Le soulagement était de rigueur dans les ministères, quand le Parlement a voté la semaine dernière le projet de loi de finances. Le vote final au Sénat a clos une longue période d’incertitude budgétaire. Et il signe la fin du régime inconfortable des services votés, permis par la loi spéciale. La France a connu trois gouvernements différents, tout au long de cette séquence douloureuse, de la préparation technique aux renégociations de janvier.
Le gouvernement Bayrou s’est vu retirer une épine dans le pied. Mais pour combien de temps ? Chaque cycle budgétaire est un éternel recommencement. Matignon et Bercy veulent prendre les devants et entament ces jours-ci les premiers préparatifs du budget 2026, afin de trouver une voie de passage à l’automne prochain, dans une Assemblée nationale toujours très fragmentée. Les équilibres de la prochaine loi de finances dépendront en premier lieu du respect de l’actuel budget.
C’est loin d’être une mince affaire. Les derniers mois ont montré que les écarts pouvaient être massifs, entre la cible votée et l’exécution réelle. En 2023, le déficit public s’est creusé à 5,5 % du PIB au lieu des 4,4 % inscrits en loi de finances. Cette « tempête parfaite », décrite par l’ancien ministre de l’Economie Bruno Le Maire s’est reproduite pour l’année 2024, avec un nouveau dérapage de 50 milliards d’euros. Le déficit, qui devait revenir à 4,4 %, a finalement poursuivi son plongeon pour atteindre 6,1 %.
« On va réunir les responsables de la dépense publique tous les mois »
Jamais deux sans trois ? Bercy se dote de nouveaux instruments pour que l’histoire ne se répète pas une nouvelle fois. « On va mettre en place, avec le Premier ministre, des outils de pilotage budgétaire inédits », a assuré le ministre de l’Economie Eric Lombard dimanche, lors de l’émission Le Grand Jury (RTL, Public Sénat, Le Figaro). « On va réunir les responsables de la dépense publique tous les mois afin de vérifier que le cadrage de la dépense publique est respecté. »
Pour être précis, ce suivi régulier portera à la fois sur le volet des recettes, mais aussi celui des dépenses. Les ministères devront non seulement surveiller le rythme de consommation, mais aussi imaginer des « mesures de redressement en cas d’aléas de gestion », expliquait-on à Bercy jeudi. Éric Lombard et Amélie de Montchalin, la ministre des Comptes publics, vont réunir « l’ensemble des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels (CBCM) et les secrétaires généraux des ministères dans les prochaines semaines ». C’est l’une des nouveautés qui se met en place pour s’assurer de terminer l’année avec un déficit de 5,4 % en 2025. « Le respect des 5,4 % est un impératif », insiste-t-on dans l’entourage d’Amélie de Montchalin.
Des premiers doutes sur le respect du budget 2025
Saisi après les derniers arbitrages, le mois dernier, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a cependant pris avec beaucoup de pincettes le nouveau cadrage budgétaire. La prévision de croissance ? « Atteignable, mais un peu optimiste au vu des indicateurs conjoncturels les plus récents », mettait en garde l’organisme, placé auprès de la Cour des comptes. Ce budget 2025 se base sur une croissance estimée à 0,9 % par le gouvernement, un niveau supérieur au consensus des économistes, qui l’attendent à 0,7 %. Le contexte économique n’est d’ailleurs plus aussi solide qu’avant. Les organisations patronales multiplient les alertes sur la hausse du nombre de défaillances d’entreprises. Ce projet de loi de finances « offre peu de marges de sécurité », a averti le HCFP.
D’autres acteurs n’ont pas attendu la dernière version du projet de loi de finances, scellée dans un accord en commission mixte paritaire le 31 janvier, pour mettre en doute la cible des 5,4 %. « Tout est réuni pour que ce budget dérape », estimait à la mi-janvier le rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Charles de Courson. Le député LIOT a mis en cause, auprès des Échos, des « hypothèses en décalage avec la réalité », mais également la « fragilité constitutionnelle » de deux grandes dispositions fiscales temporaires : la surtaxe d’impôt sur les sociétés et la contribution différentielle sur les hauts revenus. Ce sont dix milliards d’euros de recettes qui vont donc dépendre de l’interprétation du juge constitutionnel dans les jours à venir.
