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Baisse de la dépense publique : « Le gouvernement est dans l’hypocrisie et la contre-vérité », fustige le rapporteur du budget au Sénat

Alors que le gouvernement affiche une baisse des dépenses de 4,2 milliards d’euros, les parlementaires de droite en charge de l’examen budgétaire au Sénat contestent la pérennité de cet effort budgétaire. Celui-ci s’expliquerait simplement par la fin des mesures d’urgence mises en place pendant le covid et la crise énergétique. À gauche, on conteste un schéma de rigueur budgétaire et en appelle à lutter contre l’évasion fiscale.
Louis Mollier-Sabet

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Le travail parlementaire autour du budget occupe en général la majeure partie de l’automne à l’Assemblée et au Sénat, mais c’est bien en pleine vague de chaleur estivale que Gabriel Attal a donné le coup d’envoi du marathon budgétaire pour 2024. En dévoilant les données du volet « dépenses » du projet de loi de finances dans un document envoyé aux parlementaires, le ministre des Comptes publics n’a certes mis que la moitié de l’ouvrage sur le métier, mais ces premières données permettent déjà d’esquisser les domaines où l’Etat investira – ou au contraire fera des efforts budgétaires – l’année prochaine. Dans Les Echos, Gabriel Attal annonce en grande pompe un budget « du désendettement vert », qui « pour la première fois depuis près d’une décennie », affiche des dépenses en baisse par rapport au budget de l’année précédente, pour un différentiel de 4,2 milliards d’euros. Une baisse de 3,5 % en tenant compte de l’inflation, assure le ministre des Comptes publics.

Une réduction de la dépense publique inédite ? « C’est faux »

« C’est faux », résume froidement Jean-François Husson. Le rapporteur LR du projet de loi de finances au Sénat met notamment en cause un « effort » budgétaire, « sans aucune réforme structurelle majeure », et qui ne porte que sur « les crédits de crise, qui sont par définition temporaires, et s’éteignent simplement cette année. » Un rapide coup d’œil dans le tableau des dépenses de l’Etat par « mission » budgétaire (p. 4 du document « Plafonds de dépenses du PLF 2024 ») permet en effet de voir que le principal poste d’économies dans les dépenses de l’Etat entre les exercices budgétaires 2023 et 2024 reste bien la baisse de 14 milliards des dispositifs de boucliers énergétiques et d’indemnité exceptionnelle carburant.

Viennent ensuite le plan de relance, pour 3 milliards, des dispositifs de mesures exceptionnelles pour les collectivités territoriales (300 millions), ainsi qu’un milliard de moins pour le plan de relance de la Sécurité sociale. Un peu plus de 18 milliards d’extinctions de crédits qui n’avaient de toute façon pas vocation à perdurer à long terme, et qui – en dehors des 2,3 milliards économisés sur le dispositif Pinel – permettent au gouvernement d’afficher un solde de dépenses négatif d’un peu plus de 4 milliards.

« Le gouvernement est a minima dans un discours de contre-vérité, dans l’hypocrisie. C’est une opération de mystification générale », assène Jean-François Husson, qui se dit « préoccupé » par une « posture qui frise l’irresponsabilité » et « ne manifeste aucun courage politique. » Lors d’une présentation de ces chiffres par le ministre Gabriel Attal, Jean-François Husson indique l’avoir interrogé sur la nature précise des efforts budgétaires qui seraient faits. « Je n’ai pas eu de réponse en dehors des dépenses d’urgence », affirme-t-il. Le rapporteur LR du budget appelle « à dresser un contrat réel de la situation » et à « enclencher un vrai discours de redressement de nos comptes. » Les documents budgétaires de Bercy précisent que la charge de la dette – c’est-à-dire la somme payée par l’Etat sur l’année à cause des taux d’intérêt de ses créances arrivant à échéance – augmentera bien de 300 millions d’euros en 2024 pour atteindre 57,7 milliards d’euros, mais que le déficit devrait lui baisser de 4,9 % à 4,4 % du PIB.

Un statu quo budgétaire

Quand on interroge Christine Lavarde, rapporteure spéciale de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables », qui est la mission qui voit donc ses crédits le plus diminuer avec la fin des mesures d’urgence sur l’énergie, elle corrige immédiatement : « Des économies ? Plutôt de la communication. » La sénatrice LR développe : « Ce sont des économies faites sur de la dépense conjoncturelle, mais ce qui est important c’est de faire des économies sur la dépense structurelle. Celles-ci pourraient être portées par la sphère sociale avec des efforts significatifs dans la discussion du budget de la Sécurité sociale. »

C’est ce qui explique d’après elle un budget qui marque plutôt un statu quo qu’une rupture austéritaire, quand on rentre dans le détail. « Les dépenses courantes de l’Etat ne sont pas vraiment en baisse, et notamment parce que les lois de programmation ou la revalorisation du point d’indice engagent très fortement une grande partie de la dépense publique », ajoute Christine Lavarde.

