Dette publique : comment la France décroche par rapport à ses partenaires de la zone euro
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Dette publique : la France est-elle en passe de devenir le cancre de la zone euro ?

La France a progressivement glissé dans la catégorie des plus mauvais élèves européens en matière de déficit et d’endettement public. Un écart qui s’est accélérée à partir de la crise sanitaire.
Guillaume Jacquot

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La dette française continue son ascension inexorable. L’Insee a publié ce 25 septembre les dernières données en la matière, du deuxième trimestre. Celle-ci a gonflé de 70,9 milliards d’euros par rapport au premier trimestre. Fin juin, la dette publique atteignait 3 416 milliards d’euros, c’est du jamais vu en valeur absolue. Rapportée à la richesse nationale, la dette des administrations publiques du pays n’a toutefois pas encore battu un record. Elle s’établissait à 115,6 points de PIB (produit intérieur brut) au deuxième trimestre.

Ce niveau reste en dessous du record mesuré par l’Insee au premier trimestre 2021, de 117,8 %, au cœur de la crise sanitaire. La dette avait légèrement reflué jusqu’au quatrième trimestre 2023, pour repasser légèrement sous la barre des 110 % du PIB. Elle a, depuis, repris sa croissance vers de nouveaux sommets.

Le lent redressement des finances publiques, et donc la persistance de déficits élevés, ne devrait d’ailleurs pas infléchir la dynamique avant plusieurs années. Il y a deux semaines, Fitch Ratings avait notamment justifié sa décision de dégrader la note financière de la France (de AA- à A +) par la progression à venir du ratio d’endettement. L’agence de notation prévoit une dette équivalente à 121 % du PIB en 2027. Soit cinq points de plus qu’actuellement. Et cela, « sans horizon clair de stabilisation de la dette dans les années suivantes ». Le ratio actuel atteint par la France est le troisième plus élevé parmi les pays situés dans la même catégorie de notation.

3 points de PIB de dette supplémentaires en France quand celle du Portugal diminue de 15 points

La progression de la dette française est d’autant plus inquiétante qu’elle tranche avec ce qui s’observe chez nos voisins, en particulier avec les États du sud de l’Europe qui défrayaient la chronique il y a 15 ans au moment de la crise des dettes souveraines. Si l’on prend comme point de départ la fin de la crise sanitaire, fin 2022, l’endettement de la France a progressé, alors qu’il a diminué dans de nombreux États de la zone euro.

Selon Eurostat, entre le quatrième trimestre 2022 et le premier trimestre 2025, le ratio de la dette publique sur le PIB a augmenté de 2,7 points en France, alors que celui de la zone euro prise dans son ensemble a diminué de 1,5 point. Dans le même temps, celui de l’Italie s’est stabilisé (-0,4 point). Le niveau d’endettement de l’Espagne a reculé de 6 points, et celui du Portugal de 14,8 points. La Grèce a également vu son niveau record refluer de 24,5 points. Quant à l’Allemagne, première économie de la zone euro, le ratio de la dette sur le PIB a diminué de 2,7 points.

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D’autres indicateurs montrent le renversement de paradigme qui est en cours sur le continent européen. Depuis le début de l’année, les écarts de taux sur les emprunts des différents États avec l’Allemagne ont eu tendance à se resserrer, alors qu’ils se sont creusés avec la France. Et cela se reflète sur les notations souveraines. Ce mois-ci Fitch a amélioré la note de l’Italie, la faisant passer de BBB à BBB +. Même récompense pour le Portugal, dont la note a été rehaussée à A. « La France doit être très prudente sur ses finances dans les prochaines années », a d’ailleurs averti ce mardi Alvaro Pereira, l’économiste en chef de l’OCDE. Et d’ajouter : « Il faut tirer les leçons de ce qu’il s’est passé dans des pays comme l’Italie, le Portugal et d’autres. Ces pays sont revenus à la discipline budgétaire, alors que la France continue d’augmenter. »

