Belgium EU Summit
France's President Emmanuel Macron, left, speaks with European Commission President Ursula von der Leyen during a round table meeting at the European Council building in Brussels, Friday, June 30, 2023. European Union leaders on Friday resumed migration talks for a second day as Poland and Hungary continued to block progress after they were outvoted earlier this month on a plan to share out refugees arriving in Europe among the 27 member countries. (AP Photo/Geert Vanden Wijngaert)/VLM141/23181333041688//2306301120

Colère des agriculteurs: la France peut-elle bloquer l’accord UE-Mercosur ?

C’est l’un des principaux points de crispation de la colère des agriculteurs, l’Accord commercial entre l’Union européenne et les pays du MERCOSUR (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) en négociation depuis 1999. Il pourrait occasionner, selon, eux, une distorsion de concurrence. La France fait savoir qu’elle s’y oppose fermement. Face à la pression, la Commission européenne admet qu’« à l’heure actuelle... les conditions pour conclure les négociations ne sont pas réunies. » Mais l’accord peut-il vraiment être bloqué par Paris ? Eléments de réponse avec Elvire Fabry, chercheuse senior en géopolitique du commerce à l’Institut Jacques Delors.
Audrey Vuetaz

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

L’accord UE-MERCOSUR peut-il être bloqué par un seul pays, comme la France ?

 

Sur le principe non, car sur ce sujet il s’agit d’un vote à la majorité qualifiée et certains pays européens poussent pour que cet accord ait lieu : l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, les pays scandinaves…. Néanmoins, la France a un poids politique qui lui permet de peser sur ce dossier. D’ailleurs l’annonce de la Commission de suspendre les négociations, résulte d’une pression de Paris.

Et ce n’est pas la première fois, en 2019, un accord avait été trouvé sur le dossier UE-Mercosur, mais avant même d’engager une ratification, la France s’y était opposée. Nous étions sous présidence Bolsonaro au Brésil et elle avait demandé plus de garanties quant aux risques de déforestation.  A l’époque déjà, l’avis de la France n’avait pas été contourné et on avait essayé de trouver un terrain de négociation.

 

Vous l’avez dit certains pays sont « pour » cet accord, pourquoi ?

 

En fait pour comprendre il faut dézoomer un peu, cet accord n’est pas qu’un accord agricole.

Il s’inscrit dans un contexte de guerre commerciale au niveau mondial qui présente des risques pour l’Union européenne. On le sait, elle essaye de diversifier ses importations et ses exportations pour éviter d’avoir des dépendances excessives à un pays et cet accord permettra des débouchés d’exportations pour les entreprises européennes. Il peut aussi permettre d’assurer plus de diversification d’approvisionnement en minerais stratégiques critiques, je pense au lithium, au cobalt, au graphite et au nickel que l’on trouve au Brésil.

Et puis, il faut savoir que la Chine est déjà devenue le premier partenaire commercial du Brésil, si l’Union européenne n’occupe pas la place, c’est la Chine qui la prendra.

L’autre nuance à apporter sur l’agriculture, c’est que tous les secteurs agricoles ne sont pas opposés à cet accord ; les secteurs du vin, des spiritueux et du lait sont très demandeurs, même si on les entend moins ; à l’inverse, en effet, les secteurs du bœuf, du porc et du sucre y sont opposés.

 

On parle beaucoup du « bœuf brésilien ou argentin » qui pourrait inonder nos étals…

 

Là encore, il faut relativiser, pour l’instant le bœuf venant du Mercosur ne représente que 2,5% de la consommation annuelle de bœuf dans l’Union européenne. On va, certes, réduire les droits de douane pour un quota maximum de tonnes importées (qui sont déjà importées et non qui s’ajouteraient aux importations actuelles), mais on ne va pas les supprimer pour les filières sensibles. Il faut aussi savoir que dans tous les accords commerciaux, il y a ce qu’on appelle des « mesures de sauvegarde ». Si on constate un pic d’importations imprévu, il y a la possibilité de suspendre ces conditions préférentielles.

