Le sénateur LR Jean-François Husson estime qu’il faut « aller vite sur la loi spéciale » et ensuite « se remettre au travail rapidement » pour doter la France d’un budget.
10 milliards d’euros d’économies : « Quand on touche à tous les ministères, ça s’appelle un coup de rabot », pointe le socialiste Claude Raynal
Par François Vignal
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Pour ceux qui s’intéressent à la conjoncture économique, ce n’est pas vraiment une surprise. Le gouvernement a annoncé vouloir faire 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires en 2024. La faute à la croissance, moins élevée que prévu et espéré par le même gouvernement dans son projet de loi de finances (PLF) 2024.
« C’est l’Etat qui se serre la ceinture »
« Nous avons décidé de réviser la croissance de 1,4 à 1 % pour 2024, avec comme objectif de garder la maîtrise de nos finances publiques », a expliqué ce matin depuis Bercy le ministre de l’Economies, Bruno Le Maire, comme annoncé la veille sur TF1. « Et donc comme nous gagnons moins, il y a moins de croissance, moins de recettes fiscales. Il faut dépenser moins. (…) Nous allons réduire de 10 milliards les dépenses de l’Etat en 2024. J’insiste sur le fait que ce n’est ni le budget de la Sécurité sociale, ni le budget des collectivités locales qui sont touchés. C’est l’Etat qui se serre la ceinture. On gagne moins, on dépense moins, et on fait porter l’effort sur l’Etat », avance le locataire de Bercy (voir la première vidéo).
Pour la moitié des économies visées, soit 5 milliards, « tous les ministères » devront faire les fonds de tiroir. Autrement dit contribuer à l’effort, par exemple sur les dépenses d’énergie ou les achats. La hausse du budget consacré à la Transition écologique est ainsi ramenée de 10 milliards à 8,6 milliards. La hausse du Fonds vert « initialement prévu à 500 millions d’euros, sera limitée à 100 millions d’euros », a précisé le cabinet du ministre Christophe Béchu (lire notre article sur les économies en matière d’écologie).
1 milliard d’euros d’économie sur MaPrimeRénov’
Les 5 autres milliards d’euros viendront des dépenses de l’Etat. L’exécutif a décidé ainsi de trancher dans le dispositif MaPrimeRénov’ – autre mesure écologique visée. Son enveloppe est réduite d’un milliard d’euros, en limitant la hausse de son budget de 1,6 milliard à 600 millions d’euros. L’aide publique au développement sera mise à contribution à hauteur de 800 millions d’euros. Les opérateurs de l’Etat sont également appelés à mettre la main à la pâte pour un milliard d’euros. Sont notamment dans le collimateur de Bruno Le Maire l’Agence nationale de la cohésion des territoires, Business France, France compétences ou encore le Centre national d’études spatiales. Avec cette série d’économies, le ministre de l’Economie l’assure : la France maintient son objectif de réduction de son déficit public à 4,4% du PIB cette année.
Dans cette recherche d’économies tous azimuts, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, a apporté lundi une précision, avec la mise en place dès 2024 d’une participation forfaitaire des salariés au compte personnel de formation (CPF). De quoi rapporter 200 millions d’euros sur un total de 2 milliards.
Pour prendre la mesure des efforts que souhaite faire le gouvernement, il faut avoir en tête que ces 10 milliards d’économies à trouver, en plus, pour l’année 2024, s’ajoutent aux 12 milliards d’euros économies que l’exécutif a déjà dans le viseur pour le prochain budget 2025, l’année prochaine. Mais la situation est en réalité pire : « Compte tenu de la révision de croissance » ramenée de 1,4% à 1% pour 2024, synonymes de moindres rentrées fiscales, « il est fort probable que nous ayons à faire plus » que les 12 milliards, a reconnu Thomas Cazenave… Le PLF 2025 risque de faire mal.
