Gabriel Zucman
L'économiste français Gabriel Zucman, lors d'une intervention à Bruxelles (Belgique).

50 nuances de taxe Zucman : quelles autres options sont sur la table pour taxer les ultra-riches ?

Avec sa proposition de taxe, Gabriel Zucman et la gauche ont réussi à mettre l’imposition des très hauts patrimoines à l’agenda politique. La droite et le centre commencent même à s’emparer du sujet en proposant des dispositifs moins ambitieux, mais qui dénotent un changement d’atmosphère du débat public.
Louis Mollier-Sabet

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Alors que le débat entre Bernard Arnault et Gabriel Zucman fait rage autour de la taxation des très hauts patrimoines (voir notre article), plusieurs propositions alternatives à celle de l’économiste émergent, et ce même au sein du socle commun. D’après Politico, le MoDem songe à remettre l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sur la table, alors que ce prélèvement symbolique a été remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en 2018 ne concernant plus les actifs financiers et donc au rendement plus faible.

S’il fait peu de doutes que l’ISF s’invitera dans les débats budgétaires de l’hiver, un ISF « à l’ancienne » ne répondrait pas au problème mis en avant par Gabriel Zucman. L’économiste et la gauche s’appuient notamment sur une note de l’Institut des politiques publiques (IPP) sur l’imposition des milliardaires mettant en évidence que le taux d’imposition effectif des foyers les plus riches est exceptionnellement faible par rapport à celui des autres foyers riches : 26 % de leurs revenus imposés pour les milliardaires (0,0002 % des foyers les plus riches) contre 46 % pour l’ensemble des 0,1 % des foyers les plus riches. En clair, la « taxe Zucman » entend répondre à une disparité bien particulière de notre système fiscal : les milliardaires sont beaucoup moins taxés que les millionnaires.

Un système fiscal progressif, sauf pour les plus hauts revenus

Avant toute chose, comment expliquer, dans un système fiscal français sinon globalement progressif, que chez les très très riches, la tendance s’inverse ? Un rapport de 2024 commis par le Conseil des prélèvements obligatoires – un organisme rattaché à la Cour des comptes – estime à ce titre que « l’imposition des revenus des personnes physiques en France s’avère dans l’ensemble nettement progressive », soit que la proportion de richesse imposée augmente effectivement avec les revenus.

« Néanmoins, l’essentiel des limites à la progressivité de l’imposition résulte de mécanismes fiscaux spécifiques aux extrema de la distribution des revenus. […] S’agissant du haut de la distribution, il apparaît que l’essentiel des atteintes à la progressivité y sont concentrées », poursuit le rapport en évoquant des revenus provenant de plus en plus du capital, source de revenus soumis à un régime d’imposition plus « favorable » depuis l’instauration de la flat tax en 2018. Enfin, le Conseil des prélèvements obligatoires fait état de « certains contribuables qui détiennent des parts d’entreprises […] et disposent d’une faculté de piloter le montant de leur revenu déclaré, et donc de l’impôt payé. »

Le problème des plus-values latentes

Premier élément d’explication, donc, le capital est moins taxé que le travail. Ensuite, les actifs financiers ne sont taxés qu’à l’éventuelle revente. Avant cela, si un actif a pris de la valeur et donc qu’un patrimoine a augmenté – générant ainsi des revenus du capital – la plus-value est dite « latente » et non taxée. Or, une spécificité française est que cette plus-value latente est annulée lorsqu’elle est transmise dans un héritage. En Allemagne par exemple, la plus-value est considérée comme réalisée au moment du décès et la charge fiscale transférée aux héritiers avec un report d’imposition.

« En pratique, cette spécificité française se révèle très favorable aux patrimoines les plus élevés, qui sont gérés de façon à transformer les revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values) en plus-values latentes, afin de reporter la charge fiscale », conclut une note de « Fipaddict », enseignant en économie et finances publiques, et Guillaume Hannezo, professeur associé à l’Ecole normale supérieure, pour la fondation Terra Nova. Ce sont notamment les mécanismes liés à des holdings familiales ou d’assurance-vie qui permettent donc aux milliardaires d’être pratiquement deux fois moins taxés que les autres foyers fiscaux les plus riches.

D’après les données de la fameuse étude de l’Institut des politiques publiques, les chercheurs estiment que le manque à gagner pour les finances publiques dû à cette différence est d’environ 15 milliards d’euros par an, par rapport à un cas théorique où ces foyers sont taxés dans les mêmes proportions que les autres foyers les plus riches. C’était d’ailleurs déjà le cas à l’époque de l’ISF, qui ne prenait pas en compte les biens professionnels et était plafonné par rapport aux revenus réalisés, ce qui en faisait un impôt sur les 1 % les plus riches, mais qui tendait vers même vers un taux d’imposition de 0 % pour les 0,1 % les plus riches.

Régulation des holdings familiales, imposition des plus-values latentes lors des successions ou taxe Zucman allégée ?

C’est dans ce cadre qu’intervient la proposition de Gabriel Zucman. Face à cette anormalité de notre système fiscal, plusieurs réponses peuvent être envisagées. Le rapporteur général du budget, Charles de Courson, a d’après l’AFP confié à l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef) préférer se concentrer sur les holdings familiales. « Personne ne va pleurer sur les 1 800 familles [concernées], mais la taxe Zucman ne tient pas la route. Il faut trouver une alternative pour faire payer les très riches », a poursuivi le député Liot en détaillant certains dispositifs de lutte contre l’optimisation fiscale et notamment un acompte sur les revenus non distribués par les holdings familiales, toujours d’après l’AFP.

Dans une interview aux Echos, Xavier Jaravel, président délégué du Conseil d’analyse économique (CAE) et professeur à la London School of Economics, développe des arguments similaires. L’économiste propose notamment d’imposer les plus-values latentes lors des successions, comme cela se fait en Allemagne par exemple, ou bien d’envisager une hausse du prélèvement forfaitaire unique (PFU – « flat tax »).

La taxe Zucman fait un autre pari en prenant en compte l’outil de travail, mais à un taux plus faible. Face à la difficulté technique d’imposer de façon juste et efficace des biens pas toujours liquides et à la valorisation souvent très volatile, l’économiste propose en quelque sorte d’imposer – à un taux faible – la valorisation totale des plus grandes fortunes. À titre de comparaison, la note de Terra Nova propose un dispositif similaire, mais à un taux plus faible de 0,5 % au lieu de 2 %. En tout état de cause, Gabriel Zucman et les partis de gauche qui ont repris sa proposition auront réussi à mettre le sujet de taxation des très hauts patrimoines à l’agenda politique, obligeant la droite et le centre à proposer leurs dispositifs en amont des débats budgétaires.

Gérard Larcher et Bruno Retailleau se sont tous les deux prononcés contre la taxe Zucman, une « illusion qui ne passerait pas le barrage du Conseil constitutionnel » selon le Président du Sénat, que la chambre haute a rejeté en juin dernier. Malgré tout, une dizaine de députés de la droite et du centre interrogés par l’AFP se disent désormais prêts à mettre à contribution les ultra-riches pour trouver des économies. Julien Dive (LR) a ainsi confié à l’AFP être contre une taxe Zucman « en l’état », mais pourquoi pas « édulcorée ». On peut « faire quelque chose de symbolique, mais ne pas être excessif », a aussi estimé Henri Alfandari (Horizons). Reste à savoir – si le nouveau Premier ministre s’empare du sujet – la mouture que Sébastien Lecornu privilégiera.

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