« Notre économie connaîtra un essor […] Les emplois reviendront en force et la classe moyenne prospérera comme jamais auparavant. » C’était le 19 juillet 2024, en conclusion de la convention républicaine, Donald Trump promettait une période florissante, inédite, pour l’Amérique, s’il revenait à la Maison Blanche. Cinquante jours se sont écoulés depuis l’Inauguration Day, et le récit du président impétueux se heurte déjà à une série d’indicateurs décevants sur le front de l’économie.
Symptôme des craintes des opérateurs de marché sur la croissance américaine, la Bourse à New York a démarré la semaine sur une très forte correction, sur fond d’amorce de guerre commerciale entre les États-Unis et ses principaux partenaires. L’indice S & P500 regroupant les 500 plus grandes entreprises américaines a reculé de 2,70 %. L’indice Nasdaq, qui regroupe les sociétés technologiques, a chuté de 4 %, du jamais en une seule journée depuis 2022.
Interrogé dimanche par une journaliste Fox News, qui lui demandait s’il anticipait une récession, Donald Trump est resté très évasif. « Je déteste prédire les choses comme ça », a-t-il répondu, ajoutant qu’il y aurait une « période de transition ». De quoi alimenter encore les interrogations sur sa politique économique.
Une période d’incertitude, qui pèse sur les acteurs économiques
Faut-il s’attendre à un risque important de récession dans les prochains mois pour la première économie du monde ? Les analystes n’ont pas tous la même lecture. « Il n’y a aucun indicateur qui va dans ce sens-là. Et ceux, qui vont dans ce sens, ont une probabilité de défaillance élevée », soulève Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, l’un des principaux gérants d’actifs indépendants en Europe. Une statistique publiée le 3 mars par la Réserve Fédérale d’Atlanta, qui a fait beaucoup de bruit, est à prendre avec des pincettes selon lui. Celle-ci a nettement dégradé son estimation du PIB pour le premier trimestre 2025, avec un recul de 2,8 %. Mais cette chute dans l’indicateur est la conséquence « d’importations anormalement massives, car les entreprises ont fait des stocks », explique le stratégiste.
Mais deux autres éléments pourraient peser sur la croissance américaine. « Le premier, c’est l’incertitude. On le voit très clairement dans les enquêtes des ménages et des entreprises. Elle commence à affecter le moral des acteurs économiques. Si vous n’avez plus de visibilité, vous repoussez certaines dépenses, des investissements, des embauches. S’il dure trop longtemps, ce contexte aura un impact sur la demande aux États-Unis », estime Enguerrand Artaz, stratégiste pour La Financière de l’Échiquier.
Hors période de la pandémie, l’indice d’incertitude de la politique économique, mesuré par la Réserve fédérale de Saint-Louis, est au plus haut. Elle a dépassé en seulement quelques semaines le précédent pic atteint pendant la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine en 2018-2019.
« Les droits de douane vont dans tous les sens, et touchent y compris ses alliés les plus proches. Aujourd’hui, Donald Trump a fait de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain) des confettis. Il y a une volonté de rupture de l’ordre établi, on est dans une situation inédite. Je n’ai pas le souvenir d’un grand pays occidental qui ait une politique économique aussi brutale et aussi imprévisible dans l’histoire récente », analyse Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet Asterès.
Les coupes dans le secteur public s’ajoutent à une dégradation du marché de l’emploi
Un autre élément est à prendre en compte. Les coupes annoncées dans les dépenses de l’État fédéral, par l’intermédiaire du DOGE (Département de l’efficacité gouvernementale), pourraient également avoir un effet sur l’activité. « Ces deux dernières années, il y a eu un niveau de soutien de dépense publique élevé. Même si elles ne sont pas aussi importantes que ce qu’Elon Musk et Donald Trump voudraient faire croire, les coupes sont quand même substantielles. En termes d’impulsion, cela peut avoir un impact négatif », ajoute Enguerrand Artaz.