Cet écart ne date vient de loin. Sur une période de dix années (2014-2025), la France est le pays de l’Union européenne où le ratio de la dette sur le PIB a le plus augmenté (14,4 points), derrière l’Autriche (16,8 points). Dans la même période, celui de la zone euro a reculé de 3,6 points. « Si l’on se place depuis le lancement de l’euro vers l’an 2000, un moment où la France avait une situation comptable comparable à l’ensemble de la zone euro. Il y a deux moments où la divergence se construit. La crise des subprimes en 2008 est le premier point de divergence. La France reconverge petit à petit mais il y a une nouvelle divergence qui s’instaura de façon assez claire, à partir de la crise sanitaire, suivie de la crise énergétique », observe Raul Sampognaro, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).

Les finances publiques des Etats du sud de l’Europe « structurellement plus saines » après la crise sanitaire

« Ce ne sont pas les crises en soi qui expliquent cette divergence. Des pays comme l’Espagne, l’Italie, et le Portugal ont fait des ajustements massifs pendant la crise de la zone euro [en 2011, ndlr]. Quelque part, leurs finances publiques étaient structurellement plus saines, quand le quoi qu’il en coûte s’est arrêté », explique Raul Sampognaro. Autre singularité en France, pointée dans les études de l’OFCE : la France a continué à alléger la fiscalité en pleine tempête, ce qui a contribué à creuser le déficit. Le plan de relance en France a notamment installé une baisse des impôts de production de 10 milliards d’euros par an.

Les réformes structurelles dans les pays d’Europe du Sud se sont par ailleurs accompagnées par la suite de plans de relance, qui ont participé à booster leur croissance. « L’Italie ces dernières années a battu tous les records en termes d’investissements. Il y a eu un super bonus sur la rénovation énergétique, qui était financé par des fonds européens », rappelle l’économiste Raul Sampognaro. Là aussi, les écarts de taux de croissance expliquent pourquoi la dette française a poursuivi son envolée, en points de PIB. Selon la Commission européenne, l’Espagne pourrait connaître cette année une croissance de 2,6 %, le Portugal de 1,8 %, et l’Italie 0,7 %, à peine supérieur à la prévision de la France (0,6 %).

5 membres de la zone euro avec une dette plus importante qu’en France en 2018, seulement 2 en 2025

Si bien qu’aujourd’hui, la France est désormais l’objet de toutes les craintes dans la zone euro. L’an dernier, selon les statistiques européennes, seulement deux pays avaient un endettement supérieur à la France : la Grèce (153,6 % du PIB) et l’Italie (135,3 % du PIB). « Ce n’est pas le podium dont on rêve pour la France », commentait cette semaine le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. En 2018, l’endettement de l’Espagne, du Portugal, ou encore de Chypre étaient encore plus importants proportionnellement qu’en France. Aujourd’hui, la France est le pays de la zone euro avec le déficit public le plus élevé.

C’est ce contexte de divergence avec ses partenaires européens, que le futur gouvernement, dont on attend toujours la nomination, va devoir proposer un projet de budget pour réduire le déficit, attendu à 5,4 % cette année selon la dernière loi de finances. Or, selon Raul Sampognaro, la France aborde l’exercice avec trois fragilités, par rapport à d’autres pays. « Le solde structurel est plus dégradé qu’ailleurs. À conjoncture équivalente, il faut faire plus d’efforts qu’ailleurs. Il faut faire un ajustement de l’ordre de trois points pour stabiliser la dette dans les prochaines années », explique-t-il. Il ajoute que la fragmentation politique rend aussi « difficile la construction d’un plan budgétaire pluriannuelle ».

Le chercheur spécialisé en économie internationale identifie un dernier casse-tête. « Les discours publics sur la dette se sont construits avec l’idée qu’il fallait épargner l’armée, la justice, la sécurité, l’hôpital, l’éducation. Plus on ferme d’outils de correction, plus l’ajustement sur les outils restants est brutal. D’autres disent que l’effort doit se faire par une taxe sur les plus riches. Aujourd’hui, la France doit se mettre dans l’idée que le pas est tellement important qu’il faudra panacher sur une multiplicité d’outils. »

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