte à la collectivité nationale près de 20 % de moins qu’il y a dix ans », a-t-elle expliqué. « Nous avons diminué nos effectifs de 1 200 ETP et nos charges de 15 %. Cet effort a peu d d’équivalents dans la sphère publique. »
« Pour réduire le déficit prévisionnel, tous les leviers ont été activés : nous avons diminué de 5 % l’ensemble de nos contrats d’émissions de flux, nous avons arrêté des programmes, nous avons réduit le train de vie de l’entreprise et baissé les effectifs, mais force est de constater que l’écart entre nos moyens et les missions assignées à France Télévisions ne cesse de se creuser et rend impossible un retour à l’équilibre en quelques mois », a-t-elle déploré. Un argumentaire qui n’a, semble-t-il, pas convaincu tous ses interlocuteurs. « Avez-vous pensé que vous faisiez le mandat de trop ? », a tancé le sénateur Max Brisson. Réponse de l’intéressée : « Est-ce que je fais un mandat de trop ? Je fais plutôt un mandat de plus, Monsieur Brisson. »
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. sera auditionnée le mercredi 8 octobre par la commission de la Culture du Sénat.