« Dommage que cela n’ait pas été corrigé dès le projet de loi de finances, au cours de la navette parlementaire »
Une situation qui ne surprend « pas du tout » Claude Raynal, président PS de la commission des finances du Sénat. « Tous les experts prévoyaient plutôt une baisse de la croissance. Le rapporteur général de la commission et moi-même l’avions signalé, dès le départ de l’examen du budget », rappelle le sénateur PS de la Haute-Garonne, qui en veut pour « preuve que c’était connu, c’est que la modification intervient très tôt dans l’année ». Claude Raynal explique avoir lui-même « donné il y a quelques semaines au ministre Thomas Cazenave le chiffre de 10 milliards d’euros d’économies comme chiffre crédible. C’est logique. Quand on diminue la croissance d’un demi point, on a 10 milliards à trouver ». Mais c’est « dommage que cela n’ait pas été corrigé dès le projet de loi de finances, au cours de la navette parlementaire ».
« Ils le savaient parfaitement », confirme la sénatrice LR Marie-Claire Carrère-Gée, secrétaire de la commission des finances. « Nous l’avons dit au Sénat. On a passé des heures à trouver des économies. Elles ont été balayées d’un revers de main », regrette aujourd’hui la sénatrice de Paris, invité ce lundi de la matinale de Public Sénat. Marie-Claire Carrère-Gée pointe « un budget insincère », avant d’ajouter : « Quand on piétine le Parlement, qu’on raconte des carabistouilles sur les prévisions de croissance au moment du vote du budget et qu’on passe en force, il y a quelque chose de dangereux ». Regardez :
Lors de l’examen du projet de loi de finances, la majorité sénatoriale LR/centristes avait en effet affiché son intention d’aller plus loin dans les économies. Le rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson, annonçait 5,6 milliards d’euros » supplémentaires. A la sortie, malgré de nouvelles dépenses notamment pour les collectivités, la majorité sénatoriale était même allée plus loin en allégeant le budget de 7 milliards d’euros. Mais à l’issue du 49.3 à l’Assemblée, le gouvernement n’a rien conservé.
« Je ne sais pas si c’est parce que c’est carnaval, mais on se dit qu’on peut tout se permettre… » raille Jean-François Husson (LR)
Ce qui fait enrager quelque peu Jean-François Husson. « Ce qui est proposé aujourd’hui a été refusé hier. Car avec un certain nombre de pistes d’économies que nous avions proposées, le ministre des Comptes publics nous avait répondu qu’on était des fossoyeurs. (…) C’est finalement une espèce de tour de passe-passe, un peu comme une mascarade. Je ne sais pas si c’est parce que c’est carnaval, mais on se dit qu’on peut tout se permettre… » Le sénateur de la Meurthe-et-Moselle ajoute :
« Après avoir tout balayé d’un revers de main, finalement, le gouvernement sort de son igloo et reprend ce que nous avons proposé, dans certaines de ses intentions, après nous avoir expliqué combien nos propositions étaient non recevables », raille encore Jean-François Husson. Regardez (interview Jérôme Rabier) :
Dénonçant, « une duplicité, un double langage » du gouvernement, il pointe « un déni de réalité. Car en 2024, le budget de tous les ministères sont à la hausse ». Et alors que « Bruno Le Maire se drape un peu dans la posture du mage de Bercy », le rapporteur général s’étonne que « le gouvernement annonce 400 millions de plus pour les agriculteurs. Pour l’instant, on ne sait pas où on les prend. Il y a 500 millions pour l’hôpital, 3 milliards pour l’Ukraine. On en est déjà à 4 milliards alors qu’il dit qu’il faudra se serrer la ceinture… » Jean-François Husson regrette cependant une économie, celle sur MaPrimeRenov’, qu’il qualifie de « reculade » qui « va au contraire de l’enjeu climatique ». « Mais la cohérence n’est pas le premier choix de ce gouvernement », ajoute le sénateur LR.
