Aides aux entreprises : un face à face sous tension au Sénat entre Bernard Arnault et le communiste Fabien Gay

Le PDG du groupe LVMH a été auditionné ce 21 mai par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides versées aux grandes entreprises. Suppressions de postes chez Moët Hennessy, présence de filiales dans des paradis fiscaux, coût de la Fondation Louis Vuitton : le milliardaire a dû répondre à plusieurs questions du sénateur communiste, dans une ambiance parfois tendue. Le dirigeant a dans le même temps rappelé l’importance de la contribution fiscale de son groupe, qu’il considère être comme le « plus patriote » du CAC 40.
Guillaume Jacquot

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L’audition attendue de Bernard Arnault devant le Sénat ce 21 mai a presque failli s’ouvrir avec un peu de retard. Retardé par des « bouchons sur le périphérique » en raison d’une manifestation de taxis, le PDG du groupe de luxe LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton) a commencé par les échanges avec les sénateurs avec une note d’humour. « Je me suis dit que le président allait envoyer la maréchaussée », a-t-il commencé, se disant « ravi » de pouvoir répondre aux questions de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides versées aux grandes entreprises.

Les parlementaires et le milliardaire ont mis de longues semaines pour s’accorder sur une date commune. Initialement, la rencontre était programmée une semaine plus tôt, mais le dirigeant du premier conglomérat de marques de luxe au monde, a dû annuler sa venue, retenu par des engagements aux Etats-Unis, pays dont il a été largement question au cours des échanges. « Nous avons eu beaucoup de mal à trouver une date », s’est permis de rappeler le rapporteur Fabien Gay, membre du groupe communiste à l’origine de cette commission, laquelle a braqué ses projecteurs depuis février sur une trentaine de grands PDG, dont beaucoup sont cotés au CAC 40.

Le PDG de LVMH « un peu choqué » par la Une de l’Humanité, dirigé par le rapporteur Fabien Gay

Cette fois, il n’était pas question de concentration des médias, comme trois ans plus tôt (le groupe possède Le Parisien, Les Echos ou encore Radio Classique), le PDG a dû s’exprimer ce mercredi sur les aides dont son groupe bénéficie. L’audition a cependant vite tourné au vinaigre, avant de reprendre un ton plus apaisé par la suite. Bernard Arnault s’est dit « un peu choqué » par la première page de l’Humanité, dont le rapporteur se trouve être le directeur. « Le luxe sabre l’emploi », pouvait-on y lire. Le quotidien consacre un développement sur le plan de suppression de 1 200 postes dans la branche Moët Hennessy, confrontée à d’importants reculs de ses ventes, qu’il s’agisse du cognac ou du champagne.

« Pourquoi votre journal a titré sur quelque chose qui est faux ? J’aurais trouvé plus convenable que Monsieur le rapporteur fasse ses critiques à mon sujet après m’avoir entendu » s’est exclamé le patron de LVMH, qui a vu une attaque dirigée contre l’ensemble de son secteur d’activité. « Je ne tiens pas le stylo de l’ensemble de mes journalistes, comme vous ne tenez pas le stylo des journalistes du Parisien et des Echos », a répliqué le sénateur, avant d’insister sur la véracité des informations au sujet du plan imposé à la branche vins et spiritueux du groupe.

« On ne peut quand même pas nous critiquer de faire ça, à un moment où dans cette activité, il y a des problèmes. C’est une assimilation tout à fait exagérée de parler de suppressions d’emplois. Il s’agit simplement de ne pas remplacer les départs naturels. On n’est pas obligés de garder les effectifs constants », s’est défendu Bernard Arnault.

