Le sénateur LR Jean-François Husson estime qu’il faut « aller vite sur la loi spéciale » et ensuite « se remettre au travail rapidement » pour doter la France d’un budget.
15 ans après la faillite de Lehman Brothers, « le risque systémique est toujours devant nous », souligne Claude Raynal
Par François Vignal
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Une déflagration et des réactions en chaîne. La faillite de Lehman Brothers, banque d’investissement américaine, le 15 septembre 2008, a vite plongé l’économie mondiale dans une crise profonde, comparable à celle de 1929. Conséquence de la crise des subprimes, la chute de la banque américaine entraîna d’autres banques dans la tourmente, et tout le système.
En France, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, afficha son volontarisme. « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini. Il faut tirer les leçons de la crise pour qu’elle ne se reproduise pas », lance l’ex-chef de l’Etat, lors d’un fameux discours tenu à Toulon, 10 jours après la faillite. Quinze après, a-t-on bien tiré toutes les leçons ?
« Les leçons de 2008 n’ont pas été tirées », selon Eric Bocquet (PCF)
« Il y a des petits progrès sur les règles prudentielles, au moins en France. Mais les spécialistes disent que les leçons de 2008 n’ont pas été tirées et tous les filets de sécurité n’ont pas été organisés. Je crains que le système bancaire ne prenne encore de gros risques sur certaines opérations », soutient le sénateur PCF Eric Bocquet, qui a notamment travaillé sur le secteur bancaire lors de la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion et la fraude fiscale.
De son côté, le sénateur Philippe Dominati, membre de la commission des finances et du groupe LR, « pense que les banques sont suffisamment encadrées. Le problème, ce n’est pas l’encadrement, ce sont les réserves. Ce qui compte, c’est la puissance d’une banque, c’est-à-dire la confiance qu’elle inspire par ses réserves. Regardez la faillite du Crédit Suisse (racheté par son rival UBS en mars dernier, ndlr). Pour beaucoup de gens, c’était une signature qui pouvait ressembler presque à celle d’une banque centrale. On ne pensait pas qu’elle ferait faillite. Elle a respecté la réglementation, mais ça s’est effondré car la confiance n’était plus là et les gens ont retiré leurs dépôts. Et vous ne pouvez pas avoir une garantie totale des fonds », illustre le sénateur du groupe LR.
Longues discussions
Depuis la crise de 2008, les règles qui encadrent le secteur bancaire ont bien été renforcées. Ce sont les règles de « Bâle III », qui imposent aux banques un renforcement de leur fonds propre, afin d’avoir ses reins financiers plus solides, en cas de crise. Mais au niveau européen, les discussions ont été longues et leur application doit se faire le 1er janvier 2025. Avant cela, l’union bancaire a été lancée en Europe en 2014. Elle permet notamment d’aider les banques en difficulté.
On se souvient aussi que François Hollande avait fait de la finance son « ennemi » durant sa campagne victorieuse, en 2012, avant de revoir à la baisse son ambition, une fois au pouvoir, comme l’avait accusé une partie de la gauche. Le socialiste a cependant fait la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, en 2013. Le texte vise à limiter les activités de marché des établissements de crédit, au profit du financement de l’économie. Il renforce aussi les pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le gendarme des banques.
Trump a allégé les contraintes pour les banques aux Etats-Unis
Mais au niveau mondial, le compte n’y est pas et le secteur bancaire sait défendre ses intérêts. Et c’est à nouveau des Etats-Unis que les difficultés sont arrivées. Après son élection, en 2016, Donald Trump a allégé les contraintes pesant sur les banques. Elles avaient été mises en place par Barack Obama. L’ancien président républicain a carrément supprimé les exigences de fonds propres pour les petites et moyennes banques. Par une large majorité de républicains et de démocrates, le Congrès américain avait décidé de ne plus imposer ces règles aux établissements de crédits dont les actifs sont compris entre 50 et 250 milliards de dollars. Ces banques n’étaient ainsi plus soumises aux « stress tests », menés pour vérifier les effets de fortes difficultés sur une banque.
Résultat : en mars dernier, la Silicon Valley Bank (SVB) fait faillite. D’autres faillites sont arrivées dans la foulée. Les autorités sont intervenues pour garantir les avoir des clients. SVB faisait partie de ces banques moyennes, dont les contraintes avaient été allégées.
« Il faut que le monde joue le jeu », selon Claude Raynal
En mars dernier, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a réagi face aux événements. Elle a souhaité l’application complète des exigences de Bâle III en matière de fonds propre. Christine Lagarde avait pointé du doigt la faible application des règles outre atlantique, avec « seules 14 banques » soumises à l’intégralité des règles de Bâle III, contre 2.200 établissements pour l’Union européenne. Fin mars, le président américain Joe Biden a finalement demandé aux régulateurs de rétablir la plupart des contraintes levées sous Trump, voulant se concentrer sur les banques de taille moyenne, avec des actifs entre 100 et 250 milliards de dollars.
