Dette : quelles seraient les conséquences d’une nouvelle dégradation de la note financière de la France par les agences ?
Crédit : Yassine Mahjoub / SIPA / 2503191821

Dette : quelles seraient les conséquences d’une nouvelle dégradation de la note financière de la France par les agences de notation ?

L’agence de notation Fitch doit publier sa décision dans les prochaines heures sur la note souveraine de la France. Elle est la première des plus importantes agences à communiquer cet automne. La perte du « double A », si elle intervenait, reléguerait la France dans une catégorie inférieure.
Guillaume Jacquot

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Fitch avait placé la France en sursis en mars dernier, quelques semaines après la fin d’un examen agité des textes budgétaires au Parlement. L’agence de notation financière doit désormais rendre son verdict ce vendredi soir concernant la note souveraine de la France ce 12 décembre, en fin de soirée. Au printemps, elle avait décidé de maintenir le « AA- » de l’Hexagone, tout en l’assortissant d’une perspective négative, la porte ouverte à une nouvelle dégradation potentielle. Dans des termes plus parlants, ce serait le passage d’un 17/20 à un 16/20, au niveau de la sécurité financière et de solvabilité.

« La logique voudrait qu’il y ait un abaissement de la note »

Plusieurs observateurs estiment qu’une nouvelle dégradation, si elle devait intervenir, relèverait d’un « non-évènement ». Outre un symbole malvenu pour le nouveau Premier ministre, le passage à A +, l’échelon inférieur, poserait toutefois de nouveaux enjeux, à la différence des précédentes rétrogradations. La perte d’un AA-, dernière note dans la catégorie des titres de dette de « haute qualité », placerait la France dans un autre type de panier dit de « qualité moyenne supérieure », ce qui ne serait pas sans conséquences.

Les observateurs se tiennent prêts à tous les scénarios. « Si l’on s’en tient à la situation politique, avec le manque de stabilité et de visibilité, et à la réalité économique et budgétaire, avec des recettes fiscales qui diminuent et des dépenses qui augmentent, des gouvernements qui n’arrivent pas à mener des politiques structurelles depuis la dissolution, la logique voudrait qu’il y ait un abaissement de la note, ce ne serait pas scandaleux », résume Andréa Tueni responsable des activités de marché chez Saxo Banque France.

« Il y a également des arguments contraires assez simples », nuance l’analyste. Fitch Ratings est la plus petite des trois plus importantes agences de notation, derrière Standard & Poor’s et Moody’s, qui rendront leur avis respectivement les 28 novembre et 24 octobre prochains, en plein débat budgétaire. « Fitch est rarement la première à dégainer, elle pourrait prendre son temps, d’autant qu’on a un nouveau Premier ministre. Elle peut se mettre dans une position de wait and see », poursuit-il. D’autant que les récentes données de l’Insee, publiées hier, laissent apparaître une certaine résistance de l’économie française : la croissance est désormais attendue à 0,8 % (au lieu des 0,6 % anticipés avant l’été). Le taux de chômage devrait lui s’établir à 7,6 % contre 7,5 % aujourd’hui. Une hausse plus modérée que celle anticipée par les dernières prévisions (7,7 %).

« Les marchés donnent déjà une notation implicite plus basse que AA- »

Dans les faits, les opérateurs de marché ont déjà tiré un trait sur la lente dégradation de la sécurité des emprunts français. Depuis la fin du mois d’août, le taux des emprunts d’État français à 10 ans oscille autour de 3,5 %, alors qu’il était sous les 3 % avant la dissolution de juin 2024. L’écart avec le taux allemand s’est également creusé, atteignant entre 0,7 et 0,8 point de pourcentage. La différence avec le taux italien s’est effacée. « Le marché ne traite plus la France comme un double A, il considère qu’il y a déjà eu une dégradation de facto. Les agences sont ne sont pas là pour être rapides, proactives, elles ont tendances à entériner un état de fait, une fois qu’elles ont suffisamment d’informations », nous indiquait il y a quelques jours, Stéphane Déo, gestionnaire de portefeuille senior, à Eleva Capital.

« On a des marchés qui donnent déjà une notation implicite plus basse que AA-. On est plutôt aujourd’hui sur des taux qui refléteraient une note autour d’un BBB », observe Andréa Tueni. « Il peut néanmoins y avoir une volonté des investisseurs de ne pas porter une position durant le week-end. Il peut y avoir un effet volatilité ».

Une perte du AA-, dernière note de la catégorie « haute qualité »,

L’éventuel passage de AA- à A + pourrait par ailleurs, occasionner des mouvements de la part de certains opérateurs, en raison d’un changement de catégorie pour les bons du trésor français. Ceux-ci, en cas de dégradation, glisseraient de la catégorie « haute qualité » à celle de la « qualité moyenne supérieure ».

