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Déficit public : « La trajectoire annoncée est difficilement atteignable », juge l’économiste Stéphanie Villers

Le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave a présenté le programme de stabilité en conseil des ministres ce mercredi 17 avril. Ce document qui résume la trajectoire du déficit public et de la dette française « manque de crédibilité » selon le Haut Conseil des finances publiques. Un « jugement objectif qu’il faut entendre », selon la conseillère économique chez PwC Stéphanie Villers.
Stephane Duguet

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Chaque année, le gouvernement présente son programme de stabilité avant de le transmettre à la Commission européenne qui évaluera les politiques budgétaires et économiques des Etats membres. Dans ce document de soixante-dix-huit pages, le gouvernement français revient sur la trajectoire des finances publiques pour l’année qui vient de s’écouler et partage ses projections de croissance, de déficit et de dette publique jusqu’en 2027. D’après le « pstab » 2024, la France devrait repasser sous la barre des 3 % de déficit public en 2027 alors qu’il s’élève aujourd’hui à 5,5 % du PIB. L’économiste et conseillère économique chez PwC, revient pour publicsenat.fr sur les enjeux de la présentation de ce programme de stabilité.

Public Sénat : Le programme de stabilité présenté par le gouvernement prévoit un redressement du déficit à 4,1 % en 2025, 3,6 % en 2026 et 2,9 % en 2027. Il s’établit à 5,5 % du PIB en 2023, ce qui est supérieur aux 4,9 % qui étaient prévus. Le Haut conseil des finances publiques estime d’ailleurs que les perspectives du gouvernement présentées « manquent de crédibilité » et de « cohérence ». Comment interpréter tout cela ?

Stéphanie Villers : Ce qui est important à regarder, ce sont les mesures qui sont ou vont être mises en place pour arriver aux déficits mentionnés. La France, comme tous les Etats membres de l’Union européenne, doit se conformer à la règle visant à ramener les déficits publics dans les clous, à moins de 3 % du PIB. Donc elle ne peut pas faire d’autre communication. Quand le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) fait ce constat, c’est un jugement objectif qu’il faut entendre parce qu’il se base sur la mise en œuvre de la politique budgétaire pour arriver à la trajectoire voulue par le gouvernement. Et le HCFP peut avoir un doute sur la trajectoire à la baisse du déficit quand on voit ce qu’il s’est passé en 2023 à savoir un déficit à 5,5 % du PIB sans choc externe et donc sans raison particulière de nature à dégrader les comptes publics.

Le gouvernement a aussi revu ses prévisions de croissance. Le PIB augmenterait de 1 % en 2024 au lieu des 1,6 % prévus dans le programme de stabilité de l’an dernier…

Je pense que ce niveau de croissance peut être atteignable. Il y a un effet positif attendu des Jeux olympiques (JO). Si l’évènement se passe bien, ça aura tendance à redonner du moral aux ménages et aux entreprises, alors que, dans les analyses réalisées aujourd’hui, on tient très peu compte de l’effet des JO. Ensuite en fonction des prévisions de croissance, le gouvernement est capable d’anticiper le niveau de recettes. Avec un niveau de croissance faible, le niveau de recettes restera faible puisque les deux sont corrélés. Un budget, ce sont les recettes moins les dépenses. Donc si les recettes sont moins importantes, il faut baisser les dépenses.

Justement, le gouvernement a annulé en février, 10 milliards d’euros de crédits, il veut économiser 10 milliards d’euros en 2024 et 20 milliards d’euros en 2025. Est-ce que ces ambitions sont suffisantes ?

Jusqu’à présent, les mesures d’économies annoncées semblent être trop faibles pour atteindre le niveau de déficit prévu par le gouvernement. Tant qu’il n’y a pas de réforme qui vise à ancrer dans le temps une réduction des dépenses publiques, la trajectoire annoncée va être difficilement atteignable. Ou alors, il faudrait un bon de croissance comme cela s’est passé en 2022. Cette année-là, la croissance a été bien meilleure qu’anticipé et l’Etat s’est retrouvé avec des aides supplémentaires. Mais, en l’état, la trajectoire annoncée de déficit public est difficilement atteignable.

Dans le programme de stabilité, on parle du déficit public mais aussi de la dette publique. Celle-ci se maintiendrait de 112,3 % en 2024 à 112 % en 2027 mais la charge de la dette augmenterait, elle, de 46,3 milliards en 2024 à 72,3 milliards en 2027. Comment expliquer cette augmentation ?