Un deuxième sujet a opposé les deux hommes : le crédit d’impôt mécénat. Le groupe en a bénéficié pour un montant de 32 millions d’euros en 2023, soit une petite fraction du total des 275 millions d’euros d’aides et de soutiens divers versés par l’Etat à l’empire du luxe. Une somme que la directrice financière du groupe, Cécile Cabanis, a mise en comparaison avec les 3,8 milliards d’euros de contribution fiscale du groupe (hors TVA) et les 3,9 milliards d’euros d’investissements du groupe mené en France la même année.

Le rapporteur a mis en avant le coût important pour l’Etat de la Fondation Louis Vuitton, construite de 2008 à 2014 dans le bois de Boulogne à Paris, s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes de 2018. « Le bâtiment ayant coûté très cher, le montant, parfaitement légal prévu dans la loi mécénat à l’époque, est élevé. Depuis la loi a été amendée », a objecté le PDG de LVMH. Le dirigeant a en outre rappelé l’exemple des 200 millions d’euros mobilisés par son entreprise pour la reconstruction de Notre-Dame, qui n’ont fait l’objet d’aucune déduction fiscale.

« Faut-il, pour ne pas être accusé d’optimisation fiscale, fermer nos boutiques au Panama ? »

Le débat s’est ensuite joué sur les accusations « d’optimisation fiscale ». Fabien Gay a rappelé que LVMH avait été épinglé dans l’enquête OpenLux, qui a révélé l’existence de filières au Luxembourg, ou encore les dossiers Paradise papers, lesquels ont souligné que LVMH avait « logé six actifs dans des paradis fiscaux ». Dans les deux cas, le journal Le Monde a pris part à ces travaux d’enquête. « Notre groupe est présent dans de nombreux pays. Faut-il, pour ne pas être accusé de faire de l’optimisation fiscale, fermer nos boutiques au Panama ? Faut-il ne plus avoir de filiales au Luxembourg où nous avons un certain nombre de boutiques et des filiales pour les manager », a justifié en réponse le milliardaire. « Ce sont pas des journaux néomarxistes, loin de là », a tenu à préciser Fabien Gay. « Le Monde, il est plutôt LFI », a grincé le PDG. Et d’ajouter : « Ce qui a de mieux dans le Monde, ce sont les mots croisés, je les fais d’ailleurs tous les soirs. »

Plusieurs autres membres de la direction ont ensuite emboîté le pas du PDG. Stéphane Bianchi, numéro 2 du groupe, a voulu lui aussi démentir l’existence de schémas pour alléger la fiscalité du groupe. « On a des entités juridiques un peu partout dans le monde. Il n’y a aucun schéma d’optimisation fiscale », a fait valoir le directeur général adjoint. « Je pense que quand on a un taux d’impôt à 28,5 %, et qui va passer à 36,13 %, si on essayait de faire de l’optimisation, on ne serait pas très doués ! Deuxièmement, on ne fait absolument rien à but fiscal, on travaille pour le business », a rétorqué la directrice financière Cécile Cabanis.

Dans la foulée des autres PDG auditionnés ces dernières semaines, celle-ci a fait savoir que LVMH était favorable à ce que tous les ministères publient un récapitulatif des aides fléchées aux entreprises. « Avec un tout petit détail en plus : on fait le reporting brut, mais en remettant en perspective toute la partie prélèvements et investissements en France. »

Comme au mois de janvier, Bernard Arnault a profité de cette tribune au Parlement pour cibler à nouveau la surtaxe temporaire d’impôt sur les sociétés. Le taux de cette contribution, dans l’état actuel des choses limitée à 2025, se monte à 41,2 % pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de trois milliards d’euros. Elle sera calculée sur la moyenne des bénéfices de 2024 et 2025. Selon LVMH, elle devrait représenter « plus de 700 millions d’euros pour le groupe ». « Je constate une chose : notre groupe est probablement celui qui, parmi tous ceux du CAC 40 que vous avez interrogés, est le plus patriote. Nous sommes d’ailleurs celui qui payons le plus d’impôt en France, tout en ayant uniquement 8 % du chiffre d’affaires en France. »

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