Avec la démission de Sébastien Lecornu, le budget 2026 peut-il être adopté avant la fin de l’année ?
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Avec la démission de Sébastien Lecornu, le budget peut-il être adopté avant la fin de l’année ?

La déflagration provoquée par le départ surprise du Premier ministre rend extrêmement fragile le scénario de textes budgétaires déposés au Parlement dans le cadre d’un calendrier normal. Ce qui amènerait alors un prochain gouvernement à avoir recours à des procédures d’exception au niveau budgétaire.
Guillaume Jacquot

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C’est un dommage collatéral important. Le nouveau séisme politique provoqué par la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, moins de 24 heures après la formation de son gouvernement, est de nature à créer des difficultés dans le processus classique d’adoption du budget. Une course contre la montre va désormais s’engager.

La nomination tardive l’an dernier du gouvernement Barnier — annoncé un 21 septembre — avait déjà occasionné par la suite quelques entorses aux règles de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le texte qui sert de « Constitution financière » au pays. La démission d’un gouvernement un 6 octobre pourrait rendre l’exercice en cours encore plus tendu. « On va plus loin, et plus fort que l’an dernier, alors que c’était déjà saisissant », observe Alexandre Guigue, professeur de droit public à l’Université Savoie Mont Blanc, l’un des spécialistes de la mécanique constitutionnelle des finances publiques.

Un coup d’œil aux échéances à venir montre que la nouvelle vacance gouvernementale met en danger le calendrier budgétaire habituel. Une première date est menacée : celle du mardi 7 octobre, le premier mardi d’octobre. Selon la LOLF, c’est à cette date que doit être déposé le projet de loi de finances (PLF), et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026.

Le 13 octobre, date butoir à respecter pour mettre en œuvre une procédure habituelle

Mais la Constitution n’offre qu’une toute petite marge. Selon son article 47, le Parlement doit disposer de 70 jours pour se prononcer sur le budget : 40 jours pour la première lecture à l’Assemblée nationale, 20 jours pour celle du Sénat et dix jours pour la fin de la navette entre les deux chambres. À cette durée des débats parlementaires, il faut ajouter encore huit jours pour que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer sur les dispositions des textes adoptés. Autrement dit, pour tenir tous ces délais, et permettre une promulgation du budget 2026 au 31 décembre, le lundi 13 octobre est donc la dernière date possible de la présentation du PLF et du PLFSS en Conseil des ministres, avant la transmission des textes dans la foulée aux assemblées parlementaires.

Ce délai de 70 jours est incompressible. « Le risque de ne pas le respecter, c’est que le Conseil constitutionnel censure, en considérant que le retard est tel, que le Parlement n’a pas pu exercer ses pouvoirs constitutionnels », insiste le constitutionnaliste Alexandre Guigue. « On ne s’engage pas dans une procédure en sachant qu’on ne pourrait pas arriver au bout avant le 1er janvier. »

Dans cette courte fenêtre qui se termine le 13 octobre, un projet de budget est néanmoins sur la table, dont pourra se saisir le futur Premier ministre. La copie a en effet été envoyée la semaine dernière, pour avis, au Haut conseil des finances publiques. Le futur chef du gouvernement, lorsqu’il sera nommé, pourrait déposer le budget. « Le dépôt relève du pouvoir du Premier ministre, et non du gouvernement, c’est l’article 39 de la Constitution, l’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. Ce qu’il faut, c’est un Premier ministre de plein exercice, et pas démissionnaire », rappelle Alexandre Guigue.

En cas de dépôt tardif du projet de loi de finances, deux procédures de sauvetage

Si les textes budgétaires ne sont pas été déposés « en temps utile », c’est-à-dire à temps pour permettre une promulgation avant le début de la nouvelle année budgétaire, la Constitution prévoit un mécanisme de secours. Le gouvernement devra alors demander « d’urgence » au Parlement l’autorisation de pouvoir percevoir les impôts, et il ouvrira par décret la reconduction des dépenses de l’année précédente, ce sont les « services votés ». Ils correspondent au montant « indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement ».

La LOLF détaille deux issues possibles. Avant le 11 décembre, le gouvernement peut demander au Parlement de se prononcer, par un vote séparé, sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances, celle relative aux recettes. Comme nous l’expliquions il y a un an, ce cas de figure s’est produit en 1962, en raison de la dissolution du 9 octobre 1962. Une éventuelle dissolution cet automne pourrait avoir les mêmes conséquences sur le budget.

En cas d’échec, ou si cette procédure n’a pas été suivie, le gouvernement dépose avant le 19 décembre un projet de loi spéciale, un texte court et technique qui l’autorisera à continuer à percevoir les impôts existants, dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances en bonne et due forme. C’est ce qu’avait fait l’an dernier, le gouvernement Barnier démissionnaire en présentant un projet de loi spéciale le 11 décembre. Ce n’est qu’une fois que l’autorisation de percevoir les impôts, par l’adoption de la partie 1 du budget, ou par une loi spéciale, que le gouvernement ouvre les dépenses par décrets, dans le cadre très contraint des services votés.

La LOLF rappelle que cette solution de dernière minute, déjà expérimentée par la France, n’interrompt pas la procédure de discussion des textes budgétaires. Une loi spéciale ne remplace pas le budget. Elle a seulement pour objectif d’organiser une situation provisoire, jusqu’à l’adoption de la loi de finances. Pour l’exercice 2025, le PLF et le PLFSS avaient été promulgués en février.

Si l’examen du projet de loi de finances s’annonce comme l’an dernier extrêmement délicat, l’adoption de la loi spéciale s’est faite à l’unanimité au Parlement fin 2024. La France n’est donc pas démunie d’outils, reste à savoir dans quel climat politique ces procédures se mettront en œuvre, le cas échéant.

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