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Taxe sur le streaming musical : « Une solidarité interprofessionnelle profitera à l’ensemble de la filière », selon Julien Bargeton

Emmanuel Macron menace d’instaurer une taxe sur le streaming musical pour financer la création, si les acteurs de la filière ne se mettent pas d’accord entre eux d’ici la rentrée. Cette taxe, qui pourrait être de 1,75%, représenterait de « 15 à 17 centimes par mois, par abonnement », et rapporterait un peu plus de 40 millions d’euros, selon le sénateur Renaissance Julien Bargeton, dont un rapport a inspiré l’idée.
François Vignal

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A eux de s’entendre, ou l’Etat agira. C’est en substance la menace qu’a brandie l’Elysée, mercredi, jour de la Fête de la musique. Si les acteurs de la musique ne parviennent pas à se mettre d’accord d’ici le « 30 septembre » sur de nouvelles voies de financement de la création, « le gouvernement se réservera la possibilité de saisir le Parlement d’une contribution obligatoire des plateformes de streaming » musical, a indiqué par communiqué l’Elysée. Autrement dit une taxe. Le chef de l’Etat a demandé à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, de réunir « sans délai l’ensemble des acteurs de la filière ».

« La préservation d’une riche diversité d’expressions et de talents »

Cette idée de taxe s’appuie sur le rapport que le sénateur Renaissance, Julien Bargeton, a remis à la ministre en avril dernier. Il porte sur le financement de la filière musicale, et l’une de ses principales propositions est la création d’une taxe de 1,75% sur les revenus du streaming musical payant et non payant, afin de financer le Centre national de la musique (CNM), créé en 2020. L’objectif, toujours selon l’Elysée, de « préserver la souveraineté culturelle française » par « la préservation d’une riche diversité d’expressions et de talents, ainsi que les conditions d’une juste rémunération des artistes et des créateurs ».

Pour Julien Bargeton, l’enjeu est de mettre en place « une contribution équitablement répartie sur l’ensemble de la filière. Aujourd’hui, seul le spectacle vivant finance le Centre national de la musique (CNM). Il est logique que le financement puisse reposer sur ses deux jambes, donc le streaming aussi, qui a progressé beaucoup, de + 15% en un an. Aujourd’hui, 60% des revenus de la musique en proviennent ».

« Soft power en matière musicale »

Cette taxe, qui serait adoptée à l’occasion du projet de loi de finances pour l’année 2024, examiné à l’automne prochain, pourrait « rapporter une quarantaine de millions d’euros » pour le CNM, « en plus de ce que rapporte la taxe sur le spectacle vivant, soit une trentaine de millions d’euros », précise le sénateur de Paris.

Le sénateur Renaissance de Paris veut y voir « une forme de solidarité interprofessionnelle, un fonds, un cercle vertueux qui profitera à l’ensemble de la filière. Ça bénéficiera aussi à la musique enregistrée, à aider les artistes à s’exporter, aider les labels indépendants, les plateformes à innover, mais aussi à assurer le rayonnement de la musique dans nos territoires, ou encore à renforcer les travaux d’analyse et d’observation. Tout cela serait financé par l’ensemble de la filière, le CNM étant le bras armé de cette stratégie offensive pour la souveraineté et le soft power en matière musicale », soutient Julien Bargeton. De ce point de vue, le sénateur note que « ça progresse, mais la France perd un peu de place au niveau mondial. La Corée du Sud est maintenant 7e et la France 6e. Ils sont très offensifs », à coup de K-pop bien sûr.

Les majors du disque et les plateformes freinent

Pour l’heure, le sujet fait débat chez les professionnels. Si un certain nombre suivent, les majors et plateformes freinent. « Après avoir empêché la guerre en Ukraine et refondé la France en cent jours, le président Macron s’attaque au streaming », a ironisé sur Twitter Bertrand Burgalat, à la tête du label Tricatel, et président du SNEP, syndicat national de l’édition phonographique qui rassemble des labels et producteurs de musique, dont les majors que sont Universal Music, Warner ou Sony music. « Rapport Bargeton ou comment n’aider que 4 entreprises à exporter (en 3 étapes) », a encore lancé sur le réseau l’artiste.

