Des autoroutes « trop chères mais sûres », pour les associations d’usagers auditionnées au Sénat

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable poursuit son cycle d’audition sur l’avenir des concessions autoroutières. Mercredi 10 mai, elle a reçu les représentants associatifs des usagers d’autoroute. Selon elles, les tarifs des péages, la transition écologique et la sécurité des usagers sont les priorités de l’autoroute de demain.
Lauriane Nembrot

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À quoi va ressembler l’autoroute de demain ? L’avenir des concessions autoroutières est au cœur des préoccupations de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat. Objectif : « Anticiper la fin des contrats de concessions autoroutières et dresser le bilan des concessions telles qu’elles ont été pensées et mises en œuvre jusqu’à présent », rappelle d’entrée son président Jean-François Longeot, sénateur du Doubs.

Après avoir auditionné les dirigeants des principales concessions autoroutières ainsi que l’autorité en charge de la régulation des transports, place aux représentants des usagers. La commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable a entendu mercredi 10 mai les principales organisations qui représentent les automobilistes.

Un surcoût toujours plus important

Trois organisations étaient auditionnées ce mercredi au Sénat : la fédération nationale des transports routiers (FNTR), l’association 40 millions d’automobilistes et l’union nationale des associations familiales (Unaf). Toutes partagent le même constat : le tarif des péages, en constante hausse, représente une véritable charge pour les automobilistes.

« Le coût des péages a été multiplié par 2.4 depuis 2000 », rapporte Rodolphe Lanz, secrétaire général de la FNTR. Un chiffre partagé par l’Unaf, qui précise qu’une quinzaine de tronçons autoroutiers « ont vu leur prix bondir » ces dernières années. « L’Etat reste le premier bénéficiaire. Sur un ticket de 10 euros, 4,20 euros sont reversés à l’Etat », rappelle Dominique Allaume Bobe, administratrice de l’Unaf, qui rappelle qu’une quinzaine de tronçons sont particulièrement touchés par une augmentation des prix des péages.

Cette hausse est vivement dénoncée par la FNTR, qui assure que les transporteurs routiers sont particulièrement taxés et qu’ils « sont confrontés à une hausse marquée des coûts des péages ». Un coût qui dépasse largement l’utilisation du réseau autoroutier, argue le représentant. « Nous payons bien au-delà de notre utilisation du réseau concédé. Nous payons beaucoup sur les autoroutes mais cet argent ne va pas à l’Etat. Nous sommes clients des sociétés d’autoroutes ».

Un surcoût qui interpelle ces représentants. En début d’année, les superprofits générés par les concessionnaires autoroutiers ont suscité la polémique. Un rapport confidentiel de l’Inspection générale des finances (IGF) de 2021 qui avait conclu à « une rentabilité très supérieure à l’attendu » des sociétés d’autoroutes. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, avait aussitôt e saisi le Conseil d’État sur la possibilité de raccourcir « de quelques années » la durée des concessions actuelles.

Privilégier le pouvoir d’achat au détriment de la sécurité ?

Conséquence directe de cette augmentation : certains usagers de la route décident de ne plus rouler sur l’autoroute. C’est en tout cas ce qu’affirme Philippe Noziere, président de l’association 40 millions d’automobilistes. « Les tarifs sont dissuasifs. Avec l’augmentation des prix des péages d’autoroute, beaucoup d’usagers se trouvent aujourd’hui contraints ou choisissent pour faire des économies de ne plus emprunter les réseaux autoroutiers ». Parmi les usagers les plus précaires figurent « les jeunes conducteurs, les classes sociales les plus modestes et les retraités ». « Ce sont ceux qui ont le plus tendance à renoncer à l’usage de l’autoroute , indique-t-il aussi.

Mais cette décision n’est pas sans conséquence. Délaisser le réseau autoroutier au profit de routes nationales ou départementales se ferait au détriment de la sécurité routière. Selon Philippe Noziere, les autoroutes « sont pourtant les réseaux routiers les plus surs de France. Le risque d’avoir un accident est 6.6 fois plus important sur les nationales 5.25 fois plus important sur les départementales » rappelle 40 millions d’automobilistes.

« L’évolution de la hausse des prix des péages d’autoroute, au nom de l’investissement dans les infrastructures de sécurité et les services se fait donc paradoxalement au détriment de l’accessibilité du réseau et participe au renforcement des inégalités sociales » alerte encore le responsable.

D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, le nombre de personnes tuées sur la route âgées de 35-44 ans et 65-74 est en hausse en 2022. « Ainsi le nombre de tués par million d’habitants de ces classes d’âge (52 tués par million d’habitants) passe au-dessus de la moyenne (50 tués par million d’habitants) », indique la sécurité routière dans son bilan publié le 31 janvier 2023.

« Les bornes électriques manquent »

La transition écologique est l’autre enjeu de taille pour le futur des concessions autoroutières. Comme le rappelle l’Unaf, 100.000 bornes de recharge pour les voitures électriques viennent d’être installées aux abords des axes routiers de l’Hexagone. Mais seules 7.000 d’entre elles ont été implantées sur les autoroutes.

« C’est très peu. Les bornes électriques manquent. Si demain nous avons un parc automobile électrique extrêmement étendu, il va y avoir un manque à gagner pour l’Etat qui risque d’être extrêmement important », alerte l’Unaf, qui rappelle que la baisse de la consommation de carburant fossile fait craindre le risque d’un coût plus élevé de la recharge électrique.

Le risque d’un manque à gagner n’est pas nouveau. En 2020n le rapport de la commission d’enquête du Sénat avait dénoncé le manque à gagner de 7,8 milliards d’euros pour l’Etat lors des privatisations de 2006 et des « négociations opaques » en 2015, sous l’égide de Ségolène Royal et d’Emmanuel Macron. Entre 2022 et 2036 (date de la fin des concessions), la commission d’enquête avait estimé la rentabilité des concessionnaires à 40 milliards d’euros (dont 32 milliards pour Vinci et Eiffage) pour un coût d’acquisition de 22,5 milliards d’euros.

La prochaine réunion de la commission est prévue fin mai. Sous réserve de confirmation, Patrice Vergriete, actuel président du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de France (Afit), devrait être auditionné.

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