Budget 2024 : Le Sénat rejette le texte en nouvelle lecture et dénonce un mépris du Parlement

De retour de l’Assemblée nationale où il a été adopté par 49.3, et après une commission mixte paritaire non conclusive, le projet de loi de finances pour 2024 a été rejeté par les sénateurs ce mardi, avant même d’être examiné. Les sénateurs dénoncent un « mépris pour le travail du Sénat », ainsi qu’une trajectoire trop timide de réduction des dépenses publiques.
Mathilde Nutarelli

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Alors que la commission mixte paritaire sur le projet de loi immigration se mettait d’accord sur un texte, c’est un désaccord qui s’exprimait dans l’hémicycle du Sénat. En effet, les sénateurs ont rejeté, en deuxième lecture, le projet de loi de finances pour 2024, en adoptant une question préalable, qui permet de rejeter un texte avant même de ne l’avoir examiné en séance.

Un budget au parcours difficile

Le texte a eu un parcours semé d’embûches, mais qui devient presque habituel, dans un régime où la majorité présidentielle n’est que relative à l’Assemblée nationale. Il a en effet été adopté par 49.3 en première et en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, entrecoupées par un long examen au Sénat, au cours duquel il a été substantiellement modifié, et une commission mixte paritaire non conclusive.

Les sénateurs dénoncent un manque d’ambition dans la réduction des dépenses publiques

C’est la version retenue par le gouvernement dans la version adoptée par 49.3 lors de la nouvelle lecture à la Chambre basse dont les sénateurs n’ont pas voulu. Ce qu’ils lui reprochent, d’abord, c’est le manque d’économies du budget 2024. Le rapporteur général de la commission des finances, le LR Jean-François Husson, fustige un texte qui ne fait « qu’aggraver la situation » sur le plan des finances publiques. « Où le gouvernement a-t-il fait les économies supplémentaires annoncées ? » interroge le sénateur. « Pas un centime des sept milliards d’économies votées par notre assemblée n’a été repris par [lui] », regrette-t-il. Il déplore ainsi que des mesures d’économies, adoptées par le Sénat, n’aient pas été gardées dans la nouvelle version du texte, comme la baisse des crédits de l’audiovisuel public, ou encore le dispositif de ciblage des aides aux ménages sur l’électricité. « C’est le même gouvernement qui demande à l’envi au Parlement de faire des économies, à défaut de savoir le proposer lui-même, et qui, quand il les propose, ne les reprend pas. C’est un jeu de dupes qui discrédite et décrédibilise le monde politique en général et donc la démocratie, en plus de nuire gravement aux finances publiques de notre pays », se désole Jean-François Husson. Thomas Cazenave, ministre délégué en charge des Comptes publics, défend son texte qui propose, selon lui 14 milliards d’euros d’économies, sans « grand coup de rabot dans la dépense publique ». « Nous ne changerons pas de cap, car il produit des résultats », affirme-t-il face aux sénateurs.

Moins qu’un quart des amendements adoptés au Sénat repris dans le texte final

Autre défaut de la nouvelle version du budget pour les sénateurs : beaucoup des amendements qu’ils ont adoptés n’ont pas été repris par le gouvernement. Des mots même du ministre délégué chargé des Comptes publics, sur les 3 760 amendements déposés en séance au Sénat et parmi eux les 663 adoptés, ce sont 120 qui ont été retenus, soit moins du quart. Les sénateurs déplorent notamment l’abandon du dispositif qu’ils avaient imaginé en remplacement du bouclier tarifaire sur l’énergie, c’est-à-dire le ciblage des aides sur 60% des ménages. Sur les bancs de la gauche, on regrette en particulier la disparition d’une disposition votée au Palais du Luxembourg créant six mille places d’hébergement d’urgence supplémentaires, provoquant l’indignation de l’écologiste Thomas Dossus. « D’un trait de plume, vous avez décidé de laisser des gamins dormir dans des tentes », a-t-il lancé au ministre au banc.

Parmi les amendements retenus, on compte l’instauration d’une taxe streaming, voulue par le Sénat, et qui a donné lieu à de longs débats, à l’intérieur et en-dehors de l’hémicycle. Problème : si l’idée de la taxe est conservée, son taux a changé, passant de 1,75 à 1,2%. Le sénateur communiste du Nord Éric Bocquet se désole d’une taxe « dévitalisée ». Une autre mesure adoptée par le Sénat figure dans le texte, mais à l’insu du plein gré du gouvernement, qui aurait omis de l’en retirer avant de le soumettre au 49.3 devant le Palais Bourbon : la suppression de la niche fiscale « Airbnb». Les sénateurs ont ainsi ramené de 70% à 30% l’abattement fiscal pour les propriétaires de logements meublés touristiques. Pour revenir sur cette « erreur », le gouvernement a expliqué, entre les lignes, que les décrets d’application ne seraient pas publiés. Ce qui est loin de convenir aux sénateurs, et en particulier à Jean-François Husson, qui interpelle le ministre : « Rassurez-nous, vous allez bien appliquer la loi ? »

Les sénateurs dénoncent un « mépris pour le travail du Sénat »

Mais au-delà des mesures précises qui manquent ou qui sont présentes dans le texte, ce que les sénateurs dénoncent, unanimement, c’est le manque de considération du Parlement par le gouvernement. Ils regrettent un texte qui n’a pas été examiné par l’Assemblée nationale et qui ne reprend que très partiellement les dispositions introduites par la seule Chambre qui l’a fait. « Les quelques ‘accords’ trouvés sont des écrans de fumée qui masquent le fait que l’exécutif choisit de s’exonérer de toute validation parlementaire », regrette Jean-François Husson. Pour Thomas Dossus, « ce n’est pas le respect du débat parlementaire qui guide ce gouvernement », le communiste Eric Bocquet regrette un « solisme budgétaire », le RDSE Christian Bilhac dénonce un texte « marqué par le sceau du mépris, un mépris pour le travail du Sénat ». L’exemple le plus parlant de ce mépris, pour les sénateurs, est le rétablissement, dans le texte final, de l’amendement Fifa. Cet amendement, supprimé par le Sénat, vise à exonérer de nombreux impôts et cotisations sociales, comme l’impôt sur le revenu des salariés ou l’impôt sur les sociétés, les fédérations sportives internationales qui s’installeraient en France. Une « véritable provocation », pour le rapporteur général.

Après son rejet au Sénat, le texte a été adopté par 49.3 à l’Assemblée nationale, rapprochant un peu plus Elisabeth Borne du record de Michel Rocard qui y avait eu recours vingt-huit fois entre 1988 et 1991.

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