Dans un communiqué signé avec d’autres organisations, le Snep a ensuite arrondi quelque peu les angles. « Nous entrons dans cette concertation avec l’esprit de responsabilité invoqué par la Présidence et ses grands objectifs, dès lors qu’ils s’appliquent à l’ensemble des artistes produits en France, quelle que soit la structure avec laquelle ils travaillent, labels TPE, PME ou grandes entreprises », peut-on lire. Et d’ajouter que « la situation du streaming reste fragile. Les plateformes françaises et européennes dont le modèle économique est centré sur la diffusion de musique n’ont pas atteint le seuil de rentabilité ». Sans surprise, les plateformes, par la voix de l’ESML (Syndicat des éditeurs de service de musique en ligne) disent pour leur part « craindre les conséquences catastrophiques de cette taxe sur le streaming musical, sur les ayants droits et finalement sur la création ».

« L’idée, c’est que les fonds de catalogue, qui sont amortis, financent la nouveauté »

En octobre 2022, quand l’idée d’une taxe faisait déjà débat, c’est le rappeur Niska qui était monté au créneau. « Non à la taxe streaming, taxe anti-rap, taxe raciste, taxe non-justifiée » avait-il tweeté. Car le grand gagnant du streaming, celui qui totalise le plus d’écoutes, c’est le hip hop sous toutes ses formes, qui a la faveur d’une majorité de jeunes, qui écoutent et consomment la musique via les plateformes.

Pour Julien Bargeton, l’attaque n’est pas justifiée. Le produit de la taxe visera à aider « tous les styles, toutes les esthétiques, y compris le rap ou la french touch. On pourrait avoir une marque french touch qui serait encore plus défendue. L’idée, c’est que les fonds de catalogue, qui sont amortis, financent la nouveauté. Que les anciens financent le renouvellement, l’émergence. Et l’idée que l’aval, ce qui est enregistré, finance l’amont, c’est-à-dire se produire sur scène », explique le sénateur de Paris.

« Une idée extrêmement intéressante, car la taxe va permettre de mutualiser et de redistribuer », salue la socialiste Sylvie Robert

A l’inverse, plus de 20 acteurs de la filière, dont l’Upfi (Union des producteurs phonographiques français indépendants), le Sma (Syndicat des musiques actuelles) et le Prodiss (Syndicat national du spectacle musical et de variété) ont salué dans un communiqué commun « l’annonce volontariste du Président ». « Les professionnels de la filière musicale remercient vivement le président de la République Emmanuel Macron et la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak pour leur engagement fort en faveur du financement de la création musicale » affirme le communiqué, y voyant « une ambition partagée ». Un soutien de 23 organisations « historique », selon Julien Bargeton, qui ajoute :

 Il reste les majors et les plateformes. Mais j’ai envie de les convaincre pour qu’ils voient qu’ils seront aussi gagnants, à terme, des politiques publiques. Et concrètement, la taxe représente 15 à 17 centimes par mois, par abonnement. C’est rien du tout, ça ne va pas les mettre à mal. 

Julien Bargeton, sénateur Renaissance de Paris

Le sénateur Renaissance aura également un soutien du côté du Sénat, avec la sénatrice PS Sylvie Robert. S’ils sont opposés politiquement, elle se dit néanmoins « pour cette taxe à 1,75%, c’est une idée extrêmement intéressante, car c’est un outil qui va permettre de mutualiser et de redistribuer. C’est un peu un outil de régulation de la filière, comme le CNC (Centre national du cinéma) pour le cinéma », soutient Sylvie Robert.

