Macron au salon de l’Agriculture, Paris, France, 24 fevrier 2024

À quoi pourrait ressembler le prix plancher, qu’Emmanuel Macron souhaite instaurer sur les denrées agricoles ?

Lors d’un débat improvisé avec des exploitants en ouverture du Salon de l’agriculture, le président de la République a annoncé son souhait d’instaurer des prix planchers sur les matières premières. Une mesure qui viserait à « protéger le revenu agricole », défendue de longue date par la Confédération paysanne, mais à laquelle la FNSEA et les agroindustriels sont largement opposés.
Rose Amélie Becel

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« C’est la chose la plus engageante qu’on ait jamais faite ». Chahuté par des exploitants en colère en ouverture du Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a annoncé le lancement de travaux pour instaurer des prix planchers sur les matières premières agricoles. Ce prix minimum garanti devrait permettre « de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui aujourd’hui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus », a expliqué le président de la République.

Niveau calendrier, cette mesure devrait être intégrée au travail d’élaboration d’une nouvelle loi Egalim, dont le projet de loi devrait être déposé avant l’été, sur la base d’un rapport confié aux députés Alexis Izard (Renaissance) et Anne-Laure Babault (MoDem). « L’objectif c’est que le ministère de l’Economie lance un chantier avec les organisations professionnelles agricoles, puisque c’était leur demande. Et puis, il y a la mission parlementaire qui a été lancée, qui servira de point d’appui pour ce travail », précisent les services de l’Élysée.

Un changement de pied de l’exécutif

Une soudaine prise de position qui surprend, tant la proposition – initialement formulée à gauche – a de nombreuses fois été rejetée par l’exécutif. En septembre 2021, lors de l’examen par la chambre haute d’une proposition de loi visant à « protéger la rémunération des agriculteurs », le sénateur communiste Fabien Gay et l’ancien sénateur écologiste Joël Labbé avaient soutenu cette mesure dans des amendements. « Cette crise est la résultante de la liberté accordée dans la fixation des prix d’achat à une poignée de centrales d’achat et d’enseignes de la grande distribution », avait dénoncé Fabien Gay.

Des propositions balayées par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Julien Denormandie. « Certes, on peut réguler, mais administrer les prix des matières premières agricoles, cela ne fonctionne pas. Imaginez qu’il faille administrer le prix d’une côtelette d’agneau du Quercy par rapport à celle d’Île-de-France. C’est absolument impossible », avait-il défendu. Jusque récemment, la majorité présidentielle était restée opposée à un tel encadrement des prix, en votant en novembre dernier contre une proposition de loi de même nature défendue par le député insoumis Manuel Bompard.

Invitée de la matinale de Public Sénat ce 26 février, la ministre déléguée au ministre de l’Agriculture Agnès Pannier-Runacher a donc précisé les contours de l’annonce présidentielle : « Nous ne sommes pas dans la proposition de LFI, où le président et le Premier ministre fixeraient par arrêté le prix des matières premières agricoles. En revanche, ce que nous voulons faire, c’est responsabiliser les interprofessions pour faire de leur indicateur la référence des contrats agricoles et donner plus de poids légal à cet indicateur. »

Une proposition historique de la Confédération paysanne

Pour tenter de mettre fin à la guerre des prix alimentaires, une succession de lois dites Egalim tentent depuis 2018 d’encadrer l’élaboration du prix des produits. Regroupés en organisations de producteurs, les agriculteurs proposent aux industriels un indicateur de prix de vente qui tient compte de leurs coûts de production. Malgré la multiplication des lois pour muscler le dispositif initial, l’application d’Egalim n’a jamais donné pleine satisfaction et fait encore aujourd’hui parti des principales revendications des agriculteurs en colère.

« Les indicateurs de prix de vente sont utilisés pour partie dans la construction du prix, mais cela ne concerne pas toutes les filières et, dans le meilleur des cas, ce critère influence 50 % des négociations », explique Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne. Le syndicat agricole défend de longue date l’instauration de prix planchers et accueille donc favorablement la proposition du président : « Dans un moment où beaucoup de fermes sont à transmettre, s’il n’y a pas de perspectives de revenus pour les agriculteurs, il n’y aura pas de transmission aux plus jeunes. »

La proposition hérisse au contraire le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, interrogé sur le plateau de M6 : « Ça laisse entendre qu’il y aurait une sorte de conférence annuelle ou trimestrielle où on dirait : La viande, elle vaut tant ». Le patron du syndicat majoritaire ne cache pas sa surprise devant l’annonce d’Emmanuel Macron et demande « quelques éclairages » : « Je ne pense pas que le souhait du président, vu la politique économique qu’il a menée depuis le début, soit de soviétiser l’économie ».

Une position qui semble partagée par les industriels de l’agroalimentaire. Lors d’une conférence de presse au Salon de l’agriculture, la directrice de la Coopération laitière – qui collecte et transforme la moitié du lait français – a même affirmé qu’une telle mesure serait « contraire au droit de la concurrence ».

Une annonce dont les modalités d’application doivent être précisées

En pratique, un tel encadrement des prix est-il possible ? Il a en tout cas déjà existé au niveau européen, dans le cadre de la Politique agricole commune jusqu’en 1992, avec un bilan très contrasté, explique Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech. « Cette mesure a amené des dysfonctionnements majeurs, car cela poussait les agriculteurs à produire sans que la demande ne suive, en raison des prix trop élevés », indique-t-il.

Face aux échecs passés de telles mesures, la proposition du président a surpris l’économiste : « On a l’impression qu’Emmanuel Macron court après Jordan Bardella, en faisant des annonces sans trop réfléchir à leur application concrète ». Car, pour Jean-Christophe Bureau, la mise en place d’un prix plancher ne se fera pas sans contreparties pour l’État, qui devra s’engager à acheter les invendus des agriculteurs : « Il est impossible de garantir un prix minimum sans mettre en place un dispositif d’achat public, sinon le producteur est contraint de brader la matière première qu’il lui reste en stock ».

Pour contourner ce problème et encadrer les volumes de production, la Confédération paysanne propose d’assortir les prix planchers à des quotas de production. « Mais le syndicat a perdu cette bataille en 2015, les quotas de production de lait ont été supprimés car cela bridait la France dans ses exportations », précise Jean-Christophe Bureau. Après une journée agitée au Salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron a donné rendez-vous aux syndicats agricoles dans trois semaines, pour faire un point sur l’application des mesures. L’occasion, peut-être, de mieux cerner les intentions du chef de l’État en matière d’encadrement des prix.

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