Enfin je terminerai sur deux points, la négociation UE-Mercosur n’est pas la seule dans laquelle l’Union européenne est engagée, puisqu’elle est la première puissance agricole mondiale. Elle a par exemple signé un accord avec le Japon qui est favorable à la filière bovine, ce qui permet de rééquilibrer les concessions faites dans d’autres accords commerciaux.

Les revendications des agriculteurs européens portent sur le fait de devoir respecter des engagements environnementaux qui ne peuvent pas être imposés frontalement aux pays du Mercosur : ce qui est possible avec un petit pays comme la Nouvelle-Zélande ne peut pas l’être avec un ensemble aussi important que le Mercosur. Dans ce cas, la solution est peut-être à trouver au niveau européen en soutenant plus nos agriculteurs dans leur transition environnementale.

Partager cet article

Dans la même thématique

Documentaire Capitalisme américain le culte de la richesse de Cédric Tourbe
4min

Économie

Capitalisme américain, le culte de la richesse

John Rockefeller, J.P. Morgan, Bill Gates, Steve Jobs ou Mark Zuckerberg, autant de noms qui ont forgé l’histoire économique de l’Amérique. Dans son documentaire en trois volets, Cédric Tourbe retrace 150 ans d’histoire du Capitalisme Américain. Une contribution utile pour interroger une doctrine dominante et de moins en moins remise en question.

Le

Budget des armées : le sénateur Cédric Perrin appelle à être suffisamment dissuasifs « dans ce monde de carnassiers »
5min

Économie

Budget : le 49-3, seul outil restant pour sauver l’augmentation des crédits de la Défense prévue pour 2026

Alors que les députés et les sénateurs ne se sont pas mis d’accord en commission mixte paritaire (CMP), l’hypothèse d’un budget adopté avant la fin de l’année s’éloigne. En cas de loi spéciale, l’augmentation substantielle du budget de la Défense prévue dans le budget initial ne pourrait pas être mise en place. Le 49-3 serait ainsi le seul recours possible pour traduire budgétairement la trajectoire d’augmentation des dépenses de défense votée en 2024.

Le

Ministere des finances – Bercy
5min

Économie

Après l’échec de la commission mixte paritaire sur le budget, le retour de la « loi spéciale »

Députés et sénateurs n’ont pas réussi à trouver un compromis sur le projet de loi de finances pour 2026, ce qui, à ce stade, rend impossible l’adoption d’un budget avant la date butoir du 31 décembre. Comme en 2024, l’exécutif devrait avoir recours à « une loi de finances spéciale » pour permettre aux services de l’Etat de continuer à fonctionner malgré la paralysie budgétaire.

Le

PARIS: Bercy, le Ministere de l Economie et des Finance
3min

Économie

Dette publique : la France franchit un nouveau seuil d’endettement avec 117,4 % du PIB

La dette publique française poursuit sa hausse et atteint un niveau inédit hors période de crise majeure. Selon les chiffres publiés par l’Insee ce vendredi 19 décembre, l’endettement s’élève à 3 482 milliards d’euros, soit 117,4 % du PIB. Le déficit devrait encore empirer après l’échec de la commission mixte paritaire sur le budget 2026.

Le

La sélection de la rédaction

Colère des agriculteurs: la France peut-elle bloquer l’accord UE-Mercosur ?
8min

Politique

Mercosur : les producteurs agricoles alertent les sénateurs

Les représentants des filières agricoles concernées par le traité UE/Mercosur ont exprimé devant les sénateurs leurs craintes vis-à-vis de l’accord de libre-échange qui prévoit notamment la levée des droits de douane sur l’éthanol, la viande bovine et la volaille. Ils remettent en cause la philosophie même des accords de libre-échange.

Le

Colère des agriculteurs: la France peut-elle bloquer l’accord UE-Mercosur ?
4min

Économie

Accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur : à l’unanimité, le Sénat dénonce un « rouleau compresseur agricole »

Les accords de libre-échange et la distorsion de concurrence qu’ils instaurent suscitent la colère des agriculteurs, mobilisés en France depuis plusieurs jours. Sur ce point, ils sont rejoints par le Sénat, qui vient d’adopter à l’unanimité une résolution posant des « lignes rouges » fermes à l’adoption d’un accord commercial entre l’Union européenne et le marché commun des pays d’Amérique du Sud.

Le