Il n’aura fallu qu’une trentaine de minutes, ce vendredi 19 décembre, aux parlementaires réunis en commission mixte paritaire (CMP) pour acter leur désaccord sur le budget. Sans surprise, les sept sénateurs et les sept députés chargés de trouver un compromis sur le projet de loi de finances pour 2026 ont échoué à s’entendre. À ce stade, l’hypothèse du recours à une loi spéciale pour reconduire, au-delà du 31 décembre, le budget de l’année en cours est la plus probable.
Dans la semaine, l’entourage du Premier ministre avait déjà fait savoir que les équipes de Matignon se préparaient à saisir le Conseil d’Etat pour la mise en œuvre d’une loi spéciale, tant l’échec de cette CMP était attendu. Bercy s’est également préparé à ce scénario : « Je suis dans le quoi qu’il arrive, donc évidemment, avec les équipes qui sont sous ma direction, on a préparé, au cas où, un texte », a indiqué Amélie de Montchalin, la ministre des Comptes publics, dans la matinale de TF1.
« Conformément aux délais prévus par la Constitution et les lois organiques, le Parlement ne pourra donc pas voter un budget pour la France avant la fin de l’année », a acté Sébastien Lecornu dans un post sur son compte X ce vendredi matin. Le chef du gouvernement indique qu’il recevra à partir de lundi « les principaux responsables politiques pour les consulter sur la marche à suivre ».
Une troisième loi spéciale en un peu plus de quarante ans
Un air de déjà-vu pour les Français : l’année dernière, la chute du gouvernement Barnier avait obligé à la présentation, le 11 décembre, d’une loi de finances spéciale, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée et au Sénat les 16 et 18 décembre, puis promulguée par le président de la République le 20 décembre. Avant cette date, le gouvernement n’avait eu recours qu’une seule fois à ce mécanisme, en 1979. Cette année-là, le Conseil constitutionnel avait censuré le budget la veille de Noël, sur une question de procédure.
Une rustine budgétaire
Selon la formule consacrée, la loi spéciale permet d’assurer « la continuité de la vie de la Nation ». Ce texte assez bref – quatre articles – autorise l’administration à percevoir les impôts existants pour l’année à venir, sur la base des barèmes en vigueur dans la loi de finances en cours jusqu’au 31 décembre. Il permet également à certains organismes de sécurité sociale d’emprunter sur les marchés pour couvrir leurs besoins de trésorerie. La loi spéciale s’accompagne d’un décret pris par le gouvernement pour reconduire les crédits nécessaires au fonctionnement des politiques publiques. Là encore, dans les limites des niveaux fixés par la loi de finances encore en vigueur.
Il s’agit d’une solution de secours, le temps qu’un nouveau budget puisse être présenté, débattu et adopté par le Parlement. Cette année, il a fallu attendre le 6 février avant que le projet de loi de finances 2025 ne soit officiellement adopté. Mais ce dispositif législatif exceptionnel a aussi ses limites : il ne permet pas au gouvernement d’adapter les crédits à la conjoncture. Par exemple, le budget de la défense prévoit pour 2026 une augmentation minimale de 3,2 milliards d’euros, inscrite dans la loi de programmation militaire pour la période 2024-2030. Or, la loi de finances spéciale maintiendra ses crédits au niveau de 2025.
Selon des projections de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le recours à une loi spéciale pour l’année 2026 aboutirait malgré tout à un effort supplémentaire de dépenses publiques de 3 milliards d’euros, soit 0,1 point de PIB. Les recettes de l’Etat baisseraient de 6,5 milliards d’euros et le déficit se porterait à 5,5 % du PIB, contre les 4,7 % visé dans le projet de loi de finances initialement présenté par le gouvernement.
Un calendrier très serré
Le recours à la loi spéciale est encadré par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Si la procédure budgétaire classique n’a pas pu aboutir dans les délais impartis, le gouvernement doit déposer un projet de loi spéciale sur le bureau de l’Assemblée nationale « avant le 19 décembre ». Mais l’exécutif va devoir enjamber cette règle. Une fois l’avis juridique du Conseil d’Etat rendu, le texte pourrait être présenté en Conseil des ministres au cours du week-end. Il devrait arriver devant le Parlement en début de semaine prochaine, avec un examen attendu lundi au Palais Bourbon et mardi au Palais du Luxembourg.