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Censure du gouvernement Barnier : quel avenir pour le budget de la Sécurité sociale ?

Après le vote d’une motion de censure à l’Assemblée nationale, Michel Barnier a remis sa démission au président de la République. Alors que le budget 2025 doit être bouclé avant la fin de l’année, des dispositions d’urgence existent pour mettre en œuvre un projet de loi de finances. Concernant le budget de la Sécurité sociale, en revanche, la procédure est beaucoup plus floue. Explications.
Rose Amélie Becel

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Ce 4 décembre, Michel Barnier et son gouvernement ont été renversés par une motion de censure votée par 331 députés. Dès le lendemain matin, le Premier ministre remettait sa démission à Emmanuel Macron. À l’origine de sa chute : le déclenchement de l’article 49.3 de la Constitution, lors du vote à l’Assemblée nationale des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), pour éviter un rejet du texte.

Maintenant que Michel Barnier a remis sa démission, que devient le PLFSS ? La question agite juristes et politiques. D’abord parce que la situation est inédite, jamais un PLFSS n’a été rejeté depuis la création du budget de la Sécurité sociale en 1996. Mais aussi parce que cette question n’a jamais été envisagée par la loi organique, qui ne prévoit aucun dispositif d’urgence à l’image de ceux qui existent dans le cas du projet de loi de finances (PLF), pour doter l’Etat d’un budget avant le début de l’année 2025.

Les pensions et prestations sociales seront-elles versées à partir du 1er janvier ?

Face à ces incertitudes, certains se veulent alarmistes. « Si le budget de la Sécurité sociale est censuré, cela veut dire qu’au 1er janvier, votre carte Vitale ne marche plus et que les retraites ne sont plus versées », alertait l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, une semaine avant le vote de la motion.

Dans un premier temps, un tel scénario semble toutefois peu réaliste. En effet, contrairement au projet de loi de finances dont l’adoption est indispensable pour débloquer les crédits nécessaires au fonctionnement de l’Etat, le PLFSS se contente de prévoir des objectifs de dépenses pour la Sécurité sociale.

S’il n’y a pas de risque que les assurés sociaux voient leurs prestations et pensions disparaître dès le 1er janvier, celui-ci devient réel si la situation s’éternise. Dès l’examen du texte par la commission des affaires sociales du Sénat, sa rapporteure générale Élisabeth Doineau s’en était bien rendu compte. « Seule une loi de finance de la Sécurité sociale peut déterminer la capacité d’emprunt de l’Acoss [l’agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui gère la trésorerie des branches de la Sécurité sociale] et de la CNRACL [la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales] », explique la sénatrice centriste. Concrètement, sans être autorisés par un nouveau texte à emprunter de l’argent, les deux organismes pourraient très rapidement se trouver à cours de trésorerie.

Un retour du texte à l’Assemblée, dans une version consensuelle

Pour assurer ces versements, plusieurs solutions s’offrent désormais au gouvernement démissionnaire. Il pourrait, tout d’abord, être rapidement remplacé par la nomination d’un nouvel exécutif qui poursuivrait ses travaux. C’est ce qu’appelait de ses vœux la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, au micro de France Inter ce 5 décembre : « Je préconise qu’Emmanuel Macron procède rapidement à la nomination d’un Premier ministre, c’est important, il ne faut pas laisser de flottement. […] Il est encore temps de doter la France d’un budget avant la fin de l’année ».

Dans cette situation, l’examen du budget 2025 pourrait reprendre son cours et avec lui la fameuse navette parlementaire entre l’Assemblée et le Sénat. Le vote d’une motion de censure entraînant le rejet des conclusions de la commission mixte paritaire sur le PLFSS, le texte reviendrait au Palais Bourbon pour une seconde lecture dans sa version adoptée au Sénat. Une version que les députés auront « la capacité d’amender », soulignait Yaël Braun-Pivet sur France Inter.

Création d’une nouvelle contribution de solidarité pour les salariés, décalage de l’indexation des pensions sur l’inflation pour une partie des retraités… Le projet de budget de la Sécurité sociale sorti du Sénat comprend toutefois des mesures peu consensuelles, qui risqueraient de crisper une large partie des députés. Pour éviter un retour au blocage, Élisabeth Doineau propose une solution de compromis : « Si la navette reprend, on pourrait se concentrer sur les mesures qui font consensus. Je pense, par exemple, à l’instauration d’un nouveau mode de calcul pour les retraites des agriculteurs, qui est attendue sur le terrain ». La rapporteure générale met toutefois les députés en garde, si tous les « irritants » sont retirés du texte, à l’image du dispositif sur les pensions de retraite, « il faut que chacun ait conscience que ce sont ces mesures qui permettaient de trouver de nouvelles recettes ! »

Une solution de court terme : autoriser l’emprunt des organismes de sécurité sociale par décret

Toutefois, ce premier scénario suppose que le nouveau Premier ministre et son gouvernement soient nommés rapidement. Dans le cas où Emmanuel Macron tarderait à désigner le successeur de Michel Barnier, en l’absence de dispositifs d’urgence, une note du secrétariat général du gouvernement – dévoilée par le média spécialisé Contexte – tente d’envisager les possibilités à la main du gouvernement démissionnaire.

Cette note envisage une première solution : rehausser le plafond d’emprunt de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale et de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, au moyen d’un décret pris en Conseil d’Etat. « Des décrets pris en Conseil d’Etat, après avis des commissions parlementaires, peuvent relever les plafonds d’emprunts. En cas d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national, alors seule une information des commissions parlementaires est nécessaire pour prendre ces décrets », précise le secrétariat général du gouvernement. Une solution de « très court terme », précisent quand même les services de l’exécutif, « puisqu’il est certain que [l’agence centrale des organismes de sécurité sociale] ne pourra pas emprunter suffisamment sur les marchés fin 2024 pour couvrir l’ensemble de ses besoins de trésorerie en 2025 ».

Une solution de plus long terme : le recours à une loi spéciale

Il reste alors une autre solution, de plus long terme : le recours à une loi spéciale. En théorie, la loi organique relative aux lois de finances ne prévoit cette possibilité que pour permettre l’adoption en urgence d’un budget de l’Etat. Par le biais de ce texte examiné au Parlement, l’exécutif demande à l’Assemblée et au Sénat l’autorisation de prélever l’impôt, puis ouvre par décrets des crédits pour pouvoir assurer les dépenses nécessaires.

« Pour assurer la continuité du paiement des prestations sociales et des pensions, le Conseil constitutionnel pourrait comprendre qu’on ajoute dans une loi spéciale un article autorisant l’agence centrale des organismes de sécurité sociale et la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales à emprunter », estime Élisabeth Doineau. Même si aucune loi spéciale n’a jamais contenu de telles dispositions, la note du secrétariat général du gouvernement suggère également de « s’inspirer de ce qui est prévu pour les lois de finances ». De leur côté, les services de l’exécutif estiment tout de même qu’il serait « juridiquement plus sécurisant » de déposer une seconde loi spéciale pensée uniquement pour le budget de la Sécurité sociale, plutôt que d’ajouter un article à la loi spéciale existante chargée d’assurer le budget de l’Etat.

Qu’elle soit spécifique au PLFSS ou non, cette loi spéciale devra en tout cas être déposée au Parlement « au plus tard le 18 décembre », assure Élisabeth Doineau, « pour que le texte puisse avoir le temps de passer par les deux assemblées, puis pour que les organismes de sécurité sociale puissent assurer les paiements à temps ».

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