Consommation : « Les Français n’ont pas encore digéré l’importante poussée inflationniste », observe Dominique Schelcher (Coopérative U)

Le PDG du groupement coopératif, quatrième réseau de la grande distribution en France, constate qu’une « large proportion » des consommateurs continue de se recentrer sur les achats essentiels. Le dirigeant a également partagé au Sénat ses propositions, dans le cadre de la réforme des lois Egalim, qui fixent le cadre des négociations entre les distributeurs et leurs fournisseurs.
Guillaume Jacquot

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Les prix dans les rayons des supermarchés seront marqués par une relative stabilité dans les prochains mois. C’est le résultat de trois mois de négociations difficiles, entre la grande distribution et les fournisseurs agro-industriels, qui se sont achevées le 1er mars. « Il y aura des hausses, il y aura des baisses, et au final, une inflation faible sur l’alimentaire, en phase avec les prévisions de l’Insee et de la Banque de France », a résumé Dominique Schelcher, le président-directeur général de Coopérative U, qui constitue le quatrième distributeur alimentaire en France.

Le patron de ce groupement coopératif a toutefois souligné lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, ce 12 mars, que la situation resterait difficile pour les consommateurs, après deux années où les prix moyens dans l’alimentaire ont bondi de 20 %. « Les Français n’ont pas encore digéré l’importante poussée inflationniste, la plus importante de ces 40 dernières années », a estimé le chef d’entreprise alsacien.

« Un syndrome de stress post-inflationniste »

Et d’ajouter : « On pourrait presque parler d’un syndrome de stress post-inflationniste chez les Français […] Une majorité se recentre sur les achats essentiels, restreignant les petits plaisirs, limitant les quantités, et pour certains, sacrifiant tout ce qui est perçu comme non essentiel. Certes, l’inflation ralentit, mais les Français font face au cumul de tout ce qui a augmenté. » Selon les données de l’Insee, la consommation alimentaire des ménages s’est à nouveau repliée en 2024, de 1,7 %, après avoir déjà chuté de 3,5 % en 2023. Le recul est surtout sensible pour les produits frais, ou encore les fruits et légumes. Un chiffre est parlant sur ce dernier segment : en moyenne, un ménage français a réduit ses achats annuels de 24 kg entre 2020 et 2024.

C’est dans ce contexte d’un pouvoir d’achat en berne de la population, et de difficultés persistantes dans le monde agricole, que se sont déroulées les traditionnelles négociations commerciales annuelles. « Les négociations de 2025, ce sont les pires », a relayé la sénatrice (Union centriste) Anne-Catherine Loisier, qui suit ces questions de très près.

Selon Dominique Schelcher, les négociations ont été surtout été difficiles avec les « grandes multinationales, qui ne sont pas basées en France, et qui se préoccupent plus de leurs tableaux de résultats, que de ce que les Français mettent sur leur table ».

Maintien d’un minimum de 10 % de marge sur les produits alimentaires

La législation relative à la définition des prix est d’ailleurs une nouvelle fois à l’agenda du Parlement. L’Assemblée nationale examine en ce moment une proposition de loi de Stéphane Travert (Renaissance) et Julien Dive (LR). Le Sénat sera saisi en commission le 26 mars, et en hémicycle le 1er avril. L’une des deux mesures principales consiste à prolonger l’encadrement du seuil de revente à perte (SRP), qui oblige les enseignes à prendre au moins 10 % de marge sur les denrées alimentaires (SRP + 10). Cette disposition expérimentale, introduite par la première loi Egalim en 2018, visait à garantir une juste rémunération des agriculteurs et arrive à échéance le 15 avril.

Un consensus existe entre les syndicats agricoles, les industriels et la grande distribution pour prolonger ce dispositif. Cette semaine, Leclerc a indiqué qu’il était contre. Dominique Schelcher a estimé pour sa part qu’on ne pouvait « pas le remettre en cause ». « Il est peut-être imparfait, mais il permet aujourd’hui, d’une certaine façon, de limiter quand même une guerre des prix, qui est là en partie, mais qui serait pire s’il n’y avait pas ce dispositif […] Remettre en cause le SRP + 10 serait, pour moi, casser un élément fondamental d’Egalim », a détaillé le patron du réseau U. Dominique Schelcher s’est également prononcé pour une reconduction de limitation des promotions sur l’alimentaire.

L’association de consommateurs UFC-Que Choisir a récemment indiqué que le « SRP + 10 » avait coûté « plusieurs milliards d’euros » aux consommateurs, « sans impact sur le revenu agricole ». « Je ne dirais pas les choses comme cela », a répliqué Dominique Schelcher, interrogé sur ce point par Jean-Claude Tissot (PS). « Il a quand même permis de bien sanctuariser la part de matières premières agricoles, de ne pas la discuter, et de contribuer à l’équilibre global. Le juge de paix, c’est notre résultat, et il n’a pas changé ! »

Dominique Schelcher demande la fin de l’encadrement des super-promos sur les produits de droguerie et d’hygiène

L’autre versant de la proposition de loi prévoit de supprimer le plafonnement des promotions pour les produits des rayons droguerie, parfumerie et hygiène. Depuis la loi Descrozaille (Egalim 3), entrée en vigueur en mars 2024, les promotions sur les produits d’hygiène, d’entretien ou de beauté en grandes surfaces ne peuvent plus dépasser 34 % en valeur et plus de 25 % des volumes vendus dans ces rayons. Et ce, jusqu’au 15 avril 2026. Ce deuxième volet initial du texte est toutefois beaucoup moins assuré de passer. Lors de l’examen en commission des affaires économiques, Stéphane Travert a fait marche arrière, et s’est laissé convaincre au terme des auditions, de laisser l’expérimentation aller à son terme. Les députés de la commission ont finalement convenu, via un amendement, d’aller dans ce sens.

Face aux sénateurs, Dominique Schelcher a estimé qu’il fallait mettre un terme à cet encadrement. « Nous ne sommes pas d’accord avec la limitation de promotions sur les produits droguerie parfumerie hygiène. Cela n’a rien à voir avec la protection du revenu des agriculteurs ».

Demande de souplesse sur le calendrier des négociations annuelles

En tout état de cause, la nouvelle révision des lois Egalim dans leur ensemble est attendue « avant l’été ou juste après l’été », a récemment précisé le ministre des Relations avec le Parlement Patrick Mignola, sur Public Sénat. Dans ce cadre, Dominique Schelcher a formulé une proposition : que le calendrier des négociations annuelles, qui se concentrent sur trois mois seulement, soit dorénavant plus souple. « Ces trois mois n’existent nulle part ailleurs au monde », regrette le chef d’entreprise « Comprenez que nous avons en face de nous des centaines d’entreprises à traiter. Notre équipe d’acheteurs n’est pas illimitée. On a un phénomène de goulot d’étranglement qui fait que la négociation ne se concentre plus que sur une seule chose : le prix. On devrait avoir le temps de discuter de plein d’autres choses. »

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