« Un discours qui s’adresse à la communauté internationale, à l’Europe et à nos prêteurs », selon le socialiste Claude Raynal
Face à cette décision de couper dans les dépenses, le socialiste Claude Raynal vient mettre les mots que ne mettra pas le gouvernement. « Quand on touche à tous les ministères et à toutes les politiques, ça s’appelle un coup de rabot, et pas autrement », cadre le président de la commission des finances du Sénat. Selon le socialiste, il s’agit avant tout d’« un discours qui s’adresse à la communauté internationale, à l’Europe et à nos prêteurs. Bruno Le Maire s’est engagé sur une trajectoire au niveau de Bruxelles ». Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, parle d’ailleurs lui-même d’un « acte de responsabilité » qui « doit convaincre nos partenaires du sérieux de notre gestion des finances publiques et surtout de notre détermination à ce que nous ne les laissions pas dériver ».
Le sénateur socialiste craint des décisions qui ne seront pas sans conséquence. « Si le gouvernement a prévu des budgets à un certain niveau, c’est qu’il y avait derrière des politiques publiques avec des objectifs. Sinon, il n’aurait pas mis ces dépenses. Dès l’instant où on les diminue, il faut regarder sur quoi exactement cela va s’appliquer. C’est un recul, quoi qu’il en soi. Une diminution de la dépense publiques, c’est forcément diminuer le service et laisser des politiques de côté », pointe Claude Raynal, qui se méfie : « Il dit que les collectivités ne seront pas touchées. On verra bien. Il dit que le social n’est pas touché. Mais il y a déjà des mesures qui le touchent », ou le toucheront, comme à nouveau sur l’assurance chômage.
Cet élu de Haute-Garonne, département qui abrite le Centre national d’études spatiales (CNES), à Toulouse, s’« inquiète » d’entendre parler de « diminution des dépenses dans le domaine spatial, alors que les besoins ne sont pas totalement remplis dans le domaine civil ou militaire. Comparé aux grands acteurs, on est en retard. Il faut de la constance et de la visibilité ».
« Le refus du gouvernement de toucher au volet recettes, c’est ça le sujet »
Globalement, le socialiste dénonce « le refus du gouvernement de toucher au volet recettes. C’est ça le sujet ». Claude Raynal rappelle qu’« on a encore le CAC 40 qui va distribuer le plus de dividendes à ses actionnaires. De l’argent, il y en a. Il y a des gains exceptionnels. Si on refuse de les toucher, on fait payer tout le monde à travers les baisses des services publics ». Le président PS de la commission des finances ajoute qu’« on a diminué de 60 milliards par an les recettes depuis 2017 ».
Pour Claude Raynal, le gouvernement paie au fond son entêtement à ne pas toucher aux impôts, à commencer à ceux des plus fortunés. « L’idée que la baisse de la fiscalité va alimenter la croissance, de fait, ça ne marche pas. Car ce n’est pas lié qu’à une politique nationale, mais à un contexte international. On ne peut pas faire le pari de la croissance à l’infini », met en garde le socialiste.
La commission des finances compte « bien sûr » auditionner Bruno Le Maire
Pour appliquer ces économies de 10 milliards, le gouvernement pourrait bien écarter, s’il le peut, le recours à un budget rectificatif (PLFR) pour préférer passer par voie réglementaire. Une décision qui ne serait pas illogique en soi. S’il « préfère toujours un débat parlementaire », Claude Raynal souligne que « les parlementaires votent un plafond de dépenses. Donc si le gouvernement dépense moins que le plafond, il n’y a pas de nécessité absolue à faire un PLFR. Par contre, il y aurait un débat obligatoire en matière de coupes budgétaires » (lire notre article sur le sujet pour plus de détails).
Face à cette nouvelle donne, la commission des finances compte « bien sûr » auditionner Bruno Le Maire comme Thomas Cazenave, nous assure Claude Raynal. « Mais pas pour qu’il nous dise ce qu’il a dit à la presse. On va demander à Bruno Le Maire de nous présenter l’affectation domaine par domaine, secteur par secteur. En l’absence de PLFR, qu’on peut comprendre, c’est le minimum du minimum. Cela doit être l’objet d’un débat et d’une présentation en commission des finances », prévient le président de la commission, qui devrait être vite entendu. Le gouvernement ne s’en tirera pas à si bon compte.
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