En cette veille de journées du patrimoine, depuis la Côte d’Or, Emmanuel Macron a présenté des mesures pour préserver le patrimoine religieux français. Et elles étaient attendues. En effet, les églises des petits villages français sont menacées : entre 2 500 et 5 000 d’entre elles risquent d’être abandonnées, vendues ou détruites d’ici 2030, d’après l’Observatoire du patrimoine religieux. Ce chiffre est cité dans un rapport sénatorial, remis en juillet 2022, et rédigé par le communiste Pierre Ouzoulias et la LR Anne Ventalon. Il alerte sur l’état du patrimoine religieux, « de plus en plus menacé, du fait d’un manque d’entretien », et propose des mesures pour le préserver.
Le Président a donc détaillé sa stratégie, afin de remédier à une situation qui « nourrit un sentiment d’indignation chez beaucoup de nos élus et nos habitants parce qu’il y a un attachement à ce patrimoine, que l’on croit ou que l’on ne croit pas », a-t-il expliqué. La présentation d’un plan est chaleureusement accueillie au Sénat, d’autant qu’il s’est basé sur son rapport de juillet 2022. « Nous avons travaillé avec le ministère de la Culture, cela montre que le travail parlementaire est utile et considéré », se félicite Pierre Ouzoulias, co-auteur du rapport, pour publicsenat.fr. « Sur le patrimoine religieux, il y a un vrai consensus gauche-droite, croyants-non croyants », se réjouit-il.
« Il y a plus d’argent, c’est bien, mais il ne faut pas rajouter de la complexité pour les élus locaux »
Le plan de sauvegarde du patrimoine religieux passe d’abord par l’ouverture d’une souscription, exonérée d’impôts sur le modèle des dons à Notre-Dame de Paris, c’est-à-dire à 75% plafonnés à 1000€. Elle aura vocation à « permettre, sur 4 ans, de mobiliser 200 millions d’euros », a déclaré Emmanuel Macron. « Cela privilégie la souscription populaire », analyse Pierre Ouzoulias, « mais il faut être vigilant à ce qu’il y ait de la cohérence entre l’action de la Fondation du patrimoine [qui gère la souscription], les directions régionales des affaires culturelles, et ce que fait Stéphane Bern dans la mission que lui a confiée le Président ». Le sénateur craint que ces nombreuses initiatives n’ajoutent de la complexité dans un domaine qui en comporte déjà beaucoup, et dans lequel les procédures sont souvent menées par des collectivités locales mal outillées pour y faire face. « Il y a plus d’argent, c’est bien, mais il ne faut pas rajouter de la complexité pour les élus locaux, alors que ça l’est déjà », résume-t-il. C’est la Fondation du patrimoine qui sélectionnera les projets qui seront financés par la collecte, en fonction de « l’intérêt patrimonial de l’édifice, l’urgence et aussi la question de l’usage qui doit s’ouvrir aux concerts, expositions, conférences », explique son président Guillaume Poitrinal à l’AFP.
Autre bémol pour le sénateur, archéologue de profession : l’absence d’inventaire national du patrimoine religieux. « On a recensé 100 000 édifices religieux, dont 40 000 appartiennent aux mairies, et on en n’a pas l’inventaire », s’étonne-t-il, « lors de la rédaction du rapport, nous avions considéré que l’estimation la plus proche de la réalité était réalisée par l’Observatoire du patrimoine religieux, qui est une association. 200 millions d’euros sont attendus à l’issue de la souscription, mais comment peut-elle être faite sur la base d’un inventaire qui n’existe pas ? ». Le Président a fait part, ce midi, de sa volonté de recenser tous ces lieux.
L’autre mesure forte du plan d’Emmanuel Macron, c’est le classement en monument historiques de nouveaux bâtiments. « Ce sont essentiellement des édifices des XIXe et du XXe siècles, beaucoup d’églises, datant de post 1905, ou plus récentes, des années 1950-1960, en béton », détaille Pierre Ouzoulias, « c’est une bonne chose de faire le point sur ce patrimoine mal connu et mal classé ».
« Les aspects structurels ne sont pas traités, car cela réclame des réflexions qui ne sont pas en phase avec le temps de l’annonce politique »
Si les sénateurs ont été entendus, ce ne sont pas toutes leurs mesures qui ont été suivies. « Comme toujours, les aspects structurels mis en avant dans le rapport ne sont pas traités, car cela réclame des réflexions qui ne sont pas en phase avec le temps de l’annonce politique », se désole Pierre Ouzoulias. Ce qu’ils demandaient, avec la co-rapporteure, c’était une réorganisation des rôles au sein de la politique culturelle et plus précisément du patrimoine non classé. « Il faut clarifier les compétences. Aujourd’hui, l’Etat est dans l’incapacité structurelle de s’en occuper, cette mission revient donc par défaut aux collectivités ». Pour cela, le communiste propose de s’appuyer davantage sur les CAUE, les Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, instances au niveau départemental. « Ils sont très proches du terrain, au cœur de la relation entre la commune et le département, et disposent d’une fiscalité propre, car ils touchent une partie de la taxe d’aménagement », argumente-t-il.
Sur le sujet de la sauvegarde du patrimoine, Pierre Ouzoulias ne manque pas de solutions. Le sénateur communiste appelle aussi de ses vœux une « réflexion plus profonde sur la décentralisation de la culture ». « Aujourd’hui, elle est encore beaucoup pilotée par l’Etat, mais qu’est-ce qui le justifie ? Les plus gros financeurs de la culture, ce sont les collectivités locales, pas l’Etat », argumente-t-il.
Une fois que les églises sont rénovées, comment les utiliser ? Le rapporteur plaide pour une ouverture de ces dernières : « Il faut des usages partagés des églises, on ne peut pas accepter de rénover des édifices où il ne se passe plus rien ».