Léa Salamé se souvient de Jean-Pierre Elkabbach : « Je vais vous former à la dure… On verra ce que cela donne »

La journaliste de France Inter a fait ses débuts dans le métier grâce à Jean-Pierre Elkabbach. Recrutée comme stagiaire chez Public Sénat par le fondateur de la chaîne, mort mardi à 86 ans, elle se souvient d’un homme exigeant, souvent sévère, mais jamais avide de conseils.
Romain David

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C’est sous son égide qu’elle a fait ses premières armes. Léa Salamé, qui règne depuis 2014 sur la matinale de France Inter, a débuté à l’antenne de Public Sénat au début des années 2000, sous le regard de Jean-Pierre Elkabbach. Le fondateur de la chaîne, disparu ce mardi 3 octobre à 86 ans, a rapidement repéré l’apprentie journaliste, rentrée comme stagiaire grâce à un coup de pouce de son père, l’ancien ministre et politologue libanais Ghassam Salamé. Interrogée par Public Sénat, Léa Salamé se remémore ses débuts dans l’ombre de cet inusable vétéran du journalisme politique.

« Public Sénat venait de se créer, personne ne connaissait les chaînes parlementaires. J’arrive et j’étais tout intimidée. Il me dit : ‘Je vais vous former à la dure… On verra ce que cela donne’ », raconte Léa Salamé.

« On avait peur de lui, on bossait pour lui, mais il nous entraînait »

Chargée de caler les invités pour les différentes émissions de l’antenne, elle se distingue finalement à l’occasion du Congrès de l’Association des maires de France, un événement couvert par la chaîne. « À l’époque, il était fâché avec Michel Charasse, qui était dans le conseil d’administration de Public Sénat. Il regarde sa télé, et il voit Charasse sur le plateau, alors que Charasse n’était plus venu sur notre antenne depuis un an. Il lance : ‘Qui a ramené Charasse ?’. On lui répond : ‘La petite stagiaire’. Il m’appelle dans son bureau et me dit : ‘Bravo ! Demain vous faites le flash d’information !’ Et cela a commencé comme ça. »

 Il nous faisait croire qu’on bossait pour CNN, que c’était the place to be !  

Léa Salamé se souvient d’un homme « exigeant, intense dans tout ce qu’il faisait ». « Il pouvait se battre pendant des mois pour décrocher un invité. On lui disait non, il revenait par la fenêtre. On lui disait encore non, il revenait par un trou de souris », explique-t-elle.

« On avait peur de lui, on bossait pour lui, mais il nous entraînait. On était une très petite rédaction à l’époque, et il nous faisait croire qu’on bossait pour CNN, que c’était the place to be ! », sourit la journaliste.

« Vous avez intérêt à être prise, parce que je ne garde pas les déchets !’ »

En 2006, lorsqu’elle décide de s’envoler pour d’autres horizons professionnels, sa relation avec Jean-Pierre Elkabbach se complique brusquement. « Cela faisait trois ans que j’étais dans la chaîne, et à côté se montait France 24. J’avais passé des entretiens. Il l’avait appris et il était furieux contre moi. Il m’avait chopée un peu violemment dans la cour du Sénat, en me disant : ‘Vous avez intérêt à être prise, parce que je ne garde pas les déchets !’ », raconte Léa Salamé.

Les deux ne se parleront plus pendant plusieurs années, avant que le contact ne se rétablisse peu à peu, la notoriété grandissante de la journaliste aidant. « Il a vu mon évolution, et il l’a accompagnée. J’avais souvent des petits textos, de petits messages avant un débat d’entre-deux tours ou avant l’interview du 14 juillet. On déjeunait parfois ensemble ».

« Sa complicité avec les politiques restera son angle mort »

En 2022, à l’occasion de la sortie des mémoires de Jean-Pierre Elkabbach, Léa Salamé le fait venir dans la matinale de France Inter, de quoi sceller leur réconciliation. « J’avais l’impression de lui rendre ce qu’il m’avait donné, et aussi de le rendre aux Français. », confie-t-elle. « À la fin, durant l’une de nos dernières conversations, il m’a dit : ‘Je ne vous l’ai pas dit, mais je suis fier de vous’ ».

« Sa complicité avec les politiques restera son angle mort, son point faible. On lui reprochera toujours cela, mais n’empêche qu’il les avait quand il fallait les avoir, à l’instant T », note Léa Salamé.

Elle salue en revanche sa pugnacité et sa détermination face à ces différents interlocuteurs, un style qui a ouvert la voie à de nombreux intervieweurs politiques. « Ce que l’on retiendra, c’est son talent inouï sur les interviews. Il était clairement l’un des meilleurs […]. Son interview, c’était une vraie dramaturgie. Tous les matins, à Europe 1, il jouait sa vie. »

Léa Salamé évoque enfin l’interview fleuve que lui accorde François Mitterrand, déjà très malade, en 1994. « Ce sont des entretiens absolument éblouissants, qu’il a voulus pendant des années. Les deux avaient l’obsession de la mort. Il finit par les avoir, et ils resteront pour l’histoire. »

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