« Nous sommes au pied du mur ». Si le ton de Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, est grave, il se félicite d’avoir « participé à la prise de conscience des Français dans la situation d’endettement ». A l’instar du gouvernement Bayrou, l’ancien ministre de l’Economie souhaite que le déficit public soit rétabli entre 5 et 5,5 % l’année prochaine et « garder le cap » pour arriver en dessous des 3 % en 2029. Pour ça, « les économies indispensables doivent être prioritairement obtenues par des réformes pérennes, ciblant les dépenses peu efficaces et peu efficientes, de préférence à des mesures de rabot », plaide-t-il. C’est tout l’objet du rapport présenté ce jeudi 9 janvier.
La Cour des comptes veut nourrir la préparation et la discussion du budget pour 2025. Elle formule douze propositions d’économies parmi les mesures d’aide exceptionnelles engagées pour faire face au covid-19 ou à la guerre en Ukraine toujours en place. Objectif : en finir avec le « quoi qu’il en coûte ». Cinq domaines sont concernés : l’apprentissage, les prix de l’énergie et l’inflation, la transition écologique des secteurs agricole et forestier, le verdissement des véhicules et la culture.
Revoir à la baisse l’aide à l’apprentissage
Depuis plusieurs années, le nombre de jeunes en apprentissage a explosé. Mais pour les sages de la rue Cambon, ce n’est pas forcément un succès. Ça coûte cher à l’Etat, environ 14 milliards d’euros depuis 2019, et ça bénéficie majoritairement aux étudiants de l’enseignement supérieur. Ils demandent de revoir à la baisse et de mieux cibler le système du soutien à l’apprentissage. A savoir se focaliser sur les apprentis jusqu’au niveau du bac et exclure les entreprises de plus de 250 salariés. Cette proposition diffère de l’annonce de l’ancien gouvernement Barnier, fin septembre 2024. Il voulait baisser l’aide à l’embauche différenciée selon la taille de l’entreprise, mais en conservant les critères d’éligibilité actuels. Des économies attendues à 750 millions d’euros en 2025 et à près de 2,9 milliards en 2027.
La Cour souhaite aussi ajouter un niveau de plafonnement de prise en charge des diplômes de l’enseignement supérieur au coût moyen constaté pour les licences et masters. Mais aussi supprimer les exonérations partielles de taxe d’apprentissage dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Autre domaine d’économies pour la rue Cambon : les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie et de l’inflation. « Les aides massives mobilisées en réponse à la hausse des prix de l’énergie et à l’inflation n’ont pas reflué au même rythme que ces derniers, et devraient encore avoir un impact net sur le déficit public de 5,4 milliards d’euros en 2024 », indique Pierre Moscovici. « Deux mesures fiscales venues au soutien du pouvoir d’achat des ménages pourraient maintenant être ramenées à leur niveau d’avant crise », poursuit-il. A savoir la hausse du barème kilométrique associé à l’impôt sur le revenu et le relèvement du plafond du crédit d’impôt pour garde d’enfant. Economies attendues : 730 millions d’euros pour les deux mesures dès l’année prochaine.
Planification écologique et aide au verdissement
Les soutiens à la planification écologiques dans les secteurs agricole et forestier sont aussi dans le viseur de la Cour des comptes. « Dans les deux dernières lois de finances, ces secteurs ont vu leurs crédits fortement revalorisés par rapport aux niveaux d’avant crise, notamment pour répondre aux défis écologiques », explique le premier président de la rue Cambon. Plusieurs mesures font exploser les plafonds de la loi de programmation des finances publiques 2023 – 2027, ou doublonnent avec les mesures de la nouvelle PAC (politique agricole commune). A l’image des plans haies, du crédit d’impôt HVE ou du renouvellement forestier. 540 millions d’euros d’économies en sont attendues.
Le rapport pointe également les aides au verdissement des véhicules. « Le plan de relance et le soutien au secteur automobile, puis la hausse des prix des carburants provoquée par l’agression russe en Ukraine, ont conduit le gouvernement à amplifier le soutien à ce dispositif », fait savoir Pierre Moscovici. Et de poursuivre : « Si l’accompagnement de la transition écologique des véhicules reste pertinent, le régime actuel n’est pas pleinement cohérent en favorisant encore des voitures trop lourdes et en retardant le renouvellement des flottes du secteur du BTP ». L’ancien vice-président du Parlement européen propose d’abaisser à 1 925 kg le plafond d’éligibilité des véhicules au bonus écologique, contre 2 400 kg aujourd’hui. Ce qui permettrait de faire 200 millions d’euros d’économies.
La Cour des comptes souhaite aussi supprimer la réduction de fiscalité du gazole non routier dans le secteur du BTP. Il bénéficie d’une accise de 18,82 €/MWh au lieu du tarif normal de 59,40 €/MWh. Le coût de ce dispositif atteint 1,24 milliard d’euros en 2023 et 1,05 milliard en 2024. « La suppression graduelle de cette mesure annoncée depuis fin 2018, a été plusieurs fois repoussée, du fait des conséquences économiques de la pandémie, puis de la hausse des prix de l’énergie », note le rapport. Il préconise de ramener l’accise sur le gazole non routier applicable au secteur du BTP au niveau du droit commun à partir du 1er janvier 2028, en ajustant les jalons en 2025, 2026 et 2027. 705 millions d’euros d’économies en sont attendues.
Suppression des dispositifs « peu probants » du secteur culturel
Pour terminer, les sages souhaitent supprimer plusieurs dispositifs « peu probants » dans le milieu culturel. Des soutiens ont été apportés à ce secteur pendant la crise sanitaire avec plus de 5 milliards d’euros mobilisés. Plusieurs mesures de relance ont ensuite été prolongées dans le cadre de la stratégie d’accélération inscrite dans le quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA 4) fin 2020, puis dans le plan France 2030. « Il s’agit de prévenir de nouvelles dépenses en supprimant les crédits non engagés de deux dispositifs dont les limites et faiblesses ont déjà été pointées par la Cour dans un précédent travail », précise le rapport.
Le premier dispositif visé est le fonds « ICC/ Tech and Touch ». Piloté par la Bpifrance, il a été créé fin 2019 pour investir dans des structures dédiées au développement de société dont l’activité s’exerce dans les industries culturelles et créatives. La suppression de ce fond pourrait éviter 90 millions d’euros de nouvelles dépenses.
Le second dispositif est « l’appel à manifestation d’intérêt Culture, Patrimoine numérique ». Géré par la Caisse des dépôts et consignations Banque des territoires, il a été lancé en 2017 et a vu ses investissements s’accélérer en 2020. Mais fin 2023, seulement 36 milliards d’euros avaient été engagés au profit de 14 bénéficiaires laissant 104 milliards à disposition de la Caisse des dépôts et consignations. « Les investissements réalisés présentent un bilan très mitigé », détaille le rapport. Avant de poursuivre : « Ils ont bénéficié à des entreprises dont la dimension innovante n’est pas avérée et dont plusieurs souffrent d’une absence de modèle économique viable ».