En effet, du côté des augmentations de dépenses, le budget de l’enseignement scolaire affiche la plus forte hausse nominale, avec 3,9 milliards supplémentaires. Une simple montée en charge des revalorisations déjà annoncées l’année dernière, assure le rapporteur spécial des crédits de la mission, le sénateur LR Gérard Longuet : « Ces milliards sont l’addition de mesures qui sont connues depuis un an, et notamment la revalorisation du point d’indice, l’entrée en vigueur du Pacte, et l’objectif d’amener tout le monde à 2000 euros net. »

Des questions qui subsistent sur la hausse des crédits de la planification écologique et les collectivités locales

Un autre poste d’investissement a été mis en avant par le gouvernement au niveau des dépenses supplémentaires : la planification écologique. Là aussi, au stade actuel, Christine Lavarde reste mesurée sur la question : « Il faut s’assurer qu’on n’opère pas de recyclage de crédits comme en 2023, où les 2 milliards du Fonds Vert étaient du recyclage de crédits conjoncturel du plan de relance. On peut craindre par exemple que des crédits exceptionnels qui ont alimenté la DSIL [Dotation de Soutien à l’Investissement Local, qui alimente les projets d’investissements des collectivités locales] deviennent des crédits de la planification écologique. » En clair, le gouvernement afficherait une baisse des dépenses qui repose sur la fin de dispositifs exceptionnels, dont elle pérenniserait une partie et la réaffecterait à d’autres budgets pour afficher une hausse sur d’autres missions budgétaires. « Il va falloir faire attention aux reports de crédits », abonde Jean-François Husson.

Pour éclaircir ces points, il faudra attendre l’automne et les fameux « bleus » budgétaires, qui permettront d’avoir l’information de façon assez détaillée. Et notamment sur le volet « recettes » du budget, que le gouvernement n’a pour le moment pas détaillé. « Le ministre nous a dit qu’il faudrait attendre le mois de septembre [pour les recettes] », confie Jean-François Husson. « La séquence du mois de septembre n’y est peut-être pas étrangère pour que l’Etat reste en embuscade sur les budgets des collectivités territoriales notamment », détaille-t-il. Les finances des collectivités locales représentent en effet un enjeu crucial pour les élus locaux qui voteront aux élections sénatoriales le 24 septembre prochain. Pour le moment, le gouvernement affiche simplement un financement total des collectivités territoriales en hausse d’un milliard d’euros entre 2023 et 2024, à 54,1 milliards, mais Jean-François Husson estime encore « être dans le flou », notamment sur la porosité avec certains budgets de la Transition écologique.

Evasion fiscale : « Pour le moment, je n’ai pas vu grand-chose »

À gauche, ce n’est pas l’ambiguïté de l’exécutif sur la réduction des dépenses qui dérange, mais bien le paradigme budgétaire de la majorité présidentielle et de la droite sénatoriale. « C’est un message pour rassurer les marchés, si tant est qu’ils soient inquiets, parce qu’on va encore leur emprunter 270 milliards d’euros, le fond du problème est là », réagit Éric Bocquet.

Le sénateur communiste regrette les choix d’austérité budgétaire, notamment sur un secteur comme le logement. « Les choix qui sont faits sont extrêmement dommageables. Une baisse des crédits sur le logement alors que l’on vit une véritable crise avec 2,4 millions de foyers en attente de l’attribution d’un logement, 300 000 sans domiciles fixe et la contraction du crédit bancaire… », alerte notamment le sénateur du Nord.

Ce spécialiste de l’évasion fiscale regrette aussi – mais ne s’étonne pas – de la faiblesse des annonces du gouvernement en la matière, alors que Gabriel Attal avait annoncé un plan « antifraude » en février dernier. « Je m’attendais à des annonces fracassantes du ministre Gabriel Attal sur son plan de lutte contre l’évasion fiscale que l’on était censé voir dans le projet de loi de finances, mais pour le moment, je n’ai pas vu grand-chose. Le gouvernement ne semble pas vouloir s’attaquer à des recettes nouvelles, il n’y a aucun signal là-dessus. Mais on va mener la bataille comme d’habitude. » Pour la bataille, rendez-vous cet automne au Parlement.

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