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Respect du pluralisme sur CNews : en quoi la décision du Conseil d’Etat est « historique » 

Saisi par l’ONG Reporters sans frontières, le Conseil d’Etat a donné 6 mois à l’Arcom pour renforcer son contrôle en matière de respect du « pluralisme et d’indépendance de l’information » par la chaîne CNews. Jusqu’ici, l’Arcom limitait son contrôle en comptabilisant uniquement le temps de parole des personnalités politiques. Il devra désormais tenir compte « des interventions de l’ensemble des participants » des chaînes de la TNT.
Simon Barbarit

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« Censure », « Maccarthysme », « fichage politique » … La décision du Conseil d’Etat a affolé l’ensemble des participants, chroniqueurs, présentateurs et présentatrices de CNews. Saisi par l’ONG Reporters sans frontières (RSF) qui estimait que la chaîne du milliardaire Vincent Bolloré ne respectait pas ses obligations en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, la plus haute juridiction administrative a donné, mercredi, un éclairage nouveau sur les obligations qui incombent aux vingt-sept chaînes de la TNT.

Que dit la loi de 1986 sur l’audiovisuel ?

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication impose aux chaînes de télévision d’assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information. La rareté des fréquences dans l’audiovisuel avait conduit le législateur à imposer un « pluralisme interne » aux chaînes afin de garantir la neutralité des antennes. Il s’agit d’une différence notable avec la presse écrite et les médias web régis par le principe de « pluralisme externe ». La profusion de titres de presse écrite et de sites internet offre, à elle seule, la possibilité d’une presse d’opinion. C’est à l’Arcom, anciennement CSA, de contrôler le respect du pluralisme interne dans l’audiovisuel. « La loi dicte un principe abstrait et c’est à l’Arcom de trouver les moyens pour mesurer ce pluralisme. Jusqu’à présent il avait trouvé une méthode objectivable qui consiste à comptabiliser le temps de parole des personnalités politiques », rappelle François Jost, sémiologue et professeur en sciences de l’information, dont une étude sur CNews est venue appuyer le recours de RSF. L’association critiquait une diversité insuffisante des points de vue exprimés à l’antenne de CNews, qui serait de fait, selon elle, une chaine d’opinion.

Que va changer la décision du Conseil d’Etat ?

Dans sa décision du 13 février, le Conseil d’Etat juge « que pour assurer l’application de la loi, l’Arcom ne doit pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques.  l’Arcom devra désormais « veiller à ce que les chaînes assurent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités », « suivant des modalités qu’il lui appartient de définir ».

Outre les participants de Cnews, cette décision a provoqué la colère d’une partie de la droite sénatoriale. « La demande du Conseil d’Etat à l’Arcom, Autorité indépendante ne pouvant recevoir aucune injonction, de contrôler le pluralisme politique sur CNEWS est étonnante. Le Conseil d’Etat va demander la même chose sur France Télévision ? Sur BFM ? L’Arcom n’est plus indépendante ? », interroge le sénateur LR Roger Karoutchi sur X. Précisons ici que cette décision ne concerne pas uniquement CNews mais « l’ensemble des chaînes ».

Dans un communiqué, l’Arcom a pris acte de « l’interprétation renouvelée de la loi de 1986 » faite par le Conseil d’Etat qui « renforce la capacité de contrôle par le régulateur des obligations de ces médias ». L’Arcom se dit prête « à prendre en compte les interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités ».

« L’Arcom avait besoin d’une interprétation plus précise de la loi de 1986 »

Un revirement par rapport à la méthode de contrôle du gendarme de l’Audiovisuel. Devant la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias, Roch-Olivier Maistre avait exprimé sa « réticence » à comptabiliser les temps de parole des éditorialistes. « Comment les classe-t-on politiquement ? C’est une zone à risque d’entrer dans cette voie », avait-il jugé, renvoyant ce choix au législateur.

« Le Conseil d’Etat a fait une avancée historique en permettant le contrôle de l’ensemble des invités. L’Arcom avait besoin d’une interprétation plus précise de la loi de 1986. Le Conseil d’Etat vient de dire le droit. Maintenant, cette décision pose le débat sur la faisabilité des critères de contrôle », observe l’ancien sénateur socialiste, David Assouline qui fut rapporteur de la commission d’enquête.

Comment l’Arcom va effectuer ce nouveau contrôle ?

Le Conseil d’Etat a donné 6 mois à l’Arcom pour réexaminer « le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information ». Dans une tribune publiée dans le journal Le Figaro, le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, estime que ce nouveau contrôle étendu à l’ensemble des participants est « une remise en cause de la liberté éditoriale des médias ». « Qui jugera de l’appartenance de tel éditorialiste à tel courant de pensée ? Et selon quels critères ? […] Au royaume du politiquement correct, la frontière est de plus en plus mince entre la classification des opinions et le délit d’opinion », s’insurge-t-il.

Dans son étude sur la chaîne CNews, François Jost avait relevé des pratiques permettant de ne pas prendre en compte certains courants de pensées. « Dans l’émission qui s’appelle Face à Philippe de Villiers, Philippe de Villiers n’est pas comptabilisé comme une personnalité politique. Dans les émissions de débats de CNews, Laurent Joffrin est classé à gauche parce qu’il appartient au mouvement Les Engagé.e.s et il fait face à trois chroniqueurs dont le temps de parole n’est pas pris en compte mais qui travaillent pour Valeurs actuels ou Causeur », explique-t-il.

Pour prendre en compte le temps de parole de tous les participants, François Jost estime « que la méthode la plus universitaire serait de faire une analyse de discours afin de repérer les items classés à gauche ou à droite. Mais elle semble irréalisable au vu du nombre d’heures d’antenne à analyser ». L’économiste Julia Cagé propose quant à elle de prendre en compte « la participation des intervenants aux universités d’été ou autres conventions des partis politiques, […] les contributions à des think tanks rattachés à des partis ou mouvements politiques » et « considérer la signature de tribunes de soutien aux candidats au premier tour de l’élection présidentielle », détaille-t-elle dans le journal Le Monde.

Enfin, la docteure en histoire contemporaine et chercheuse au CNRS Claire Sécail préconise de créer « un baromètre du pluralisme des contenus à la télévision » qui s’appuierait « sur des données déclaratives et subjectives fournies par les intervenants, qui se positionneraient eux-mêmes librement sur une échelle d’opinions ».

 

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