FRANCE-PARIS-ECONOMY-GDP GROWTH

Croissance française en hausse : « Cela n’exclut pas une hausse du chômage fin 2023 », explique l’économiste Eric Heyer

Alors que l’INSEE a revu la croissance à la hausse pour le deuxième trimestre 2023, en l’évaluant à 0,5% au lieu de la stagnation à 0,1% prévue, les fondamentaux de l’économie française posent question. Ce regain de croissance semble assez conjoncturel et centré sur les entreprises – et non les ménages – dans un contexte de contraction inédite de la consommation, alors qu’à plus long terme, le chômage pourrait à nouveau augmenter. Interview avec Eric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision de l’OFCE.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Comment expliquer cette augmentation surprise de la croissance ?

C’est un peu particulier. En l’occurrence, ce sont les exportations qui font que depuis trois trimestres, le commerce extérieur tire l’économie vers le haut, il faut le signaler. Mais c’est en partie du rattrapage.  Concernant le commerce extérieur, il y a parfois des grosses ventes de paquebots qui font émerger ce genre de phénomènes. Ça fait des chiffres négatifs avant parce qu’il faut importer des pièces, et puis d’un coup vous le vendez, et les exports repartent à la hausse sans qu’il y ait d’importation. Pour interpréter les chiffres sur le commerce extérieur, donc, il faut lisser un peu. En l’occurrence, il y a eu quelques ventes qui ont eu un effet massif au deuxième trimestre, ce qui explique l’erreur de prévision de l’INSEE sur la croissance, qui tablait sur 0,1 ou 0,2% et qui se retrouve à 0,5%.

C’est d’autant plus « particulier » que le moteur traditionnel de la croissance française, la consommation des ménages, est en berne (– 0,4%) …

Il y a un diagnostic qui est beaucoup plus structurel que cette évolution de la croissance, qui est assez conjoncturelle, c’est que la consommation des ménages est en berne, c’était prévu. C’est une conséquence directe de la perte de pouvoir d’achat des ménages. Le niveau de consommation des ménages est en dessous du niveau d’avant crise début 2020, ce qui veut dire qu’un ménage français consomme nettement moins qu’il y a trois ans et demi. Normalement la consommation progresse d’un trimestre à l’autre, alors qu’en ce moment, les dynamiques de la consommation, comme de l’investissement des ménages sont négatives.

En réalité, la croissance actuelle vient du commerce extérieur et des exportations, mais aussi de l’investissement des entreprises, qui continuent à investir et à embaucher. Certes, les ménages ont perdu confiance et donc il n’y a pas trop de demande, mais les entreprises, elles, embauchent et investissent massivement, notamment pour faire face à la transition écologique. Elles changent leurs équipements, non pas parce que ceux-ci ne sont plus assez productifs, mais parce qu’ils sont trop émetteurs. Renouveler des capacités productives pour les mettre en lien avec les contraintes environnementales, ça va soutenir l’investissement, mais il y aura du capital échoué, ça aura un coût à un moment. Il va falloir amortir ça sur un certain nombre de trimestres, mais il y a des aides publiques. C’est finalement la main de l’Etat qui agit via des subventions.

Du côté de l’emploi, le chômage est stable, et l’emploi salarié est même en hausse…

Du côté de l’emploi le mystère est un peu plus épais. Les entreprises embauchent beaucoup. Par rapport à l’activité économique, elles embauchent même plus que nulle part ailleurs, et plus que jamais dans l’histoire de notre pays. Mécaniquement, on a donc une perte de productivité qui dépasse les 3%, ce qui est énorme, puisqu’il y a plus d’emploi pour la même production. On n’a jamais observé ça en France sur une longue période. On peut s’en réjouir d’un côté : cela veut dire que la croissance est très intense en emplois en France, et que le chômage a baissé et ne remonte pas.

Mais cela veut aussi dire que quelqu’un doit payer cette baisse de la productivité, et il n’y a pas 36 solutions, c’est soit l’Etat, soit les ménages, soit les entreprises. Il faudrait par exemple une inflation à 5% et que les salaires augmentent seulement de 2%. Aujourd’hui, les salaires progressent moins que l’inflation, puisque l’inflation est à 6% et les salaires à 4,5%, mais avec les primes, si l’on regarde l’ensemble des revenus, le pouvoir d’achat a perdu 0,9%. Du côté des entreprises, les marges ne chutent pas, donc il ne reste que l’Etat, qui compense deux tiers de cette baisse de la productivité par du déficit.

Comment expliquer cette baisse de la productivité ?

