Le flottement politique qui s’est installé depuis le résultat des législatives, et l’absence de majorité au palais Bourbon, n’est pas du goût des entreprises. Peu adeptes du brouillard, ces acteurs ont besoin de visibilité et de prévisibilité. Cela s’est ressenti dans les allées de l’université d’été du Medef ce 26 août à Paris, à l’hippodrome Longchamp. Sept dirigeants sur dix estiment d’ailleurs que l’incertitude politique va pénaliser durablement la situation économique du pays, selon une enquête réalisée pour CCI France, La Tribune et LCI.
Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, une multitude de questions se sont posées. Les médias se sont arraché les constitutionnalistes, pour éclairer le public sur chaque scénario possible à l’issue de l’élection. Les universitaires, les spécialistes des rouages institutionnels, les observateurs avisés de la vie parlementaire ont aussi parfois reçu d’autres coups de téléphone plus inhabituels au cours de l’été, provenant de la sphère économique.
Des détenteurs de dette française en « perdaient leur latin »
« La dissolution a créé une situation d’instabilité et de préoccupation sur les fonctionnements du régime politique français, auprès d’entités économiques et d’investisseurs », raconte Denis Baranger, professeur de droit public à Paris II Panthéon Assas. « Les gens qui m’ont questionné ne comprenaient pas comment fonctionne le système politique, et qui aurait le pouvoir en cas d’absence de gagnant. Ils souhaitaient également des clarifications au sujet du vote du budget, mais aussi de l’évolution de la dette souveraine », énumère-t-il.
Comme les citoyens, les acteurs économiques ou financiers se mettent en quête de réponses au fur et à mesure de la campagne des législatives, des enquêtes d’opinion, et plus encore après les résultats du premier tour. « J’ai eu l’impression que la dissolution était un tremblement de terre. Généralement, les gens qui sont investis dans la dette souveraine d’un pays connaissent bien son fonctionnement. L’information qu’ils détenaient, c’était une Ve République présentée comme un régime stable, avec éventuellement une variante qui était la cohabitation. Là, on avait un scénario qui n’était ni majorité, ni cohabitation. Les gens en perdaient leur latin », témoigne le constitutionnaliste.
Un autre universitaire nous confie avoir été contacté avant le double scrutin des législatives par des associations professionnelles et des sociétés d’assurance. « Les questions tournaient autour de l’organisation des pouvoirs en cas de cohabitation, et sur la possibilité qu’aurait un gouvernement RN à appliquer son programme, et Emmanuel Macron de l’en empêcher. » Un cabinet de conseil était également à la recherche d’une expertise après les résultats des élections, avec en ligne de mire, le projet de loi de finances.
« Ils se demandaient quel pouvait être l’impact sur leur secteur »
« Il y a une forme d’inquiétude, c’est évident. Ce n’est pas tant sur l’absence d’un budget car ils ont rapidement compris que le shutdown est une situation théorique très improbable en France. Ils se demandent plutôt quels peuvent être les impacts sur leur secteur, ou les marges de manœuvre du gouvernement », développe cet enseignant en droit constitutionnel.
Et quand ce n’était par téléphone, d’autres ont été appelés à intervenir dans de cadre de conférences, à la demande d’organisations professionnelles ou patronales. Anne-Charlène Bezzina s’est par exemple livrée une fois à l’exercice. Elle raconte le type de questionnements de son auditoire. « C’était sur les craintes soulevées par l’entre-deux-tours, sur la stabilité de la Ve République, mais aussi de la France in extenso. » Ce type d’évènement témoigne du besoin de comprendre et de se projeter de la part des entrepreneurs et des chefs d’entreprise. Cette maîtresse de conférences des Universités en droit public à l’Université de Rouen y voit d’ailleurs le signe que la spécialité du droit constitutionnel est en train de s’ouvrir au grand public. « On se préoccupe, en tant que citoyen, de la question de la solidité de cette Constitution, comment le Parlement va travailler, comment le budget va être voté. La Constitution peut être un guide dans ces moments. »
Dans l’ouest parisien, les ambassades ont également été très friandes cet été des éléments d’analyses et des connaissances des constitutionnalistes. Des conseillers politiques officiant pour le compte de représentants de pays européens et asiatiques devaient actualiser en temps réel leurs rapports, pour leurs différentes capitales dont ils dépendent. « Ils transmettent à leur ministère une analyse politique du pays, pour ensuite déterminer les prises de position, faire de la prospective. Avec une question clé : savoir quel sera leur interlocuteur », relaye un constitutionnaliste, approché avant le résultat des législatives.
« Il y a des risques politiques qui peuvent être repricés en Europe »
Avec la tenue des Jeux olympiques et la pause estivale, les sollicitations en tout genre ont drastiquement diminué. « Ça s’est bien calmé », note Denis Baranger. Ce qui ne veut pas dire que les craintes se sont dissipées, ou que toutes les questions ont été épuisées. En plein mois d’août, un stratégiste d’une banque d’investissement a contacté un journaliste couvrant les débats parlementaires, pour être au fait de la mécanique des projets de loi de finance, et des cas de figure possibles dans une Assemblée nationale imprévisible. Une façon de mieux appréhender les mouvements futurs sur le marché des devises ou de la dette souveraine.
« Il y a des risques politiques qui peuvent être repricés [réévalués, ndlr] en Europe. Des gens voient des incertitudes pour la France », nous explique cet analyste basé dans une grande place financière européenne. D’autant qu’un autre État fort de la zone euro, l’Allemagne, est aussi apparu comme fragilisé en juillet en raison des divisions de la coalition au pouvoir sur la préparation du budget fédéral.