Aides aux entreprises : « Si on passe un coup de rabot général, nous allons affaiblir la compétitivité », met en garde Bruno Le Maire au Sénat

L’ancien ministre de l’Economie, en responsabilité de 2017 à 2024, a largement plaidé pour la stabilité du cadre actuel dans lequel évoluent les entreprises. Bruno Le Maire a mis en garde contre toute tentation de « rabot général » dans les aides aux entreprises, dans un contexte international totalement chamboulé par les droits de douane américains.
Guillaume Jacquot

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C’était l’heure des retrouvailles ce 7 mai entre une partie des sénateurs et l’ancien ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire. Pour avoir été l’incarnation des politiques économiques durant les sept premières années de la présidence d’Emmanuel Macron, de 2017-2024, le regard de l’ancien maître de Bercy était naturellement très attendu par les membres de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques versées aux grandes entreprises.

Lors de sa prise de parole, Bruno Le Maire a notamment envoyé une série de messages, appelant en premier lieu à maintenir le cadre fiscal et réglementaire dans lequel les entreprises françaises évoluent. « Dans cette période d’incertitude totale », marquée par le début d’une guerre commerciale internationale, « notre responsabilité c’est de donner de la visibilité et de la certitude aux entreprises », a-t-il insisté. « Il n’y a rien de pire que de changer de politique économique au moment où la conjoncture internationale se dégrade ».

« La raison d’être de ces aides, c’est que l’État redonne d’une main ce qu’il a pris de l’autre »

Alors que le douloureux exercice de préparation du budget 2026 a déjà débuté au gouvernement comme dans les groupes parlementaires – 40 milliards d’euros d’économies sont nécessaires pour tenir le rythme de réduction du déficit public – Bruno Le Maire a mis en garde contre toute tentation d’aller sabrer du côté des aides aux entreprises. « On oublie une chose : la raison d’être de ces aides, c’est que l’État redonne d’une main ce qu’il a pris de l’autre. »

Et de poursuivre : « La voie à suivre n’est absolument pas de passer par un coup de rabot aux entreprises. En sept ans, j’ai fait sept fois l’exercice d’étudier les aides aux entreprises, pour sept fois faire chou blanc, sauf sur des montants très faibles. Tout simplement parce qu’à chaque fois qu’il y a une aide, c’est la compensation de charges, de taxes, ou de prélèvements qui sont excessifs. Si on passe un coup de rabot général, nous allons affaiblir la compétitivité de nos entreprises et leur capacité à créer de l’emploi », a-t-il prévenu.

Sans grande surprise, l’ancien ministre à la longévité d’un septennat a décidé mordicus la ligne pro-entreprise suivie depuis ses premières heures à Bercy, en particulier les politiques de soutien à l’investissement et d’attraction des capitaux, pour réindustrialiser le pays. De quoi faire rire jaune le rapporteur Fabien Gay, le sénateur membre du groupe communiste à l’origine de la commission d’enquête. « Avant vous, c’était le chaos, pendant sept ans, c’était formidable, depuis que vous êtes parti, c’est à nouveau le chaos », a-t-il ironisé.

Celui qui est aujourd’hui enseignant en Suisse, et conseiller spécial pour l’entreprise néerlandaise ASML (un acteur clé dans le secteur des semi-conducteurs), a néanmoins reconnu qu’un « travail de simplification et de clarification » semblait « nécessaire », et que la « pertinence des aides » pouvait « être évaluée ». « En revanche, les entreprises ne doivent pas être le bouc émissaire de ce travail », a-t-il jugé bon de préciser.

Face au sénateur centriste Daniel Fargeot qui a déploré « une forêt amazonienne d’aides publiques » (la commission d’enquête évalue leur nombre total à près de 2200), Bruno Le Maire s’est dit favorable à un travail de rationalisation, en particulier s’agissant des strates administratives en charge de l’examen et du versement. « Quand vous avez des aides qui peuvent être versées à la fois par la Banque publique d’investissement, l’État, par les régions, l’Europe, les collectivités locales, c’est un enchevêtrement qui n’est satisfaisant ni pour les entreprises, ni pour le bon usage de l’argent public. Je suis favorable à ce qu’on éclaircisse cette forêt amazonienne, à ce qu’on redéfinisse la répartition des responsabilités ».

« On a tendance à taper sur ce qui marche »

Comme la directrice générale d’Orange Christel Heydemann la veille, Bruno Le Maire a dû se faire le défenseur de « l’efficacité » du CIR, le crédit impôt recherche, régulièrement l’objet de critiques et aussi de tentations à l’heure où l’État cherche à diminuer le poids de ses dépenses. Il a rappelé que ce « dispositif attractif qui fait la force du pays » était avant tout « la compensation » d’allégements de cotisations plafonnés pour les ingénieurs. « Cela me fait furieusement penser aux critiques que l’on faisait sur le nucléaire. On a tendance à taper sur ce qui marche », a-t-il raillé.

