Paris: QAG au Senat

Budget 2025 : le plan de la majorité sénatoriale pour faire passer de 5 à 2 milliards d’euros les économies demandées aux collectivités

Les sénateurs de droite et du centre comptent réduire drastiquement l’effort budgétaire demandé aux collectivités territoriales pour 2025, notamment pour les départements. Mais la méthode pour y parvenir ne fait pas consensus au sein de la majorité sénatoriale. Les pistes d’économies pour préserver les grands équilibres du budget ne sont pas tout à fait les mêmes d’un camp à l’autre.
Romain David

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Pour le Sénat, ce sera deux au lieu de cinq. Gérard Larcher, le président de la Chambre haute, a annoncé ce week-end qu’il espérait réduire l’effort budgétaire demandé aux collectivités pour 2025 de cinq à deux milliards d’euros. « Il en manque trois par rapport à ce que prévoyait le gouvernement. Nous les trouverons ailleurs », assure, sans plus de détails, le sénateur des Yvelines dans une interview accordée au Journal du Dimanche. Quelques heures après la publication de cet entretien, Hervé Marseille, le chef de file des sénateurs centristes, lui a emboîté le pas sur le plateau de France 3 : « On a décidé de faire beaucoup moins […], ça ne sera pas cinq milliards de prélèvements, ce sera deux. En tout cas, c’est ce que nous voterons », a martelé l’élu des Hauts-de-Seine. Et d’ajouter : « Nous ne pouvons pas accepter une pression aussi forte ! »

Ces déclarations, aux allures d’offensive coordonnée de la part de la majorité sénatoriale, le Sénat étant dominé par une alliance des LR et des centristes, annoncent la couleur, à une semaine du début de l’examen du projet de loi de finances 2025 (PLF) au palais du Luxembourg. Après des débats houleux à l’Assemblée nationale, qui a finalement rejeté la partie « recettes » du budget la semaine dernière, le gouvernement mise sur les sénateurs pour établir une copie du PLF qui soit davantage conforme à ses attentes. Mais la bien nommée « Chambre des territoires » compte y laisser sa marque.

Le gouvernement appelle le Sénat à modifier la copie budgétaire

Mercredi dernier, à l’occasion d’une audition devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Catherine Vautrin, la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, a pris soin de rappeler que le projet de loi avait été établi dans la précipitation, en raison des évènements politiques des derniers mois, et qu’il ne demandait qu’à être amendé. « Mais je vais être très claire, il y a un bas de page qu’il faut que nous trouvions. Il y a des économies que nous devons trouver », a averti l’ancienne présidente du Grand Reims.

« Nous partageons l’équation globale du budget. Il y a des efforts à faire sur la dépense pour revenir à 5 % du PIB l’année prochaine », abonde le sénateur LR Stéphane Sautarel, l’un des rapporteurs spéciaux de la mission collectivités du budget général. « Mais nous entendons travailler sur le quantum, les contributeurs et la manière de mettre en réserve certaines économies », explique-t-il à Public Sénat.

Dans la mouture initiale du projet de loi de finances, l’effort budgétaire réclamé par l’Etat aux collectivités se traduit par trois grandes mesures. La mise en place d’un « fonds de précaution » de 3 milliards d’euros, abondé par un prélèvement de 2 % sur les recettes des collectivités dont le budget de fonctionnement dépasse les 40 milliards d’euros, le gel des transferts de TVA destinés à remplacer les recettes fiscales qui ont été supprimées ces dernières années à l’échelon local, et enfin une baisse de 800 millions d’euros du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA), un mécanisme d’aide à l’investissement.

Vendredi, le Premier ministre Michel Barnier a ouvert la voie à certains allègements pour calmer la colère des départements, pressurisés par les dépenses sociales. Notamment une réduction de la contribution des départements au fonds de précaution, et un relèvement de 0,5 % sur trois ans des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) payés sur les transactions immobilières. Cet impôt alimente le budget des départements mais son rendement a été lourdement impacté par la crise de l’immobilier ces dernières années.

Le « fonds de précaution » dans le viseur de la majorité sénatoriale

Si la majorité sénatoriale ne souhaite pas toucher à l’écrêtement de la TVA, elle entend en revanche supprimer la ponction sur le FCTVA, mesure « la plus discutable » pour les élus qui rappellent souvent que les collectivités territoriales réalisent 70 % de l’investissement public. Du côté des LR, il est question d’abaisser de 3 à 1 milliard le fonds de précaution, ce qui réduirait le montant des prélèvements.

« On travaille d’arrache-pied sur ça avec le gouvernement », confirme Stéphane Sautarel. « Nous contestons l’idée selon laquelle les collectivités qui dépensent le plus seraient aussi les plus riches, et donc les plus à même de contribuer. Nous travaillons sur une copie où les départements seraient épargnés. L’idée serait d’introduire des indicateurs de richesse et de capacité contributive », explique-t-il. « De la sorte, vous pouvez sortir du dispositif certains départements et, par exemple, y inclure des petites communes qui profitent d’une activité génératrice de richesses, comme l’implantation d’une centrale nucléaire ».

Le sénateur souhaiterait par ailleurs que la ponction orientée vers le fonds de précaution soit directement « gelée » dans le budget des collectivités. « Ce serait un acte de confiance à l’égard des élus » plaide-t-il, alors que les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales n’ont cessé de se dégrader depuis 2017.

