Fitch avait placé la France en sursis en mars dernier, quelques semaines après la fin d’un examen agité des textes budgétaires au Parlement. L’agence de notation financière doit désormais rendre son verdict ce vendredi soir concernant la note souveraine de la France ce 12 décembre, en fin de soirée. Au printemps, elle avait décidé de maintenir le « AA- » de l’Hexagone, tout en l’assortissant d’une perspective négative, la porte ouverte à une nouvelle dégradation potentielle. Dans des termes plus parlants, ce serait le passage d’un 17/20 à un 16/20, au niveau de la sécurité financière et de solvabilité.
« La logique voudrait qu’il y ait un abaissement de la note »
Plusieurs observateurs estiment qu’une nouvelle dégradation, si elle devait intervenir, relèverait d’un « non-évènement ». Outre un symbole malvenu pour le nouveau Premier ministre, le passage à A +, l’échelon inférieur, poserait toutefois de nouveaux enjeux, à la différence des précédentes rétrogradations. La perte d’un AA-, dernière note dans la catégorie des titres de dette de « haute qualité », placerait la France dans un autre type de panier dit de « qualité moyenne supérieure », ce qui ne serait pas sans conséquences.
Les observateurs se tiennent prêts à tous les scénarios. « Si l’on s’en tient à la situation politique, avec le manque de stabilité et de visibilité, et à la réalité économique et budgétaire, avec des recettes fiscales qui diminuent et des dépenses qui augmentent, des gouvernements qui n’arrivent pas à mener des politiques structurelles depuis la dissolution, la logique voudrait qu’il y ait un abaissement de la note, ce ne serait pas scandaleux », résume Andréa Tueni responsable des activités de marché chez Saxo Banque France.
« Il y a également des arguments contraires assez simples », nuance l’analyste. Fitch Ratings est la plus petite des trois plus importantes agences de notation, derrière Standard & Poor’s et Moody’s, qui rendront leur avis respectivement les 28 novembre et 24 octobre prochains, en plein débat budgétaire. « Fitch est rarement la première à dégainer, elle pourrait prendre son temps, d’autant qu’on a un nouveau Premier ministre. Elle peut se mettre dans une position de wait and see », poursuit-il. D’autant que les récentes données de l’Insee, publiées hier, laissent apparaître une certaine résistance de l’économie française : la croissance est désormais attendue à 0,8 % (au lieu des 0,6 % anticipés avant l’été). Le taux de chômage devrait lui s’établir à 7,6 % contre 7,5 % aujourd’hui. Une hausse plus modérée que celle anticipée par les dernières prévisions (7,7 %).
« Les marchés donnent déjà une notation implicite plus basse que AA- »
Dans les faits, les opérateurs de marché ont déjà tiré un trait sur la lente dégradation de la sécurité des emprunts français. Depuis la fin du mois d’août, le taux des emprunts d’État français à 10 ans oscille autour de 3,5 %, alors qu’il était sous les 3 % avant la dissolution de juin 2024. L’écart avec le taux allemand s’est également creusé, atteignant entre 0,7 et 0,8 point de pourcentage. La différence avec le taux italien s’est effacée. « Le marché ne traite plus la France comme un double A, il considère qu’il y a déjà eu une dégradation de facto. Les agences sont ne sont pas là pour être rapides, proactives, elles ont tendances à entériner un état de fait, une fois qu’elles ont suffisamment d’informations », nous indiquait il y a quelques jours, Stéphane Déo, gestionnaire de portefeuille senior, à Eleva Capital.
« On a des marchés qui donnent déjà une notation implicite plus basse que AA-. On est plutôt aujourd’hui sur des taux qui refléteraient une note autour d’un BBB », observe Andréa Tueni. « Il peut néanmoins y avoir une volonté des investisseurs de ne pas porter une position durant le week-end. Il peut y avoir un effet volatilité ».
Une perte du AA-, dernière note de la catégorie « haute qualité »,
L’éventuel passage de AA- à A + pourrait par ailleurs, occasionner des mouvements de la part de certains opérateurs, en raison d’un changement de catégorie pour les bons du trésor français. Ceux-ci, en cas de dégradation, glisseraient de la catégorie « haute qualité » à celle de la « qualité moyenne supérieure ».
« On est aux portes de passer en A +, c’est une vraie problématique. Les banques et les assureurs qui détiennent des obligations sont obligés, de par les règles prudentielles, de provisionner davantage. Il y aura des arbitrages négatifs qui se font au détriment de la France, les provisions vous ne pouvez rien en faire », nous indique Anthony Morlet-Lavidalie, économiste à l’institut Rexecode (Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises). Le changement de catégorie de la France pourrait avoir, par ricochet, d’autres effets sur les titres de dettes d’autres États actuellement notés simple A. « Il y a des effets de reports qui se jouent, sur les autres pays », ajoute l’économiste.
« Quand on passe en dessous de certaines catégories, certains investisseurs ne pourraient plus ajouter de la dette française à leur programme, et devraient sortir ces titres. Il pourrait y avoir moins de demande, et des arbitrages de fonds, déjà investis sur la dette française, qui voudraient s’en délester », anticipe Andréa Tueni de Saxo Banque.
On le voit, une nouvelle dégradation de la note française serait une conséquence de la situation budgétaire, qui n’a toujours pas été redressée, malgré plusieurs avertissements. Fitch a abaissé la note souveraine de la France pour la dernière fois en avril 2023, en la faisant passer de AA à AA-. Elle avait estimé à l’époque que les objectifs de réduction budgétaire étaient « de plus en plus hors de portée ». C’était avant deux années de mauvaises nouvelles sur le front du déficit. La France a perdu la note la plus élevée, son fameux triple A, en 2012, à l’issue des dérapages budgétaires qui ont suivi la crise financière et économique de 2008-2009.
À l’heure actuelle, 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu’ils ont, pour la plupart d’entre eux, des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8 % du PIB de déficit public et 113 % du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024. « Il y a une complaisance, pour le moment, de la part des principales agences de notation, qui ont laissé le temps à la France, pour se mettre à niveau. C’est une incohérence qui devra être corrigée », s’attend Andréa Tueni. Le risque le plus probable, selon lui, pour la France, « c’est de se maintenir sur des taux d’emprunt élevés, plutôt qu’une explosion à la hausse ».