Soulignant que des « ajustements nécessaires ont été faits », l’ancien ministre a plaidé pour une « stabilisation » de l’outil et s’est dit défavorable à « créer une conditionnalité à son usage ». « S’il faut corriger des excès d’une ou deux entreprises, nous avons d’autres moyens de les corriger. Cela ne justifie pas de mettre des conditions générales à l’utilisation du CIR, qui vont aboutir à une véritable usine à gaz », s’est-il inquiété. Durant  les questions, le président de la commission Olivier Rietmann (LR) a notamment posé le sujet d’entreprises dépendantes du CIR et qui se retrouvent à déployer les résultats de leur recherche sur des chaînes de production à l’étranger.

Une autre série d’aides aux entreprises, importantes en volume, a également été évoquée : les allègements de TVA. Lors de l’audition, Bruno Le Maire a fustigé le « choix funeste » de la France d’être « une économie de consommation et pas une économie de production ». L’ancien ministre s’est dit en accord avec le plan proposé mardi par l’U2P, l’organisation patronale qui représente les entreprises de proximité, qui préconise de réduire certaines contributions sociales qui pèsent sur le salaire net, comme la CSG, en le finançant en partie par une révision des taux de TVA.

« Le taux de TVA moyen français est l’un des plus faibles des pays développés […] Nous aurions tout intérêt à réorienter nos mécanismes en faveur de la production, notamment industrielle et à forte valeur ajoutée, d’avoir à la place un taux de TVA moyen plus élevé, un transfert vers les salaires pour avoir des salaires nets plus élevés et favoriser une économie de production », a défendu Bruno Le Maire.

« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis » : l’ancien ministre se dit en faveur d’une opération transparence sur les aides accordées aux grandes entreprises

Interrogation désormais récurrente dans cette commission d’enquête : l’ancien ministre a dû se positionner sur l’opportunité de publier chaque année un tableau récapitulatif sur les aides touchées par les grands groupes. « Je suis favorable à la transparence, mille fois oui », a martelé Bruno Le Maire. Le rapporteur aurait aimé avoir cette réponse il y a plusieurs années. « Mais vous ne l’avez jamais fait, on vous a interrogé je ne sais combien de fois sur ces questions ! » Réponse du ministre désormais en retrait de la vie politique : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. »

Bruno Le Maire a également été interrogé sur la transformation à partir de 2019 du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements de cotisations pérennes. Fabien Gay a rappelé, en s’appuyant sur une étude de France Stratégie (organe qui dépend de Matignon) que cette aide coûtait 20 milliards d’euros par an et n’avait participé qu’à la création ou au maintien de 100 000 emplois. « C’est beaucoup », a assuré l’ancien ministre, qualifiant sa pérennisation de « bonne décision ». « Le vrai sujet n’est certainement pas de revenir à un crédit d’impôt qui doit être voté chaque année, qui crée de l’instabilité. »

Une nationalisation d’ArcelorMittal ? « Pourquoi pas, mais ça ne peut être que la solution de dernier recours »

L’audition a également permis d’évoquer un dossier industriel brûlant du moment : ArcelorMittal. La branche France du sidérurgiste, déjà entendue par la commission d’enquête fin mars, a depuis annoncé sa volonté de supprimer 600 emplois. Le géant de l’acier avait par ailleurs arrêté un haut fourneau à Dunkerque en mars, pour raison de maintenance, mais les représentants des salariés redoutent l’amorce d’un désengagement du groupe dans le pays. « Tout doit être fait pour sauver le site de Dunkerque », a fait savoir Bruno Le Maire, évoquant un site « vital pour la France et l’Europe » et un « enjeu stratégique ». Pour l’ancien ministre, la négociation avec l’actionnaire arrive à un « moment de vérité ». « Cela fait 12 ans qu’il nous ballade Mittal, il n’a aucune envie », a rétorqué le sénateur Fabien Gay.

Pour rappel, l’an dernier l’État a signé avec le sidérurgiste un contrat d’aide soutenant la décarbonation du site de Dunkerque. « Il va de soi que pas un euro d’argent public ne doit être versé tant que Mittal n’a pas engagé d’investissement », a précisé comme une évidence Bruno Le Maire.

Contrairement à de nombreux élus, et à son prédécesseur Arnaud Montebourg, auditionné la veille au Sénat, Bruno Le Maire ne s’est pas affiché directement en faveur d’une nationalisation du site. « Pourquoi pas, mais ça ne peut être que la solution de dernier recours, elle ne peut être que temporaire. Ne donnons pas l’illusion aux salariés que l’Etat pourrait être le le gestionnaire d’un site de sidérurgie, c’est une folie ! »

L’ancien ministre estime que « la seule bonne mesure efficace et rapide » qui « doit être prise sans délai » est une « limitation drastique des contingents d’acier chinois » qui entrent sur le marché européen. « Stop à l’acier chinois, voilà le seul message que nous attendons de la Commission européenne ! » a-t-il lancé.

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