Il y a trois explications à cette perte de productivité et à cette intensité en emploi actuelle de la croissance française. D’abord, la durée moyenne du travail n’est pas revenue à son niveau d’avant crise. Le salarié travaille sur une durée moins importante, c’est normal qu’il soit moins productif. Cela s’explique principalement par le taux d’absence, qui n’est pas revenu à son niveau d’avant crise. C’est assez difficile à expliquer : soit les gens sont vraiment malades, soit c’est une sorte de démission cachée, et qu’il y a globalement il y a un mal-être au travail.

Ensuite, il y a la question de l’apprentissage. On a créé beaucoup de postes d’apprentis, les entreprises sont incitées. On est passé de 300 000 à 900 000 apprentis, et c’est de l’emploi subventionné, donc moins productif par définition. Enfin, il y a la question des aides que l’Etat a pu donner pendant cette crise. Les prêts garantis par l’Etat (PGE) ont sauvé des entreprises de la faillite, donc cela a sauvé de l’emploi à création de richesse égale et par conséquent fait baisser la productivité.

Cette baisse de la productivité compensée est-elle tenable sur le long terme ? Est-elle structurelle ?

Ces trois facteurs expliquent les trois quarts de la perte de productivité que l’on observe. Mais ça ne va pas durer. Les PGE vont disparaître, les aides à l’apprentissage vont baisser et le taux d’absence devrait revenir à son niveau précédent, en tout cas le gouvernement s’y attèle avec les jours de carence par exemple. Donc la productivité va repartir et l’emploi sera moins fort.

Pour le quart qu’il reste à expliquer, on peut penser à la rétention de main d’œuvre, mais c’est dur à quantifier. Beaucoup d’entreprises ont été touchées par la crise parce que leur activité n’était pas dynamique à cause de la rupture des chaînes d’approvisionnement, mais souvent, elles n’ont pas licencié et ont préféré garder leurs salariés pour être prêtes quand l’activité allait repartir. C’est vrai dans deux secteurs : l’énergie et le transport (automobile, aéronautique). Là aussi, lorsque l’activité repart, ces entreprises ne vont pas embaucher et vont plutôt utiliser leur main d’œuvre non-utilisée pendant la crise.

Cette future hausse de la productivité est-elle une bonne nouvelle ?

D’un côté, c’est un bon signal pour la compétitivité et les salaires, mais la croissance sera moins intense en emploi, et dans nos prévisions, on constate une hausse du chômage pour fin 2023 et qui devrait durer en 2024. Ce ne sera pas une explosion, parce qu’on va rester en dessous de 8% d’ici 2024 [7,1% au premier trimestre 2023, ndlr].

Ce n’est pas ce que prévoient les scénarios du gouvernement…

En effet. En termes de croissance nous ne sommes pas loin, ce qui fait la différence, c’est cette question de la productivité. Le gouvernement mise sur le fait que la productivité ne va pas repartir, alors que nous disons qu’on aura moins d’emploi et le chômage va augmenter. Ce qui n’est pas très cohérent avec les scénarios du COR sur les retraites par exemple, où l’on retient des gains de productivité à 1% chaque année. Ce sont des scénarios à horizon 2035, donc le gouvernement pourrait dire que ce n’est simplement pas pour tout de suite. En tout cas, si vous retenez un scénario sans gains de productivité, le système de retraites, notamment, se retrouve fortement déséquilibré.

Dans la même thématique

CAC 40
7min

Économie

Lutte contre la fraude : l’arbitrage des dividendes dans le collimateur des parlementaires

Portée par la députée Charlotte Le Duc (LFI) et la sénatrice Nathalie Goulet (UC), une proposition de loi transpartisane et transparlementaire visant à « mettre fin aux pratiques d’arbitrage de dividendes », a été déposée sur le bureau des deux chambres. Un texte qui fait suite au scandale des « CumCum », un montage financier permettant à de nombreux actionnaires d’échapper à l’impôt, au moment où ceux-ci perçoivent leurs dividendes.

Le

FRA : BERCY : LANCEMENT DE LA CAMPAGNE DES DECLARATIONS D IMPOTS
5min

Économie

Lutte contre la fraude : « Toutes les annonces sont bonnes à prendre », souligne Nathalie Goulet (UC)

Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, a dessiné ce jeudi, chez nos confrères des Echos, les grands contours d’un nouveau plan antifraude, un an après celui présenté par son prédécesseur, Gabriel Attal. Les raisons ? La fraude aux aides publiques et le faible taux de recouvrement effectif. Deux angles morts de Bercy, encore plus saillants, au regard des mauvais chiffres de l’endettement public. Des annonces qui font l’objet d’une réaction partagée par la sénatrice centriste de l’Orne, Nathalie Goulet, auteure fin 2023 d’un rapport sur la fraude sociale, et corapporteure d’une proposition de loi transpartisane et transparlementaire sur la fraude à l'arbitrage des dividendes.

Le