La commission des finances navigue en eaux troubles, à deux semaines du relais sur le budget. Elle ignore si elle devra amender la copie des députés, ce qui est loin d’être garanti à ce jour au regard du retard pris dans les débats, ou alors le texte initial déposé mi-octobre par le gouvernement. Une seule certitude : le rapporteur général, Jean-François Husson (LR), a bien l’intention de redonner une direction claire au budget 2026, et de revoir la répartition de l’ajustement budgétaire, entre mesures d’économies et nouvelles recettes.
Le sénateur de Meurthe-et-Moselle a donné la ligne de conduite de la majorité sénatoriale pour les débats qui s’ouvriront en séance publique au Sénat à partir du 26 novembre. Qualifiant de « monstruosités » les votes intervenus à l’Assemblée nationale sur le volet recettes du projet de loi de finances pour 2026, Jean-François Husson laisse entrevoir le nettoyage qui pourrait être opéré à la chambre haute, si le texte transmis intégrait ces nouveaux prélèvements. « Tout ce qui est création d’impôts nouveaux fait partie des irritants », a-t-il insisté ce 5 novembre. Le rapporteur général a cité pêle-mêle la majoration de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés, la hausse de taxe sur les géants numériques, la taxe sur les multinationales, ou encore le rétablissement de l’exit tax.
« Pour les entreprises françaises, c’est un coup de poignard »
Cette « foire aux créations fiscales » s’ajoute à un texte initial qui se caractérisait déjà par un « accroissement massif des prélèvements fiscaux », selon le rapporteur général. Inquiet du signal adressé aux acteurs économiques, Jean-François Husson cible en particulier la reconduction d’une surtaxe de l’impôt sur les sociétés pour les grands groupes. Le sénateur y voit un « reniement total » de la part de la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, qui assurait encore en juin, devant la commission des finances, que cet impôt ne serait pas reconduit. « Certains points peuvent être affirmés sans détour : la surtaxe d’impôt sur les sociétés n’existera plus en 2026 », avait-elle déclaré aux sénateurs. « Pour les entreprises françaises, c’est un coup de poignard, il n’y a eu aucune discussion préalable, la parole de l’État n’est pas tenue », déplore le rapporteur général.
Le retour en arrière sur la réforme des retraites de 2023 est un autre signal troublant à ses yeux. « Tout cela fleure une forme d’impréparation coupable », selon lui. Le mot d’ordre pour la majorité aux manettes dans la commission devrait être synonyme de modération fiscale. « Plutôt que d’augmenter les impôts, on va regarder les niches fiscales », a-t-il précisé. Les arbitrages sur les dispositifs visés et le rendement attendu n’ont pas encore été rendus.
« On fera tout ce qu’il faut pour baisser le niveau des dépenses publiques »
Jean-François Husson préconise de s’attaquer plutôt à la deuxième partie du budget, celle relative aux crédits des différentes missions budgétaires. « On fera tout ce qu’il faut pour baisser le niveau des dépenses publiques dans le projet de loi de finances », annonce-t-il. Le rapporteur général goûte peu aux marges de manœuvre récemment consenties par le gouvernement. Le projet de loi de finances fixe un retour du déficit à 4,7 % du PIB, un niveau déjà assoupli par rapport à l’objectif du précédent gouvernement et de la trajectoire promise à l’Union européenne, à savoir 4,6 %. Or, le Premier ministre et plusieurs ministres ont insisté sur la nécessité de ne pas laisser filer le déficit au-delà de 5 %, de quoi ouvrir la porte à un effort moins marqué au cours des débats parlementaires. « Si vous lâchez déjà sur la moitié de l’objectif, il y a comme un problème », s’inquiète Jean-François Husson, pour qui le redressement proposé dans le texte initial n’était « déjà pas à la bonne hauteur ».
Son rapport consacré au cadre économique et financier du budget 2026, présenté ce 5 novembre, pointe notamment l’hypothèse de croissance « légèrement surévaluée » pour l’an prochain. Il s’interroge également sur le scénario d’une hausse de l’investissement des entreprises, « qu’à ce stade rien ne permet d’anticiper », et la baisse du taux d’épargne des ménages, « dans un contexte de grande incertitude ». « Après un premier succès en 2025 et avant un exercice peut-être plus difficile en 2027, il existe une fenêtre de tir en 2026 pour fournir un effort significatif », encourage son rapport.
Le sénateur entend s’appuyer sur la contribution faite par le Sénat cet été, au Premier ministre François Bayrou. La copie avait été élaborée par ce qu’il est désormais coutume d’appeler depuis l’an dernier le « club des cinq », la majorité historique des Républicains et de l’Union centriste, auxquels se sont joints le groupe RDPI de François Patriat (Renaissance), les Indépendants de Claude Malhuret (Horizons) et les radicaux de droite du RDSE. « On a conduit un travail collectif, avec un spectre assez large de la représentation. Jusqu’à présent, on se tient à l’esprit de la copie », défend-il. Et d’ajouter : « On essaye d’être attentif aux expressions et positions de l’opposition. »
Des pistes d’économies déjà identifiées
Plusieurs gisements d’économies ont d’ores et déjà été identifiés par la majorité sénatoriale : le programme d’investissements France 2030, les surbudgétisations dans l’Éducation nationale, l’aide médicale d’État (AME), l’aide publique au développement, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le pass culture, ou encore au sein des crédits non répartis. Jean-François Husson entend prioriser l’effort sur l’État. « On va aller le plus loin possible », prévient-il.
Son rapport épingle l’évolution des crédits budgétaires des ministères, en hausse de 45,3 milliards d’euros depuis 2019 (inflation retraitée dans le calcul). Il regrette également l’augmentation des effectifs de l’État prévue dans le budget 2026, « en contradiction avec l’objectif de stabilité fixé par la loi de programmation des finances publiques ». Pour l’État, la hausse atteint 8 459 équivalents temps pleins (ETP), loin d’être compensée par le recul de 1 735 ETP dans le giron des opérateurs.
Parallèlement à un effort accru sur la sphère étatique, Jean-François Husson espère limiter l’effort budgétaire sur les collectivités territoriales à seulement 2 milliards d’euros, contre près de 5 milliards dans le projet du gouvernement. Dans son rapport, il rappelle que l’an prochain l’État devrait être responsable du déficit à hauteur de 4,5 points de PIB, quand les collectivités locales (qui représentent pourtant 20 % de la dépense publique) n’en sont responsables que de 0,3 point.