L’augmentation de la charge de la dette est le point le plus important. Elle se stabiliserait en pourcentage du PIB mais elle augmenterait de 30 milliards d’euros donc ce serait 30 milliards en moins pour d’autres dépenses. Ici, il est intégré le fait que les taux d’intérêts ont augmenté et que, quand l’Etat renouvelle sa dette, les taux d’emprunts sont plus élevés donc la charge de la dette pèse plus sur le budget. Cela augure des marges de manœuvre plus faibles pour d’autres dépenses sociales comme les retraites, la santé, la famille, et les dépenses de fonctionnement à savoir le paiement des fonctionnaires.

La porte-parole du gouvernement Prisca Thévenot a rappelé, à l’issue du conseil des ministres aujourd’hui, que l’objectif restait le plein-emploi. Selon le programme de stabilité, il serait atteint en 2027 grâce par exemple à la réforme de l’assurance chômage. Vous y croyez ?

En tout cas, le plein-emploi qui correspond à un taux de chômage de 5 % ne reviendra pas avec la réforme annoncée de l’assurance chômage. La barrière principale sur le marché de l’emploi pour inciter les entreprises à embaucher, c’est la croissance. Et le gouvernement n’a pas la main dessus. Cette réforme permettrait de flexibiliser le marché de l’emploi mais, en termes comptables, cela permettrait de limiter un peu la dépense même si c’est une dépense mineure par rapport au déficit public.

 Il faut toujours se rappeler que lorsqu’on vit à crédit et qu’on a autant de dettes, on dépend du bon vouloir de ses créanciers 

Stéphanie Villers, conseillère économique chez PwC

Sur quels types de mesures doit se focaliser le gouvernement ?

Si on prend l’exemple de l’indexation des retraites sur l’inflation, c’est une mesure qui a coûté 18 milliards d’euros supplémentaires au budget de l’Etat. C’est énorme et c’est ce qui a coûté le plus sachant que les salaires ne sont pas indexés sur l’inflation, à part le Smic. Je ne suis pas sûr que ce soit équitable socialement quand on voit que les actifs n’ont pas eu de progression de salaires alors qu’ils ont un niveau de vie moins élevé que les retraités. La détérioration des comptes publics l’an dernier ressemble plus à des mesures pour satisfaire les demandes à l’image de ce qu’on a connu pendant les Gilets Jaunes. Le coup par coup continue. Ça manque de structure dans l’évolution de la dépense.

Est-ce qu’il est grave que la France ne respecte pas la règle européenne de limitation du déficit public à 3 % du PIB sachant que cela fait des années que nous ne sommes pas dans les clous ?

Cela fait 30 ans que nous ne sommes pas capables d’atteindre un déficit en dessous de 3 % du PIB mis à part quelques exceptions donc, en effet, on peut se demander si c’est un vrai sujet. Moi je pense que c’est important parce qu’il faut toujours se rappeler que lorsqu’on vit à crédit et qu’on a autant de dettes, on dépend du bon vouloir de ses créanciers et de l’appréciation des marchés financiers. Nous ne sommes pas à l’abri d’une sanction. Pour le moment, les investisseurs qui achètent notre dette sur les marchés financiers ne se posent pas la question, jusqu’au jour où ils trouveront de meilleurs investissements. Il y a une forme d’arrogance française.

Mais quelles conséquences cela pourrait-il avoir alors, si jusque-là il n’y en a pas eu ?

Ça n’a pas eu de conséquences parce qu’on a été vraiment aidé par la succession de deux crises : la crise sanitaire et la crise énergétique. Tous les pays européens ont été touchés donc tant qu’on vit tous le même choc, nous bénéficions de la protection de la Banque centrale européenne. Mais si on se désolidarise, l’effet boomerang et les sanctions des marchés seraient durs à vivre. Un exemple européen : en 2022, Liz Truss, la Première ministre britannique propose une réduction des taxes sur les entreprises et cela fait réagir les marchés. Ils se sont délestés de la dette britannique et ça a fait bondir les taux d’intérêt. Elle a dû démissionner et le chef du gouvernement suivant a annoncé un budget de rigueur. Il ne faut pas être dans le déni.

Vous estimez aussi qu’il y a aussi des conséquences sur la construction européenne.

Oui ! Au-delà de la sanction de la Commission européenne pour déficit excessif, avec de telles dérives budgétaires, on empêche la construction européenne de se faire. L’Allemagne refuse de mettre sa dette en commun avec nous alors qu’il faudrait que nous fassions front commun pour financer la transition écologique. Entre l’Allemagne qui reste campée sur une orthodoxie budgétaire qui a peu de sens et nous qui sommes dans une dérive au niveau des finances publiques, on ne peut pas se parler pour faire de l’Europe une superpuissance face aux Etats-Unis et la Chine. Pourtant, nous en avons le potentiel.

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