PARIS, Cour des comptes, Palais Cambon
The Court of Auditors, located in the centre of Paris, in the Palais Cambon built in 1912, was created in 1807, under Napoleon.La Cour des comptes, situee au centre de Paris, dans le Palais Cambon erige en 1912, a ete creee en 1807, sous Napoleon.//HOUPLINERENARD_SIPA012939/Credit:HOUPLINE-RENARD/SIPA/2502141528

Déficit : à peine le budget adopté, un rapport de la Cour des comptes tire déjà la sonnette d’alarme

Les sages de la rue Cambon déplorent l’absence de réformes structurelles visant à réduire la dépense publique dans le budget 2025. Ils estiment que la trajectoire de désendettement sur laquelle s’est engagée la France pour ramener son déficit sous les 3% de PIB sera d’autant plus difficile à tenir. Ce rapport revient également sur le dérapage inédit de l’année 2024, qui a fait l’objet d’une mission d’information au Sénat.
Romain David

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Un peu plus d’une semaine après l’adoption du budget 2025, c’est un nouvel avertissement sur la trajectoire hasardeuse des finances publiques. « Le dérapage du déficit public depuis deux ans place la France au pied du mur », estime la Cour des comptes dans un rapport rendu public jeudi 13 février. Ce document, qui dresse des perspectives pour 2025, revient longuement sur la dégradation constatée ces trois dernières années, et que les sages de la rue Cambon imputent pour partie à une dépense publique « en roue libre ».

En l’absence de réforme structurelle, la juridiction financière, chargée de contrôler les comptes publics, émet de sérieuses interrogations sur la capacité de la France à honorer ses engagements budgétaires, allant même jusqu’à parler de « décrochage » alors que la plupart des pays européens ont vu leur situation budgétaire s’améliorer.

Le gouvernement de François Bayrou entend ramener à 5,4 % du PIB le niveau du déficit public d’ici la fin de l’année, s’appuyant notamment sur une prévision de croissance à 0,9 %, que la Cour des comptes juge « un peu optimiste ». Mais l’effort budgétaire de 50 milliards s’articule essentiellement sur des hausses ponctuelles de prélèvements, et les magistrats déplorent l’absence de réformes de fond pour réduire la dépense, ce qui repousse aux années à venir certaines décisions difficiles. À ce train, l’endettement pourrait dépasser les 125 % du PIB en 2029 selon les projections de la Cour des comptes.

« On n’est jamais à l’abri d’une nouvelle catastrophe »

« Avec une croissance qui n’est pas acquise, plusieurs mesures fiscales au rendement hasardeux et des dispositifs de freinage de la dépense dont on sait qu’ils ne porteront pas leurs fruits avant 2026… Je dois dire que je partage les mêmes inquiétudes que la Cour des comptes sur ce budget », commente auprès de Public Sénat Stéphane Sautarel, le vice-président (LR) de la commission des Finances. À l’autre bord de l’échiquier politique, le socialiste Thierry Cozic, également vice-président, estime quant à lui que le gouvernement est resté plutôt prudent dans ses estimations, « même si, bien sûr, on n’est jamais à l’abri d’une nouvelle catastrophe ».

Pour rappel : la France, qui fait l’objet d’une procédure pour déficits excessifs, s’est engagée devant les instances européennes à revenir à un déficit sous les 3 points de PIB d’ici 2029, un délai qui a déjà été repoussé de deux ans, et qui devrait nécessiter un effort de 110 milliards d’euros. « Quel que soit le bord politique, tout le monde s’accorde à dire que les prochains budgets seront particulièrement difficiles à monter, au-delà du contexte politique. Si nous voulons respecter la trajectoire de désendettement, il faudra trouver entre 15 et 20 milliards d’euros supplémentaires rien qu’en 2026 », poursuit Thierry Cozic.

« Tout le monde crie au budget d’austérité avec la loi de finances qui vient d’être adoptée, mais si on compare à celui de 2019, qui est notre dernier budget d’avant crise, on voit que la plupart des postes de dépenses sont à la hausse », regrette la sénatrice LR Christine Lavarde.

