Aides publiques aux entreprises : « Il n’y a plus de sous dans les caisses. Cet argent doit être bien utilisé », insiste le patron d’ExxonMobil France

La commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques a auditionné le président-directeur général d’ExxonMobil France, Charles Amyot, ce 8 avril. Meilleur ciblage, meilleur contrôle, choix pragmatiques, collaboration avec le public : le patron a livré une série de recommandations pour améliorer ces aides, à un moment où la France doit accélérer dans la transition énergétique, dans une période de difficultés budgétaires.
Guillaume Jacquot

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« Je voudrais saluer l’initiative qui a été prise ici », a fini par confier le PDG d’ExxonMobil France au terme de son audition devant la commission d’enquête sur les aides publiques, ce 8 avril. « C’est un droit de tirage du groupe communiste », a voulu rappeler le président LR en charge d’animer les débats, Olivier Rietmann, dans une sorte de complicité qui s’est installée avec son collègue Fabien Gay (PCF), rapporteur de cette commission. Jour après jour, les réflexions des sénateurs sur l’utilisation et l’utilité des aides publiques versées aux grandes entreprises se nourrissent de leurs échanges avec les dirigeants de grandes compagnies en activité sur le pays.

Charles Amyot, président-directeur général d’ExxonMobil France, estime que « nous devons à nos concitoyens » de « regarder l’efficacité coût-bénéfice des aides d’État ». Et ce débat est d’autant plus important pour lui actuellement. « Il faut se dire les choses, il n’y a plus de sous dans les caisses. On parle d’aides publiques, il faut d’abord trouver l’argent. Je pense que cet argent doit être bien utilisé. »

« Il m’est apparu que ces aides essayaient de combler en partie un écart de compétitivité »

À l’instar d’autres grands patrons entendus avant lui depuis le mois dernier, Charles Amyot a à la fois relevé la complexité de ces aides, mais aussi leur philosophie. « Il m’est apparu que ces aides essayaient de combler en partie un écart de compétitivité inhérent au système. Ne serait-il pas plus simple et efficace d’adresser les causes profondes ? » a-t-il demandé.

Patron d’une filiale française d’un groupe américain, opérant à la fois dans le raffinage, la distribution de carburants et dans la chimie, Charles Amyot a rappelé que « chaque puissance économique moderne » avait installé des « dispositifs d’aides parfois massives pour aider ses entreprises à faire face à l’ultra-compétition mondiale ». Il a ajouté que les incitations avaient « du sens pour ouvrir la voie à la transition énergétique ».

« Une aide d’État peut permettre de lancer, d’accélérer »

Comme il est de tradition depuis le premier jour de cette commission, le chef d’entreprise a fait part d’un certain nombre de suggestions pour améliorer le régime des aides publiques, notamment celui des soutiens à la transition écologique et aux technologiques encore coûteuses. Sa principale idée a trait à la durée des aides. « Je pense que le soutien des pouvoirs publics devait être temporaire, ça ne devrait pas durer pour toujours. Il est donc impératif de développer des marchés visant à encourager la réduction des émissions. »

Il est également primordial, selon le numéro un d’ExxonMobil France de garantir un certain nombre de principes pour la mise en place d’aides, « comme le pragmatisme, la visibilité, le ciblage et les contrôles ». Pour lui, une « approche concertée » entre acteurs privés et administration permettrait d’avancer sur cette voie. « Je n’ai pas de problème à avoir des objectifs contraignants, sur la décarbonation, mais travaillons sur la base des techniques que l’on maîtrise, que l’on est capable de développer à grande échelle. »

« Est-ce que l’entreprise a besoin pour faire tourner son activité des 20 millions d’euros d’aides publiques ? »

L’audition a naturellement permis de se pencher sur la situation spécifique de l’entreprise. Rappelons qu’ExxonMobil France chapeaute deux sociétés distinctes, ESSO SAF, bien connue des automobilistes, et ExxonMobil Chemical France (EMCF). La seconde, à l’image du secteur de la chimie en Europe, est lourdement déficitaire, avec près de 470 millions d’euros de pertes. L’an dernier, la première a généré 107 millions d’euros de profits. D’où l’interrogation du rapporteur Fabien Gay sur l’importance du volume des aides publiques touchées par l’entreprise, à savoir 20 millions d’euros chaque année. « Est-ce que l’entreprise a besoin pour faire tourner son activité des 20 millions d’aides publiques ? »

Près de la moitié des soutiens publics versés à ExxonMobil France sont des aides aux entreprises énergo-intensives. Comme chaque société qui nécessite beaucoup d’électricité ou de gaz pour sa production, ce type d’aide permet de lutter à armes égales avec d’autres régions du monde. Les quelque dix millions touchés à ce titre par ExxonMobil France représentent 5 % de sa facture annuelle (moyenne) en énergie de 200 millions d’euros. « Elles ne sont pas négligeables. Elles nous mettent en partie à parité avec nos concurrents internationaux, notamment américains, où le gaz est beaucoup moins cher. »

Sur le soutien à l’innovation, le crédit impôt recherche (CIR) touché par la société française est très limité : un million d’euros. Mais « pour le petit laboratoire de Gravenchon (à Port-Jérôme-sur-Seine en Normandie), c’est 15 % du budget, ce n’est pas négligeable », a assuré le dirigeant. Et d’ajouter : « Il faut faire la différence entre le groupe mondial, qui vit sa vie, fait sa politique, et notre société en France. »

L’entreprise a refusé de toucher les aides de la période Covid

Autre précision, mais l’entreprise n’est pas la seule dans ce cas de figure, ExxonMobil France n’a pas demandé les dispositifs de soutiens durant la pandémie, comme le chômage partiel ou les prêts garantis par l’Etat (PGE). Une curiosité pour Olivier Rietmann, alors que branche chimie de la holding affiche un lourd déficit. « Nous avons une gestion prudente, nous faisons attention, c’est dans notre génétique d’opérer un groupe soumis à d’extrêmes volatilités », a-t-il souligné.

Le PDG est aussi revenu sur la fermeture récente du vapocraqueur de Gravenchon (un équipement qui transforme des hydrocarbures en molécules élémentaires utilisées dans l’industrie chimique), dans un contexte de baisse de la demande en chimie et de surcapacités mondiales, mais aussi d’investissements massifs opérés par les puissances américaine et chinoise. Un plan de sauvegarde de l’emploi, concernant 677 emplois, a été décidé. « Il n’y avait pas d’autres solutions, c’est extrêmement difficile pour un dirigeant. L’objectif, c’est de travailler à la pérennité des activités qui restent viables », a-t-il répondu. Selon lui, 565 des volontaires au départ sur les 600 encore à accompagner, ont fait l’objet d’une « approbation » pour un reclassement interne ou externe.

Charles Amyot a en outre précisé qu’un projet de réduction des émissions d’une chaîne de production arrêtée en 2024 avait fait l’objet d’un accompagnement de l’État et que les fonds étaient en cours de remboursement. « Une procédure de remboursement de toute l’aide déjà perçue, 847 800 euros, a été engagée. »

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