L’idée d’une hausse de la fiscalité des retraités fait lentement son chemin, y compris du côté de l’exécutif. Avec, comme ligne de mire, la suppression de l’abattement forfaitaire de 10 % dont bénéficient les retraités dans le calcul de leurs impôts. Interrogé sur cette hypothèse à l’occasion du « comité d’alerte sur le budget » organisé ce mardi par Matignon : « Rien n’est tabou », a répondu le Premier ministre François Bayrou. Un peu plus tôt, Marc Ferracci, le ministre de l’Industrie, avait reconnu que cette suppression « faisait partie des pistes crédibles » d’économie, alors que le gouvernement entend ramener dans le prochain budget le déficit de 5,4 à 4,6 % du PIB.
« Dans la situation dans laquelle nous sommes, si on ne prend pas des mesures puissantes, extrêmement impactantes sur nos comptes publics, on ne s’en sortira pas donc tout doit être sur la table et les tabous d’hier ne doivent pas être les tabous de demain », a expliqué le ministre au micro de la matinale de France Inter. Selon lui, la mesure permettrait de ramener dans les caisses de l’Etat « à peu près 4 à 5 milliards d’euros ».
Début janvier, Gilbert Cette, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), réputé proche d’Emmanuel Macron, plaidait pour la suppression de cet abattement dans les colonnes des Echos, évoquant « une mesure forte ». L’économiste insistait notamment sur le fait que cette disparition n’impacterait pas les plus modestes, déjà non imposables. Quelques jours plus tard, l’idée a été reprise auprès du Parisien par Patrick Martin, le président du Medef, qui juge « contre-nature » et « aberrante » qu’un retraité puisse bénéficier d’une « exonération fiscale pour des frais professionnels ».
Une prise de position qui a fait bondir les syndicats. CGT, FO, CFTC, FSU, Solidaires, la Fédération générale des retraités de la fonction publique (FGR-FP), Ensemble et Solidaires se sont fendus d’un communiqué commun pour dénoncer les tentatives de « stigmatisation » du gouvernement vis-à-vis des retraités, et ainsi « continuer d’exonérer les très riches d’impôts et de cotisations ». Plus nuancée, Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, a estimé auprès de la Tribune du Dimanche que la question pouvait « se regarder ».
Un dispositif de pondération
Politiquement, le sujet est particulièrement sensible, dans la mesure où les retraités continuent de se déplacer massivement à chaque élection. Venir rogner leur pouvoir d’achat risque de se faire lourdement ressentir dans les urnes, d’autant que la suppression de cet abattement pourrait faire rentrer jusqu’à 500 000 personnes dans l’impôt, selon différentes estimations. Elle aurait aussi pour conséquence d’augmenter le revenu fiscal de références des retraités, avec toute une série de conséquences en cascade sur certaines prestations sociales.
L’origine de cet abattement forfaitaire de 10 %, appliqué automatiquement sur le montant des pensions de retraite, est plus ou moins floue. « Les pensions de retraite bénéficient d’un abattement forfaitaire de 10 % plafonné à 4 321 euros pour l’ensemble des membres du foyer fiscal », lit-on sur le site de l’administration fiscale. Il ne s’agit pas, en tout état de cause, d’une ristourne liée aux frais professionnels, contrairement à ce qu’affirment Patrick Martin, le patron du Medef, et certains responsables politiques. La confusion vient du fait que cet abattement apparaît, dans la déclaration d’impôts, sur la même ligne que la déduction forfaitaire de 10 % pour la prise en compte des frais professionnels auxquels peuvent prétendre les salariés, et qui quant à elle optionnelle.
L’abattement de 10 % sur les retraites a été instauré en 1978 sous le gouvernement de Raymond Barre. « Il a été mis en place pour pondérer la fiscalité des retraités », explique UNSA Retraités. « L’argument qui le justifiait reposait sur le fait que les revenus des retraités, déclarés par des tiers, en l’occurrence les caisses de retraite, échappaient à tout risque de sous-déclaration, contrairement à d’autres revenus. » Autre élément d’explication : aider les pensionnés à payer leurs frais de santé, quand les actifs bénéficient de complémentaires dont le coût est en partie absorbé par l’employeur.
La sénatrice LR des Hauts-de-Seine Christine Lavarde, qui a travaillé sur ce sujet, évoque également la volonté d’amortir le passage entre la vie active et la retraite. « À l’époque, le paiement de l’impôt se faisait encore sur la base des salaires de l’année précédente. Or, les nouveaux retraités se retrouvaient à payer des sommes importantes alors que leurs revenus n’étaient plus du tout les mêmes. On se demande d’ailleurs pourquoi cet abattement de 10 % ne concernait pas seulement la première année. Avec le paiement à la source, cette situation n’a plus lieu d’être ».
Tentatives de suppression
Durant les discussions budgétaires de l’automne autour du projet de loi de finances 2025, l’élue a défendu un amendement de suppression qui a vu la majorité sénatoriale de droite et du centre se diviser sur cette question, certains membres du groupe Union centriste allant jusqu’à parler de « retraités bashing ». L’ensemble des groupes de gauche ont manifesté leur opposition contre la fin de cet abattement, rejoint par le gouvernement qui avait, à l’époque, émis un avis défavorable. In fine, l’amendement de suppression a été retoqué, de même que différentes tentatives visant à abaisser le plafond de l’abattement.
« Il s’agit clairement d’un avantage fiscal, cet abattement ne profite qu’aux retraités les plus aisés », assure Christine Lavarde. « C’est une mesure techno. Supprimer les niches fiscales revient à augmenter les impôts et l’on s’imagine, précisément parce que l’on a décrété le contraire, que l’on va berner tout le monde avec ce genre d’astuce ? », s’agace le sénateur UDI du Nord Olivier Henno. « On dit que l’on va réduire la dépense publique et l’on commence par augmenter les impôts… C’est la négation même de la politique. Si l’on tient ce cap, jamais nous n’arriverons à nous désengluer de l’endettement. »
Une autre piste de travail pour le gouvernement consisterait à s’inspirer des débats parlementaires et, sans aller jusqu’à la suppression de l’abattement, à jouer sur son taux ou à réduire son plafond, ce qui permettrait de renforcer la taxation des foyers les plus aisés. « J’ai peur de certains effets de bords si l’on commence à toucher à ces paramètres », nuance toutefois Christine Lavarde. « Supprimer c’est plus simple, cela permet d’avoir une clarification ».