Alors que la situation financière de l’Etat attire l’attention médiatique depuis de nombreux mois, celle des entreprises a aussi de quoi « alerter » ont expliqué les sénatrices et sénateurs de la délégation aux entreprises, qui ont organisé une table ronde avec des experts de la Banque de France et des représentants des organisations patronales ce jeudi. « Sur les défaillances d’entreprises, la tendance 2024 est allée au-delà du rattrapage de la crise sanitaire. Certains n’ont pas pris conscience de l’impact économique et humain de cette grande défaillance », a averti Olivier Rietmann, président (LR) de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Une évolution des défaillances d’entreprises difficile à interpréter à cause de la crise sanitaire
La première difficulté réside déjà dans l’identification précise du phénomène. « Le nombre de défaillances a connu un profil d’évolution très anormal depuis les cinq dernières années et la crise sanitaire. La fermeture et/ou l’activité ralentie des tribunaux de commerce pendant le premier confinement, ainsi que les dispositifs de soutien aux entreprises ont réduit le nombre de défaillances de moitié en 2021 (27 000 pour 59 000 en moyenne sur la décennie précédente) », a détaillé Emilie Quéma. La directrice des entreprises à la Banque de France a ensuite identifié « une remontée progressive des défaillances » depuis fin 2021 pour atteindre le niveau pré-covid au printemps 2024
L’économie française n’en est finalement pas arrivée à une situation de « mur des faillites » sur laquelle certains avaient pu alerter à l’époque, notamment à cause de l’arrivée à échéance des fameux « PGE », les prêts garantis par l’Etat. Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit à la Banque de France, a précisé que les entreprises françaises devaient encore rembourser 40 milliards d’euros de PGE. Un remboursement qui est en cours, mais « qui se fait probablement au détriment de l’investissement ou du salaire des dirigeants, a-t-il indiqué, avant de préciser que le taux de défaillance sur ces PGE était comparable, voire inférieur, au taux de défaillance moyen d’un crédit de PME (4,4 %). « De toute façon, soit l’Etat accepte de perdre 40 milliards, soit les entreprises doivent le rembourser », a-t-il résumé.
Bâtiment, hôtellerie et transports sont les secteurs les plus touchés
En tout état de cause, les secteurs les plus touchés par les défaillances restent la construction, le commerce et l’hôtellerie-restauration, où le rattrapage a été plus tardif en raison de la prolongation des mesures de soutien au secteur. Le bâtiment, en particulier, est le secteur « qui concentre toutes les difficultés rencontrées par nos entreprises », a détaillé Frédéric Visnovsky. Enfin, les transports ont aussi été touchés dans une période plus récente, notamment à cause des nombreuses créations d’entreprises de livraison pendant la crise sanitaire.
En dehors de l’impact de la crise sanitaire, l’automobile est aussi confrontée à l’interdiction de la vente de véhicules à moteur thermique en 2035, a expliqué Frédéric Coirier, coprésident du Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire (METI) : « On sait qu’il faut y aller, mais le rythme est très court. Beaucoup d’acteurs qui avaient construit leur activité autour du thermique ont de grosses difficultés d’adaptation, sachant que le marché dans sa globalité est en recul. Evidemment sans révision de cette décision, nous ne sommes pas encore au pic des défaillances dans le secteur. »
À noter que sur l’ensemble des secteurs, les entreprises les plus importantes ont été touchées plus récemment, et notamment les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui comptent entre 250 et 5000 salariés. Frédéric Coirier a aussi fait le point sur une situation « assez dramatique » : « 6 ETI sur 10 ont mis en suspens leurs investissements, 1 sur 2 voit son chiffre d’affaires baisser et seuls 16 % des ETI ont un carnet de commandes plus rempli qu’il y a dix ans. »
Le « modèle social français » en cause
Qu’il s’agisse des sénatrices et sénateurs de droite et du centre présents, ou bien des intervenants des organisations patronales, le diagnostic qui s’est dégagé de cette table ronde s’est avéré relativement unanime, mettant en cause le poids du « modèle social français » sur le coût du travail, ainsi que la prolifération de normes.
« On a un système de protection sociale qui ressort de 1946 à une époque où l’espérance de vie est de 60 ans, la retraite à 65 ans, on travaillait 45 heures par semaine, et on applique le même système quand l’espérance de vie est de 85 ans, que l’on commence à travailler à 25 ans au lieu de 14 et pour faire 35 heures par semaine. Il faut remettre ce système social sur la table en posant ce problème de temps de travail », a résumé Olivier Rietmann.
Du côté de la Banque de France, Emilie Quéma a tout de même rappelé en début d’audition que « l’investissement des entreprises rest[ait] pénalisé par la contrainte de débouchés, qui reste de loin la contrainte la plus importante. » Un rappel important à l’heure où le rapport Draghi pointe la faiblesse de la demande interne comme problème structurel de l’économie européenne (voir notre article).