À cette incertitude s’ajoute la concertation ouverte sur le plafond d’exonération de la TVA qui s’appliquera aux autoentrepreneurs. Le produit du plafond qui a été abaissé dans le budget, aujourd’hui suspendu, se compte en centaines de millions d’euros.
Les équipes de Bercy ont « beaucoup travaillé » sur la question des écarts de prévision
Quant aux autres recettes classiques, en particulier l’impôt sur les sociétés, le ministère de l’Economie et des Finances assure avoir tiré les leçons de 2023 et de 2024, deux années où les rentrées fiscales ont été nettement inférieures aux prévisions. Plusieurs raisons ont été avancées l’an dernier. La composition de la croissance a évolué, et a été davantage tirée par les exportations que par la demande interne, d’où des déceptions sur le front du rendement de la TVA. Côté entreprises, les précédents gouvernements ont souligné la difficulté des modèles à prévoir les recettes, dans un contexte de normalisation post-Covid. Une mission de l’Inspection générale des finances (IGF) avait été diligentée sur le sujet l’été dernier.
En octobre, le précédent ministre de l’Économie, Antoine Armand, s’était engagé devant les parlementaires à améliorer la « qualité des prévisions économiques », avant d’annoncer « un plan d’amélioration des prévisions et de suivi des dépenses ». Ce dimanche, Éric Lombard a affirmé que les services disposent à présent d’un retour sur expérience. « Les équipes de Bercy ont beaucoup travaillé avec leurs homologues européens pour comprendre pourquoi il y a eu ces écarts de prévisions. Ce travail nous a été remis par les équipes en charge, on a bien compris ce qu’il s’était passé. Ces raisons ont été corrigées », a témoigné le ministre au Grand Jury.
Les sénateurs veulent être associés au suivi budgétaire
Après une double mission d’information sur le suivi du dérapage des comptes publics menée au Sénat — et dupliquée depuis peu à l’Assemblée nationale — les parlementaires vont eux aussi aborder cette nouvelle année budgétaires avec certaines exigences.
Dans son premier rapport remis en juin, la commission des finances du Sénat demandait de mettre un terme à une forme « d’opacité budgétaire ». Elle demande la transmission sous forme sécurisée des notes techniques sur les prévisions macroéconomiques ou budgétaires aux présidents des commissions des finances et à leurs rapporteurs généraux. L’an dernier, Bruno Le Maire s’est déclaré favorable à cette piste. Son successeur Antoine Armand également : il s’était engagé à associer la représentation nationale au suivi des comptes. Difficile pour le gouvernement de ne pas prolonger ces engagements. « Je n’ose pas imaginer que ça ne soit pas suivi d’effets par les nouvelles équipes », indique le rapporteur général Jean-François Husson (LR), qui précise avoir reçu « quelques données ».
Le sénateur de Meurthe-et-Moselle doit échanger cette semaine avec le président du Sénat, Gérard Larcher, sur le suivi de l’exécution du budget 2025, mais aussi sur les « réflexions à conduire pour préparer les orientations du budget 2026 ».
Les sénateurs ont également exigé d’être saisis « sans délai » en cas d’écart sur les estimations fiscales ou macroéconomiques. Autre requête : qu’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) soit déposé, « en cas de modification importante des prévisions » à la base de la loi de finances initiale. L’an dernier, l’option d’un PLFR n’avait pas été retenue. Les sénateurs avaient suspecté la proximité des élections européennes en juin.
Interrogé au Grand Jury sur l’éventualité d’un PLFR, si la situation devait se dégrader, Éric Lombard ne s’est pas prononcé sur ce sujet. « On va surtout se battre pour que cette croissance soit atteinte, et pour cela, il faut qu’on soutienne les entreprises, il faut qu’on donne de la visibilité », a-t-il indiqué.
Du côté du Sénat, Jean-François Husson appelle à ne rien exclure. « Si on estime qu’il y a un besoin, on fera entendre notre voix, et on ira plus loin que la fois précédente. Mais je me refuse à me projeter davantage sur cette hypothèse. Cela voudrait dire qu’on a été mis en échec sur les orientations. »