« Bâle III, c’est récent. Cela a été très long à se conclure. Les enjeux sont très lourds. Et il faut que le monde joue le jeu », soutient le président PS de la commission des finances du Sénat, Claude Raynal. Il continue : « Il y a toujours un débat sur la façon dont les Américains jouent ou pas totalement le jeu, car beaucoup de banques ne sont pas considérées comme de taille dangereuse, donc non soumises aux règles. Mais les Etats-Unis doivent renforcer leurs règles. Les banques plus régionales doivent appliquer des règles plus strictes », soutient-il. Le socialiste note qu’« en France, il n’y a quasiment plus de banques régionales, mais plus que des grandes banques systémiques. Les banques françaises font globalement des efforts considérables. En Italie et en Espagne, les banques ont été restructurées pour être plus solides ».
« Beaucoup de banques allemandes échappent à la réglementation et peuvent être un problème »
Le maillon faible viendrait-il d’outre-Rhin ? « En Allemagne, où il y a plus de banques moyennes, c’est un sujet de débat. Les banques françaises considèrent qu’elles font l’effort pour tout le monde. Elles participent à des fonds de secours aux banques, c’est l’union bancaire. Mais le niveau des règles, tel que défini en Europe, est tel que beaucoup de banques allemandes échappent à la réglementation et peuvent être un problème. Il y a des améliorations à trouver en Allemagne », selon le président de la commission des finances. Il ajoute : « Aujourd’hui, le système est mieux protégé, mais c’est comme lorsqu’on prend une assurance, on définit un niveau et il ne faut pas que la digue saute ».
Globalement, « les règles de Bâle I, Bâle II et Bâle III, qui ont été renforcées, permettent aux banques d’être mieux structurées et de faire plus de réserves. Mais c’est à double tranchant : il y a plus de protection mais cela limite autant leur capacité à investir. Il faut trouver le juste équilibre », ajoute Claude Raynal. Il relève une autre amélioration : les banques sont « moins interdépendantes » aujourd’hui, « le risque d’avoir la pénétration d’un problème américain en Europe est plus faible aujourd’hui qu’à l’époque. Et inversement ».
« A chaque renforcement de la régulation et du contrôle, certains cherchent des contournements et des parades »
Une grave crise peut-elle malgré tout venir à nouveau du secteur bancaire ? « A chaque renforcement de la régulation et du contrôle, certains cherchent des contournements et des parades. On est dans un jeu infini par rapport à l’activité financière. Ça ne devrait servir qu’au développement économique et être au service de l’humain. Une finance autocentrée, le shadow banking, ça ne sert à rien et ça génère des risques. Il faut remettre la finance à sa place », lance le sénateur le communiste Eric Bocquet.
Et en cas de crise, le sénateur du Nord regrette que « les banques bénéficient de fait de l’aléa moral, c’est-à-dire de la garantie de l’Etat. En aucun cas, l’Etat ne laissera tomber le système bancaire, car en cas d’effondrement, c’est toute la machine économique qui s’enraillerait. Il n’y a pas d’autre choix que de ne pas les laisser tomber. On est un peu otage. Ça pose un problème démocratique et politique. Mais il faudrait à un moment donné que les banques prennent leur responsabilité », selon Eric Bocquet.
« Tout le monde observe ce qu’il se passe aux Etats-Unis, car les crises viennent de là-bas »
Que l’Etat vienne dans certains cas en aide aux banques, « il n’y a pas le choix. C’est nécessaire. Heureusement que l’Etat intervient », pour Philippe Dominati. Le sénateur du groupe LR rappelle que « l’économie est basée sur la confiance. Si vous avez le sentiment de pouvoir perdre toutes vos économies, que l’Etat ne garantit pas qu’il ne laissera pas couler la banque, je ne pense pas qu’en France on soit prêt à entendre ce discours tout de suite ».
Le sénateur de Paris n’exclut pas non plus une nouvelle crise. « La réglementation a été durcie, on a voulu surtout rassurer les épargnants, à juste titre, en faisant en sorte que l’Etat garantisse les dépôts. Mais les sommes sont telles que très rapidement, il y a un effet domino. Et dans la situation actuelle, il est vrai que les inquiétudes, entre inflation, augmentation des taux et le coût très important de la dette, posent beaucoup de questions », selon Philippe Dominati, qui pense qu’une crise issue du milieu bancaire est encore possible. « Bien sûr, ça peut avoir lieu. Tout le monde observe ce qu’il se passe aux Etats-Unis, car les crises viennent de là-bas », dit-il, avant d’ajouter :
Claude Raynal pense aussi que « le risque systémique est toujours devant nous, et il le sera toujours », selon le sénateur PS de la Haute-Garonne, en raison « du métier même de banquier. En gros, c’est transformer de l’argent du dépôt en crédits de long terme. Dès l’instant où on fait ça, on comprend bien qu’il y a une série de risques ». Pour résumer, « c’est un métier à risque. Et ces risques doivent être contenus, en s’adaptant en permanence, car le monde de la finance est un monde qui bouge en permanence ».