Fer de lance de la politique d’accès des jeunes à la culture depuis 2017, le pass Culture ne semble pas pleinement satisfaire les magistrats de la Cour des comptes. Dans un rapport dévoilé ce 17 décembre, ils épinglent les nombreux défauts de cette enveloppe de 300 euros, confiée à tous les jeunes de 18 ans pour financer des activités culturelles.
Seul point positif du pass : la grande majorité des jeunes en font usage. Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, salue ainsi « une incontestable réussite quantitative ». Concrètement, 84 % des jeunes utilisent leur pass, en grande majorité pour acheter des livres (entre 42 et 55 % du montant du pass selon les trimestres).
Un appel « à la vigilance sur la diversité et la qualité de l’offre culturelle »
Tout en reconnaissant son « appropriation massive par les jeunes », Pierre Moscovici souligne tout de même que le travail de démocratisation n’est pas tout à fait achevé. Les 16 % de jeunes qui ne se sont pas encore approprié le dispositif « correspondent aux publics les moins familiers des pratiques culturelles », estime la Cour des comptes. « Les seuls principes d’universalité du pass et de gratuité de l’offre ne suffisent pas à démocratiser l’accès à la culture », conclut le premier président. Ce manque de diversité du public avait déjà été pointé à l’été 2023 par un rapport du Sénat, qui affirmait notamment que seul 7 % des utilisateurs du pass étaient non-scolarisés, alors qu’ils représentent 20 % des jeunes.
Au-delà du public visé, la Cour des comptes appelle « à la vigilance sur la diversité et la qualité de l’offre culturelle ». « L’objectif quantitatif – maximiser le nombre de jeunes bénéficiaires – a prévalu sur le souci de qualité des offres, dont le nombre pléthorique de 36 000 montre l’absence de sélectivité », dénonce le rapport. Faute de contrôles de la part de la société privée gestionnaire du pass Culture, la Cour des comptes s’est ainsi aperçue que 16 millions d’euros ont été dépensés dans des activités d’ « escape game ». Suite à cette découverte, le ministère de la Culture a depuis demandé le déréférencement de 500 offreurs sur le site du pass.
De manière générale, malgré une abondance d’offres très peu contrôlées, ce sont les géants du secteur qui profitent d’abord du dispositif. Sur le volume total de ventes générées par le pass Culture entre 2019 et 2024, 15 % ont été réalisées par la Fnac, générant un chiffre d’affaires de 105 millions d’euros pour le groupe. Parmi les grands gagnants, on retrouve aussi les cinémas : Pathé/Gaumont est ainsi le deuxième groupe le plus sollicité, avec près de 7 % des ventes générées par le pass. Le grand succès de ces enseignes se fait surtout au détriment du spectacle vivant, souligne la Cour des comptes. Seuls 7 % des jeunes ont déjà réservé au moins une place de théâtre, un opéra, ou encore un spectacle de danse avec leur pass.
« À financement public, gestion publique »
La cause de ce manque de diversité : une absence de médiation par la société gestionnaire du dispositif. Selon le rapport, 90 % des achats sur l’application du pass Culture ont été réalisés depuis le moteur de recherche du site, contre 6 % après consultation de la page d’accueil qui concentre les offres culturelles conseillées par l’application. Ce qui signifie que la plupart des jeunes savent déjà ce qu’ils cherchent avant de se connecter sur le site du pass.
Au début du mois de novembre, la ministre démissionnaire de la Culture Rachida Dati avait indiqué sa volonté de réorienter l’utilisation du pass vers le spectacle vivant et la presse, à l’occasion de l’examen du budget 2025. Pour Pierre Moscovici, l’État doit désormais « se donner les moyens de piloter le pass Culture ». « À financement public, gestion publique », résume le premier président.
En effet, depuis sa création, le dispositif est géré par une société privée qui échappe au contrôle de l’État. « Il faut rapatrier la société dans le giron du ministère de la Culture », demande ainsi la Cour des comptes. Les magistrats avaient déjà formulé cette recommandation à l’été 2023, dans un précédent rapport sur la genèse du pass, et son application par le ministère a été annoncée pour 2025.
Réduire l’enveloppe de 300 à 200 euros, ou conditionner son versement à des « critères sociaux ou territoriaux »
Enfin, la Cour des comptes recommande un « recadrage budgétaire » du dispositif. Avec un budget de 244 millions d’euros en 2024, le pass Culture occupe en effet « la deuxième place parmi les structures financées par le ministère de la Culture après la Bibliothèque nationale de France », souligne le rapport. Outre ce haut niveau de dépenses, les magistrats observent qu’elles ne sont pas encadrées : chaque année, le budget utilisé par le pass s’avère plus élevé que l’enveloppe prévue par la loi de finances. En 2023, le dispositif avait ainsi coûté à l’État 240 millions d’euros, contre les 209 millions budgétés en début d’année. « Le fait d’avoir une logique de guichet amène forcément à une hausse des dépenses », note Pierre Moscovici.
Dans un contexte de réduction globale des dépenses publiques, la Cour des comptes explore plusieurs pistes. Le rapport envisage d’abord une réduction du montant alloué à chaque jeune, qui pourrait passer de 300 à 200 euros, s’appuyant sur le constat que les jeunes consomment en moyenne 257 euros sur leur enveloppe. Les magistrats recommandent également de réduire le nombre de bénéficiaires du pass, en ciblant les bénéficiaires « selon des critères sociaux ou territoriaux ».
Un levier que compte actionner Rachida Dati. Dans une tribune publiée dans Le Monde au mois d’octobre, elle affirmait vouloir « donner davantage aux jeunes de condition modeste, sans négliger les classes moyennes ». Pierre Moscovici s’est félicité de la volonté de la ministre de réformer le pass, reste à savoir si celle-ci conservera son portefeuille avec la nomination de François Bayrou à Matignon.