« On ne veut plus participer à cette mascarade ! » : la gauche quitte l’hémicycle du Sénat, après le recours au vote bloqué sur la réforme de l’audiovisuel public

La gauche a multiplié les rappels au règlement après le recours de la ministre de la Culture au vote bloqué, pour permettre à la réforme de l’audiovisuel public d’être adoptée dans les temps au Sénat. Avant de quitter la séance.
Guillaume Jacquot

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Le Sénat n’avait pas connu une atmosphère aussi électrique depuis les débats houleux sur la réforme des retraites de mars 2023. Au lendemain d’une séance chaotique, qui a donné le ton de cette deuxième lecture de la réforme de l’audiovisuel, une proposition de loi d’origine sénatoriale, la reprise ce vendredi matin avait pourtant semblé s’engager dans des conditions plus sereines. Mais au bout d’une demi-heure de prises de parole répétées de la gauche, sur deux de ses amendements, en vue d’obtenir de nouvelles garanties pour l’indépendance des médias et les libertés éditoriales dans l’audiovisuel public, la ministre de la Culture a fait appel à l’un des armes constitutionnelles pour mettre fin à ce qu’elle a qualité « d’obstruction ». Rachida Dati a annoncé recourir aux dispositions de l’article 44-3 de la Constitution, le vote bloqué.

Régulièrement qualifiée de « 49-3 sénatorial » par ses opposants, cette procédure permet de faire adopter à travers un vote unique le texte, enrichi d’une trentaine d’amendements choisis par le gouvernement. Quant aux autres amendements restants sur les 300 encore en discussion, la parole ne sera accordée sur chaque amendement qu’à un orateur, à la commission et au gouvernement. Le principal amendement retenu consiste à exclure France médias monde (France 24 et RFI) de la tutelle de la holding qui doit chapeauter les sociétés de l’audiovisuel.

Après deux heures de suspension de séance, l’arrivée en catastrophe du ministre chargé des Relations avec le Parlement, suivies de rappels au règlement en cascade à la reprise, la gauche a finalement décidé de quitter l’hémicycle en début d’après-midi, après avoir qualifié la décision de la ministre de « coup de force » et dénié les accusations d’obstruction sur ce texte inscrit en toute fin de session extraordinaire.

« Vous êtes en train de brutaliser le Sénat »

« On vous laisse ensemble, on ne veut plus participer à cette mascarade », a lancé le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, constatant que les « masques tombent » et que la proposition de loi Lafon (du nom du président centriste de la commission de la culture qui la porte depuis le début) est désormais le « projet de loi de Mme Dati ». « Vous êtes en train de brutaliser le Sénat […] Mesdames et Messieurs les censeurs, bonsoir ! » s’est également exclamé le président du groupe écologiste Guillaume Gontard.

La gauche, qui en a appelé en vain à Gérard Larcher, a laissé entendre que le vote bloqué voulu par la ministre s’est fait sans concertation ni avec le président du Sénat, ni avec le Premier ministre François Bayrou.

« La proposition de loi n’a pas été discutée à l’Assemblée nationale, après une manœuvre montée entre la ministre et une partie du RN, il n’y a pas eu de débat en commission et pas de débat en séance au Sénat et on parle de liberté de la presse ! Commencez déjà par respecter les droits du Parlement pour prouver vos intentions », a enjoint la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. « Tout cela vous arrange, car vous n’aviez pas d’argument, donc il vaut mieux clôturer », a ironisé Sylvie Robert, la cheffe de file des socialistes sur ce texte. Tout au long de la matinée mais aussi de la séance de la veille, la gauche a reproché à la ministre de refuser de répondre sur le fond des interventions. À plusieurs reprises, les parlementaires de gauche ont mis en garde leurs adversaires contre le risque de censure au Conseil constitutionnel, en raison de la configuration de l’examen du texte.

Plusieurs élus ont par ailleurs fait référence à la décision du Conseil constitutionnel de rendre inéligible le député Renaissance Jean Laussucq (Paris), un proche de la ministre de la Culture. « Peut-être avez-vous été perturbée », a déclaré le socialiste Yan Chantrel.

« L’obstruction n’est pas une opinion ! »

Beaucoup moins présente en proportion que la gauche dans ce débat, la majorité sénatoriale de droite et du centre a de son côté attaqué la trop grande redondance des argumentaires. « Ce n’est pas le nombre d’amendements le problème, c’est que vous avez méthodiquement pris la parole systématiquement, utilisé chaque membre de votre groupe pour ralentir les débats ! L’obstruction n’est pas une opinion, c’est une méthode pour empêcher les autres d’affirmer la leur », a dénoncé le rapporteur de la proposition de loi, le sénateur LR Cédric Vial, un proche de Michel Barnier. « La session extraordinaire est surréaliste, c’est totalement de votre faute », a également tancé la sénatrice centriste Annick Billon.

Principal auteur de la proposition de loi, adoptée pour la première fois au Sénat en juin 2023, Laurent Lafon (Union centriste) a rappelé que le texte n’avait pas suscité une levée de boucliers aussi violente il y a deux ans. L’ancien chef de file des socialistes David Assouline avait qualifié le texte de « toute petite loi », mettant en doute son avenir au-delà des murs du Sénat. « Qu’est-ce qui justifie ce changement de position », s’est interrogé le président de la commission de la culture et de l’éducation. Selon lui, « l’obstruction a été caractérisée ». « La raison est très simple, ce texte a ici une majorité pour être voté ».

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