Emmanuel Macron à l’assaut de la sacro-sainte règle des 3 %

Dans un entretien publié ce vendredi par le Financial Times, Emmanuel Macron juge que « le cadre financier et monétaire dans lequel nous vivons est caduc », notamment les règles de la zone euro, qui limitent le déficit public d’un pays membre à 3 % du PIB. Ce n’est pas la première fois que le chef de l’Etat – qui appelle à trouver des solutions d’investissements « innovantes » pour la défense, l’intelligence artificielle et accélérer sur la transition énergétique -, épingle le pacte européen de stabilité et de croissance, vécu comme un carcan. Cet automne, auprès de l’hebdomadaire The Economist, il avait déjà considéré que les règles communes de maintien du déficit appartenaient à « un autre siècle ».

« On peut critiquer ce chiffre de 3 %, le juger arbitraire. Mais de nombreuses études ont montré qu’un Etat commence à se désendetter lorsqu’il atteint les 3,2 % », pointe Stéphane Sautarel.

Une augmentation record des dépenses en 2024

Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes revient longuement sur l’année 2024, qui restera comme une année noire dans l’histoire des finances publiques, avec un dérapage budgétaire inédit. En fin d’année, le déficit frôlait les 175 milliards d’euros pour atteindre 6 % du PIB après deux années consécutives de dégradation, 5,5 % en 2023 et 4,7 % en 2022. Le montant de la dette publique s’élève désormais à 3 300 milliards d’euros.

« Il s’agit d’une dégradation exceptionnelle alors que la croissance économique est restée continûment positive pendant cette période », écrit la Cour des comptes, qui met explicitement en cause « la dynamique des dépenses » sur l’année 2024. Point intéressant : cette analyse ne cadre pas totalement avec les explications avancées par le ministère de l’Economie et des Finances.

Auditionnés à l’automne par le Sénat, dans le cadre d’une mission d’information lancée par la commission des finances, les différents chefs de gouvernement et ministres de Bercy aux manettes entre 2023 et 2024 ont pointé des recettes insuffisantes, mettant d’abord en avant un problème de rendement. En poste de 2017 à 2024, Bruno Le Maire avait invoqué devant les élus « une croissance qui donne moins de recettes fiscales et des modèles de prévision de recettes qui se sont plantés ».

« L’essentiel de la dérive est imputable à l’année 2024 elle-même. La quasi-extinction des mesures d’aides exceptionnelles de soutien face aux crises sanitaire et inflationniste a partiellement masqué une perte de contrôle du cœur de la dépense publique », avance pour sa part la Cour des comptes.

« Ce n’est pas faute d’avoir alerté… je ne sais pas si cela va nous rendre plus populaires », soupire le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général du budget. Cet élu a conduit les travaux de la mission d’information, avec un cycle d’auditions qui a donné lieu à des échanges parfois tendus, notamment avec Bruno Le Maire et Gabriel Attal. « Le rapport de la Cour des comptes solennise le travail du Sénat. Mais peut-être que l’on va avoir le droit à une nouvelle conférence de presse des ministres concernés, qui s’étaient permis de remettre en cause l’honnêteté intellectuelle des sénateurs », cingle l’élu.

Une référence à la riposte de Bruno Le Maire, Gabriel Attal, Élisabeth Borne et Thomas Cazenave, qui, sitôt le rapport d’information du Sénat publié, avaient dénoncé lors d’un brief presse « un réquisitoire d’opposants politiques, truffé de mensonges, d’approximations et d’affirmations spécieuses ». Un épisode qui a laissé des traces au sein de la commission des finances.

Les dépenses des collectivités territoriales à nouveau épinglées

Selon la Cour des comptes, la dépense sur l’année 2024 a continué de progresser de 2,7 %, hors inflation. « Soit le rythme le plus rapide des quinze dernières années ». Les magistrats pointent notamment l’augmentation des dépenses liées au coût de la protection sociale (+ 3,1 %) mais aussi celle des collectivités locales (+ 3,6 %), régulièrement épinglées par Bercy, au grand dam des sénateurs.

« Je trouve que la Cour des comptes charge un peu la barque sur les collectivités », défend Christine Lavarde. « Il faudrait passer au crible leur panier de dépenses. Elles ont dû faire face à l’augmentation du point d’indice et à une inflation supérieure à celle des ménages », note-t-elle. « Au cours d’un mandat municipal, le pic de dépense se situe toujours sur la troisième ou quatrième année. D’autant que cette fois, la crise sanitaire a pu retarder les décaissements d’un an. Par ailleurs, il faut remettre les choses à leur place : même avec une augmentation de la dépense, les collectivités territoriales ne représentent que 8 % de la part du déficit », rappelle Jean-François Husson.

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