« On est aux portes de passer en A +, c’est une vraie problématique. Les banques et les assureurs qui détiennent des obligations sont obligés, de par les règles prudentielles, de provisionner davantage. Il y aura des arbitrages négatifs qui se font au détriment de la France, les provisions vous ne pouvez rien en faire », nous indique Anthony Morlet-Lavidalie, économiste à l’institut Rexecode (Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises). Le changement de catégorie de la France pourrait avoir, par ricochet, d’autres effets sur les titres de dettes d’autres États actuellement notés simple A. « Il y a des effets de reports qui se jouent, sur les autres pays », ajoute l’économiste.

« Quand on passe en dessous de certaines catégories, certains investisseurs ne pourraient plus ajouter de la dette française à leur programme, et devraient sortir ces titres. Il pourrait y avoir moins de demande, et des arbitrages de fonds, déjà investis sur la dette française, qui voudraient s’en délester », anticipe Andréa Tueni de Saxo Banque.

On le voit, une nouvelle dégradation de la note française serait une conséquence de la situation budgétaire, qui n’a toujours pas été redressée, malgré plusieurs avertissements. Fitch a abaissé la note souveraine de la France pour la dernière fois en avril 2023, en la faisant passer de AA à AA-. Elle avait estimé à l’époque que les objectifs de réduction budgétaire étaient « de plus en plus hors de portée ». C’était avant deux années de mauvaises nouvelles sur le front du déficit. La France a perdu la note la plus élevée, son fameux triple A, en 2012, à l’issue des dérapages budgétaires qui ont suivi la crise financière et économique de 2008-2009.

À l’heure actuelle, 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu’ils ont, pour la plupart d’entre eux, des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8 % du PIB de déficit public et 113 % du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024. « Il y a une complaisance, pour le moment, de la part des principales agences de notation, qui ont laissé le temps à la France, pour se mettre à niveau. C’est une incohérence qui devra être corrigée », s’attend Andréa Tueni. Le risque le plus probable, selon lui, pour la France, « c’est de se maintenir sur des taux d’emprunt élevés, plutôt qu’une explosion à la hausse ».

Partager cet article

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

À l’occasion de la journée d’actions du mouvement Bloquons tout, le 10 septembre, une personne tient une pancarte pour dénoncer la situation actuelle du pays et propose de mettre en place une taxation des riches. Crédits : SIPA
9min

Économie

Taxe Zucman : quels sont les arguments pour, et les arguments contre ?

L’idée d’une taxe sur les plus hauts patrimoines obsède le débat politique à l’approche des échéances budgétaires. En juin dernier, le Sénat a voté contre l’instauration d’un impôt plancher de 2% sur les fortunes de plus de 100 millions d’euros. Dans l’hémicycle, les échanges ont illustré des clivages idéologiques profonds sur les outils à privilégier pour réduire l’endettement public.

Le

Fraudes CumCum : « J’espère que c’est la véritable fin de ces phénomènes », réagit Jean-François Husson, après une décision de justice
4min

Économie

Fraudes CumCum : « J’espère que c’est la véritable fin de ces phénomènes », réagit Jean-François Husson, après une décision de justice

Le rapporteur général de la commission des finances du Sénat (LR) se félicite de l’accord trouvé entre le Crédit agricole et le Parquet national financier. L’établissement bancaire accepte de payer 88 millions d’euros, en échange de l’abandon des poursuites. Comme d’autres grandes banques, elle était poursuivie dans l’affaire des CumCum, ces fraudes aux arbitrages de dividendes.

Le

Ateliers de l’usine Petit Bateau à Troyes.
7min

Économie

Petit Bateau devient américain : Bonpoint, Carambar, LU, Doliprane … ces marques emblématiques passées sous pavillon étranger

Lancée en 1920, la marque de vêtements pour enfants Petit Bateau est rachetée par le groupe Regent, déjà propriétaire de DIM. Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses marques tricolores sont tombées entre les mains de multinationales étrangères, souvent américaines ou asiatiques. Ces rachats interrogent sur la fragilité de la réindustrialisation française, également illustrée par la vente de grands fleurons industriels, souvent au cœur de véritables feuilletons politico-économiques.

Le

Remontée des taux d’emprunts de la France : « La situation est encore gérable, elle le sera moins dans un ou deux ans »
7min

Économie

Remontée des taux d’emprunts de la France : « La situation est encore gérable, elle le sera moins dans un ou deux ans »

En pleine incertitude politique, le taux des obligations françaises est revenu à des niveaux jamais observés depuis 14 ans et la crise des dettes souveraines de la zone euro. Une remontée qui s’accompagne d’autres indicateurs préoccupants pour la France, mais dont les effets sur le coût de la dette se feront ressentir au long cours.

Le