Comment expliquer un tel cambriolage dans le plus grand musée du monde, en plein cœur de Paris ? Une réunion de sécurisation du Louvre, resté fermé ce lundi après le vol dimanche matin de plusieurs bijoux d’une valeur inestimable, a eu lieu dans la matinée autour du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, et de la ministre de la Culture, Rachida Dati, pour tenter de comprendre ce qui a pu dysfonctionner. Laurence des Cars, la présidente-directrice du musée du Louvre, apportera également quelques éléments de réponse à la représentation nationale. À la tête de l’établissement depuis 2021, elle sera auditionnée par la Commission de la Culture du Sénat le mercredi 22 octobre, à partir de 16 h 30, indique à Public Sénat son président, le centriste Laurent Lafon.
Un scénario digne d’Arsène Lupin ou d’Ocean’s Eleven. Il n’aura fallu que huit petites minutes à quatre malfaiteurs, dimanche à partir de 9 h 30, pour s’introduire dans le Louvre à l’aide d’un monte-charge, et en ressortir avec une poignée de joyaux historiques exposés dans la galerie d’Apollon. Huit pièces d’une valeur inestimable, parmi lesquelles le collier et une boucle d’oreille de la parure de saphirs de la reine Marie-Amélie et de la reine Hortense, et le diadème de l’impératrice Eugénie. La couronne de diamants et d’émeraudes de la même souveraine, épouse de Napoléon III, a été retrouvée endommagée un peu plus tard aux abords du bâtiment, probablement égarée par les voleurs dans leur fuite.
En quelques heures, ce spectaculaire braquage au cœur de l’un des vaisseaux amiraux du patrimoine français a pris une tournure très politique. Il y a d’abord eu les piques lancées par plusieurs figures de la gauche parisienne contre la ministre Rachida Dati, candidate aux municipales à Paris, sur l’inertie des services de la Culture malgré les alertes répétées des employés du Louvre sur la vétusté des infrastructures. Puis c’est le député LR Alexandre Potier, ancien ministre de Michel Barnier, qui a annoncé vouloir proposer une commission d’enquête parlementaire sur « la protection du patrimoine des Français et la sécurité des musées ».
« Depuis plusieurs années, nous pointons les difficultés que rencontre l’entretien du patrimoine »
« Avant d’ouvrir des commissions d’enquête, attendons de voir ce que dira le rapport de la Cour des comptes. Les premières pages, relayées dans la presse, me semblent assez critiques », relève le sénateur Laurent Lafon. Dans un rapport encore non publié, mais que franceinfo a pu consulter, les sages de la rue Cambon alertent sur les retards « considérables » pris par l’institution dans la mise en conformité de ses dispositifs techniques. La juridiction financière note l’écart entre le budget annuel de fonctionnement du musée, de 323 millions d’euros, et les montants engagés pour les travaux d’entretiens et de remise aux normes, qui ne correspondraient pas aux besoins réels.
« Je trouve dommage de devoir attendre une commission d’enquête pour se préoccuper de ça », soupire la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly. « Au Sénat, depuis plusieurs années, nous pointons les difficultés que rencontre l’entretien du patrimoine. » En février dernier, Kim Pham, administrateur général de l’établissement public du musée du Louvre, était auditionné au Palais du Luxembourg. À l’époque déjà, il dressait un état des lieux inquiétant sur « l’état défectueux, parfois délabré des équipements ». Les questions de « sûreté » faisaient partie de ses principales préoccupations, au même titre que « l’électricité, le chauffage et la climatisation, les huisseries, etc. » « Nous ne pouvons pas considérer que réparer l’existant suffise. Si nous optons pour cette solution, nous serons confrontés aux mêmes problèmes à peu près tous les quinze ans », avait-il expliqué.
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Le projet « Louvre-Renaissance »
Pour mémoire : le 28 janvier 2025, Emmanuel Macron s’était porté au chevet du Louvre, annonçant un grand plan de « renaissance » du musée, incluant notamment la création d’une nouvelle entrée, une augmentation du prix des billets pour les visiteurs étrangers (hors UE) et le déplacement de la Joconde dans une nouvelle salle d’exposition. Des travaux estimés à 800 millions d’euros – contre 552 millions pour le chantier de Notre-Dame de Paris -, qui doivent être financés par des subventions publiques, la billetterie et le mécénat.
Depuis, un concours international d’architecture a été lancé. Le 7 octobre, cinq propositions ont été retenues par un jury international.
« Ce vol nous montre qu’aujourd’hui, malheureusement, l’essentiel n’est plus assuré », soupire le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, archéologue de profession. « Cela fait des années que nous demandons au ministère une évaluation des moyens à disposition des établissements culturels pour faire face aux grands enjeux, notamment sur la gestion de risques, pas seulement en termes de sécurité mais aussi sur des sujets comme l’adaptation au réchauffement climatique », explique-t-il.
« Il n’y a pas que le Louvre qui est concerné »
« Depuis une quinzaine d’années, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont eu tendance à considérer que l’Etat ne pouvait rien faire de plus pour ces grands établissements et qu’il leur incombait de trouver les subventions nécessaires. La réalité, c’est qu’en dépit des fréquentations en hausse, ils ne sont toujours pas en bonne santé », poursuit Pierre Ouzoulias. « Il n’y a pas que le Louvre qui est concerné. Le site François-Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France consomme autant d’énergie qu’une ville de 30 000 habitants ! Il faudrait engager des travaux énormes pour réduire la facture ». L’élu ajoute : « La France est la première destination touristique du monde grâce à son patrimoine. Il faut garder à l’esprit que ce sont des investissements qui rapportent. »
« Depuis des mois, les débats se concentrent sur la réforme des retraites. Mais les gens doivent avoir à l’esprit qu’à ne pas vouloir traiter l’une des causes du déficit, ce sont d’autres pans de nos politiques publiques, notamment la culture, qui finissent par être impactés dans un contexte de réduction des dépenses », pointe Laurent Lafon. Le président de la commission de la Culture s’inquiète désormais à l’idée « de voir nos grands musées devenir des cibles privilégiées pour des cambrioleurs de haute volée ».
« Il y a effectivement des œuvres hors de prix dans nos musées, et pas seulement les établissements nationaux », abonde la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, qui a travaillé sur les restitutions de biens culturels appartenant aux collections publiques. « Nous parlons d’œuvres très célèbres, qui ont été recensées. Il est extrêmement compliqué de revendre ce type de pièce, à moins de fournir un collectionneur privé qui convoite une œuvre en particulier », nuance-t-elle. « À la faveur de la préparation de l’examen du budget, nul doute qu’il y aura un coup de projecteur sur la sécurisation de nos musées. Le drame du Louvre aura au moins eu ce mérite. »