Réduire le nombre d’agences de l’Etat

Pour parvenir à ses fins, la droite sénatoriale espère récupérer un milliard d’euros sur la formation des enseignants, arguant qu’il s’agit d’une enveloppe sur-budgétisée, dont les crédits alloués ne sont jamais entièrement consommés. Mais quand le budget de l’éducation nationale prévoit déjà de couper 4 000 postes, nul doute que la mesure promet des débats explosifs dans l’hémicycle. Il est également question d’amplifier le coup de rabot sur l’aide publique au développement, déjà en baisse de 20 % sur 6,5 milliards d’euros dans la copie du gouvernement.

Enfin, il y a le sujet des agences de l’Etat, auquel la droite promet régulièrement de s’attaquer. Les élus en dénoncent leur nombre, et estiment que les transferts de compétences aux collectivités, ces dernières années, ont donné lieu à la création de nombreux doublons. « Ademe, Anact, ANA, ANCT, Anru, ANSP, Anses, agences de l’eau, Afpa, Arec, ARS, EPF, IGN, Inspé, OFB et autres comités Théodule… On en décompte entre 438 et 1 200 ! », alertait fin octobre la sénatrice LR du Loiret Pauline Martin lors de la séance de questions d’actualité au gouvernement. « Ces organismes emploieraient plus de 450 000 personnes et coûteraient plus de 80 milliards d’euros en 2023, contre 50 milliards d’euros en 2012, soit une augmentation trois fois plus rapide que l’inflation », selon l’élue. Notons néanmoins qu’une réduction du nombre d’agences a peu de chance de porter ses fruits sur le budget 2025, et devra s’étalonner sur plusieurs années.

« Mises bout à bout, ces différentes mesures doivent nous permettre de rester sur l’épure globale du budget », assure Stéphane Sautarel.

Les partenaires centristes des LR entendent aller encore plus loin, et supprimer purement et simplement le fonds de précaution, dont les 3 milliards seraient rattrapés par une baisse des budgets alloués au « Pass sport » et au « Pass culture », l’extinction du Service national universel mais aussi par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur quatre dans les fonctions support, qui recouvrent les activités de gestion des services de l’Etat.

Les centristes défendent une hausse de la TVA

Surtout, le groupe entend pousser une mesure choc dans l’hémicycle : faire passer le taux normal de TVA de 20 à 22 %, hors produits de première nécessité et prestations de rénovation énergétique. Cette mesure permettrait de dégager 13 milliards d’euros, indique le sénateur centriste du Finistère Michel Canévet, qui défendra un amendement en ce sens. « On le fait car nous sommes en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Nous devons mettre le sujet sur la table, car sans modification structurelle dans le PLF, nous rencontrerons des difficultés à moyen terme. On ne peut pas seulement penser à 2025, il faut voir plus loin », plaide-t-il.

Mais la droite ne l’entend pas vraiment de cette oreille, « Je suis un adepte de la hausse de la TVA, mais pas de cette manière », nous explique Stéphane Sautarel. « S’il doit y avoir une hausse, elle doit s’opérer en contrepartie d’une baisse des cotisations sociales, afin de faire passer le financement de la Sécurité sociale sur la consommation. On ne peut pas risquer de toucher au pouvoir d’achat des Français sans rapprocher le salaire net du brut », soutient ce sénateur.

Rallonger la durée du temps de travail

En revanche, LR et centristes devraient se retrouver sur une autre mesure polémique : une augmentation du temps de travail de sept heures dans l’année, sans rémunération pour les salariés. Ce mécanisme, équivalent à la suppression d’un jour férié, et déjà adopté par la commission des Affaires sociales, est assimilé à une contribution de solidarité. Il permettrait de dégager six milliards, dont la moitié fléchée vers le financement du grand âge. Raison pour laquelle il sera défendu dès le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, arrivé dans l’hémicycle du Sénat ce lundi.

La mesure, si elle est adoptée, devrait indirectement se répercuter sur les départements, qui financent pour partie les Ehpad, et peuvent être amenés à débloquer des crédits exceptionnels à destination des établissements endettés. « Pour ma part, je proposerai d’aller encore plus loin avec un amendement faisant passer la durée légale du temps de travail de 1 607 heures à 1 625 heures par an », glisse encore Michel Canévet, qui assure bénéficier du soutien de nombreux élus.

La gauche concentrée sur la fiscalité

« La plupart des mesures d’économies proposées par la majorité sénatoriale sont seulement transitoires », regrette le sénateur socialiste Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances, qui dénonce aussi « une forme de boutiquage » de la part de la droite et du gouvernement, où désormais les LR occupent une place de poids. « On s’empresse de faire des annonces sur les départements. Il n’aura échappé à personne qu’ils sont globalement pilotés par des LR », pointe-t-il.

Son groupe, minoritaire au Sénat, défend une position « minimaliste, ou maximaliste selon les grilles de lecture », sur le budget des collectivités. À savoir une suppression pure et simple des économies réclamées, avec un effort porté sur la fiscalité des hauts revenus et des grandes entreprises. « Ce budget n’est pas le nôtre. Avec les collectivités, le gouvernement se trompe de cible. Il doit y avoir une justice sociale et fiscale dans ce pays, quand on sait que les 500 plus grandes fortunes de France représentent 1 200 milliards d’euros de richesses », soupire-t-il.

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