La sénatrice d’Ille-et-Vilaine, qui a travaillé sur le soutien aux festivals, rappelle qu’il « manquait déjà 20 millions d’euros au Centre national de la musique en 2023 ». « Dans son rapport, Julien Bargeton a aussi pointé les trois enjeux de la formation, de la diversité et de l’export. Et je crois que c’est extrêmement important. Car il y a la question de la concentration, de l’uniformisation et de la mise à mal de notre exception culturelle », selon la socialiste. Elle ajoute :

 C’est une question de solidarité entre acteurs et de diversité, de promouvoir les nouveaux entrants, les jeunes et pas seulement ceux qui ont énormément d’écoutes. 

Sylvie Robert, sénatrice PS d'Ille-et-Vilaine

« Le top des 1% les plus streamés représente 41% des écoutes »

Car la musique est extrêmement pyramidale. Une petite élite d’artistes profite du gros du gâteau, sur le plan économique, quand d’autres suivent derrière, avec plus ou moins de succès. En bas du tableau, beaucoup en vivent difficilement, resteront dans des sphères confidentielles ou ne perceront jamais, alors qu’ils le mériteraient.

« Le top des 1% les plus streamés représente 41% des écoutes. Et ça bénéficie essentiellement aux majors. Par ailleurs, le quart des écoutes vient de titres qui ont plus de 10 ans. Et 40% des écoutes proviennent de titres qui ont plus de 3 ans, qui sont amortis aussi », souligne Julien Bargeton, selon qui « on pourrait mettre une aide pour encourager la visibilité, la découvrabilité, sur les plateformes de streaming ». Il faudrait peut-être s’intéresser aussi aux algorithmes, qui sont bien faits… pour laisser l’auditeur dans son domaine d’écoute habituel, sa zone de confort. L’effort de découverte, qu’on attendra par exemple de la part d’un DJ ou d’une radio qui ira chercher de nouveaux talents, n’est peut-être pas toujours la priorité de « l’algo ».

Quid de la rémunération des artistes via les plateformes, souvent très faible ?

Autre enjeu, essentiel : la rémunération des artistes via les plateformes. Elle est ridicule actuellement. Il faut avoir des centaines de milliers d’écoutes, pour ne pas dire des millions, pour espérer toucher des sommes substantielles. Kick Label, qui est spécialisé dans la distribution digitale, explique sur son site avoir « calculé à partir de (ses) rapports Spotify une rémunération moyenne de nos artistes à 0,0021€ par stream. Un million de streams sur Spotify équivaut donc à 2.144 euros environ, soit environ 500 écoutes pour avoir 1 euro ». S’il vous plaît, pour la musique… Face aux critiques, le leader mondial du streaming avait expliqué en 2021 avoir versé plus de 5 milliards de dollars aux ayants droit en 2020.

Pour Julien Bargeton, la question est avant tout contractuelle, entre les artistes et les producteurs ou labels. Mais les grandes stars peuvent plus facilement négocier un contrat plus à leur avantage qu’un artiste émergent. Et par ailleurs, « les majors gagnent beaucoup d’argent », via le streaming, note le sénateur de Paris. En juillet 2022, un accord a cependant été signé entre les acteurs pour permettre une meilleure rémunération des artistes. Même méthode : le gouvernement avait laissé 12 mois aux organisations pour y parvenir. L’accord prévoit notamment un taux minimum de royalties versées aux principaux artistes pour la diffusion de leurs titres en streaming. Ils toucheront des royalties à hauteur de 10 à 11% de la somme versée par les plateformes aux producteurs.

Pour Sylvie Robert, la taxe streaming, si elle voit bien le jour, constitue « la première étape, c’est la question du financement. Mais demain, il y aura une autre étape pour voir la question des usages, quels artistes. Comment on peut, à un moment, assurer plus la promotion des artistes qui ne sont pas dans des taux d’écoute les plus importants ». Un travail sûrement nécessaire, car pour certains artistes, la musique, ce n’est pas toujours la fête.

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