Le Sénat a adopté dans la nuit de samedi à dimanche une taxation des plateformes de streaming musical, destinée à assurer le financement du nouveau Centre national de la musique (CNM). Cette contribution obligatoire était portée de manière transpartisane par une poignée d’amendements identiques, déposés par cinq groupes politiques différents. « Je ne suis pas par nature un adepte des taxes, et cela m’embête de tenir une promesse faite par un candidat devenu président, réélu, et par son gouvernement, qui est aux abonnés absents, qui ne tient pas parole et n’apporte pas de solution », a raillé en début de discussion le rapporter LR Jean-François Husson, lui-même auteur de l’un des amendements portant création de cette taxe.
Lancé en 2020, le Centre national de la musique a largement bénéficié, ces trois dernières années, des aides exceptionnelles débloquées pour permettre au secteur d’affronter la pandémie et les mesures de restriction qui ont suivi. Mais avec la fin du « quoi qu’il en coûte », le projet de loi de finances pour 2024, actuellement débattu au Sénat, prévoit un budget global en très nette baisse à un peu plus de 67 millions d’euros. Cette enveloppe devrait permettre au CNM de dégager entre 25 et 30 millions d’aides, loin toutefois des 60 millions nécessaires, selon une estimation du secteur. Le 21 juin, Emmanuel Macron avait déjà demandé aux plateformes de s’entendre sur un mode de financement pérenne, en agitant la menace d’une taxe. Celle-ci, néanmoins, ne figurait pas dans la version du budget déposée à la Chambre Haute, après recours au 49.3 pour une adoption sans vote à l’Assemblée nationale.
Les négociations sont toujours en cours entre les plateformes de streaming et le gouvernement
« À l’heure où l’argent coule à flots sur le pass culture, celui qui tient la calculette n’est pas capable de mettre 10 ou 20 millions d’euros pour financer le CNM, c’est une honte totale ! », s’est agacé le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Le ministre des Compte public, Thomas Cazenave, a reconnu que le financement du CNM était « un enjeu fondamental », mais a également indiqué que les discussions entre les plateformes et le gouvernement se poursuivaient. Il a émis un « avis de sagesse » sur les amendements proposés, signifiant que l’exécutif, sans les soutenir, a choisi de ne pas s’y opposer non plus.
« On sait qu’il y a une tension très forte entre le gouvernement et les plateformes de streaming. Elles ne veulent pas de cette taxe, elles veulent une contribution volontaire, c’est-à-dire de pouvoir décider du montant de leur intervention, ce qui nuirait considérablement à la stabilité et à la visibilité du CNM », a relevé la socialiste Sylvie Robert.
Le mécanisme retenu par le Sénat s’inspire de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV), actuellement affectée au Centre national du cinéma. Cette nouvelle contribution cible toutes les plateformes, payantes et gratuites, son montant s’appuie à la fois sur leur chiffre d’affaires et sur les revenus issus de la publicité. Selon le rapporteur Jean-François Husson, le rendement attendu de cette taxe est de 15 millions d’euros par an. « Le spectacle vivant est déjà ponctionné », a relevé le sénateur écologiste Thomas Dossus. « Il faut désormais le faire à d’autres endroits où la valeur se crée en termes de musique pour pouvoir financer, ensuite, les missions du CNM. »
Le risque d’un nouveau 49.3
Le vote du Sénat a été salué par un communiqué commun de six organisations syndicales du secteur, relayé sur X (anciennement Twitter). La contribution adoptée « est bien plus sécurisante que le mécanisme de contribution volontaire qui fait toujours l’objet d’une discussion entre certains acteurs opposés à ce projet commun pour le CNM. Une solution en trompe-l’œil, fragile, qui conditionnerait l’avenir du CNM au bon vouloir d’une poignée d’acteurs privés et la priverait d’une complète indépendance », écrivent-ils.
Les discussions budgétaires doivent se poursuivre au Palais du Luxembourg jusqu’au 12 décembre. Notons toutefois que les apports du Sénat pourront toujours être rayés d’un trait de plume par le gouvernement lors du retour du texte à l’Assemblée nationale. Cette seconde lecture devrait, selon toute vraisemblance, essuyer un nouveau 49.3 dans un contexte de majorité relative pour l’exécutif.