Le mois dernier, le rapport Challenger a comptabilisé 172 000 suppressions d’emplois aux États-Unis, le plus haut niveau depuis 2020. Dans le même temps, l’économie américaine a créé 151 000 emplois, une donnée légèrement inférieure aux attentes. La politique de la tronçonneuse menée par Elon Musk et ses équipes, pourrait-elle contribuer à détériorer le marché de l’emploi ? L’effet pourrait être marginal à l’échelle de toute l’économie américaine. « Avec le DOGE, il va y avoir au maximum environ 300 000 suppressions de postes, et ce ne sera pas d’un seul coup. Un emploi public, c’est deux sous-traitants dans le secteur privé derrière. Pour donner un ordre de grandeur, 5 millions de personnes changent d’emploi tous les mois aux États-Unis. Il faut vraiment être très prudent sur cette interprétation », détaille Christopher Dembik.
Enguerrand Artaz s’inquiète cependant sur la nature des créations de poste dans le secteur privé. « Dans le détail, les créations sont très concentrées sur deux secteurs, dans l’éducation et la santé. Et en termes de qualité, les créations sont mauvaises. Ce n’est que de l’emploi à temps partiel, précaire, subi. L’emploi à temps plein est en forte baisse. Il y a le marché de l’emploi privé qui est fragile, mais cette fragilité n’a rien à voir avec la politique de Donald Trump. C’est une dégradation depuis plusieurs mois », rappelle le gérant.
Des craintes modérées sur l’évolution de l’inflation
« L’emploi, ce n’est pas forcément l’indicateur qui clignote », observe quant à lui Sylvain Bersinger, qui relève plutôt des prévisions d’inflation en hausse et une baisse de la consommation des ménages en janvier. « C’est une statistique mensuelle, il faut faire attention. Mais quand on met tout cela bout à bout, avec la Bourse, on a quand une série d’indicateurs clairement mauvais », estime l’économiste.
Au chapitre de la hausse des prix, Christopher Dembik note des « effets d’aubaines », qui ont pu expliquer le niveau de l’inflation en janvier. « Nous, on reste à 3 %, ce n’est pas non plus catastrophique ». Enguerrand Artaz observe que, s’agissant du Mexique, la hausse des tarifs douaniers est allée de pair avec une forte baisse de la devise. « Le surcoût n’est donc pas si énorme ». « Les histoires de tarifs douaniers réciproques montrent que généralement les effets inflationnistes ont tendance à s’annuler, et les effets récessionnistes à se cumuler », conclut-il.
Une correction des indices boursiers, Trump joue le rôle de l’accélérateur
C’est dans ce contexte que les marchés américains ont poursuivi leur décrochage la semaine dernière, et de façon encore plus marquée, ce lundi. Depuis son record à la mi-février, l’indice S & P500 est en recul de 10 %. C’est encore plus prononcé pour les valeurs de la « tech », dont la capitalisation a reculé de 13 % depuis ses sommets de la mi-décembre et de la mi-février.
« La politique de Donald Trump est un accélérateur de la baisse. Il accentue l’incertitude mais fondamentalement, ce n’est pas le détonateur », nuance Christopher Dembik. « La baisse a commencé début janvier, quand des fonds spéculatifs ont fait le pari de vendre des actions technologiques. Il y avait un sujet de valorisation, et de concentration du marché américain », ajoute-t-il. L’incertitude économique a également contribué à une fuite de capitaux américains, vers le marché européen.
Cette pression baissière ne semble pas pour le moment effrayer la Maison Blanche. Alors qu’il faisait marche arrière sur les tarifs douaniers en Amérique du Nord, en accordant un répit d’un mois à ses voisins, Donald Trump a indiqué à la presse jeudi qu’il ne « regardait pas » les marchés financiers. Ce mardi, il a menacé le Canada de nouvelles hausses sur les importations de métaux.
Si la chute des marchés devait se poursuivre, cela ne serait sans doute pas sans conséquence psychologique pour les épargnants américains. Qu’ils soient retraités, ou bien lotis. « La consommation se tient bien, mais elle ne tient que par les deux derniers déciles, les plus riches. Or, ils sont particulièrement sensibles au wealth effect (effet de richesse), qui est très fortement alimenté par l’immobilier et les marchés financiers. Quand ils baissent fortement, la propension de ces ménages à consommer peut se dégrader fortement », prévient Enguerrand Artaz.