Donald Trump a-t-il profité et fait profiter ses proches de la tempête boursière qu’il a lui-même déclenchée avec la hausse sur les droits de douane américains, avant d’opérer une volte-face inattendue ? Les soubresauts des grandes places financières ces derniers jours ont de quoi donner le vertige. Mercredi, à l’annonce d’une pause de 90 jours sur les tarifs douaniers supplémentaires imposés par Washington, l’indice Nasdaq, qui regroupe de nombreuses entreprises du secteur de la tech, clôturait en hausse de 12,16 %, du jamais vu depuis 2001. En quatre jours, ce même indice avait dévissé d’autant après le déclenchement par la Maison Blanche de ce qui pourrait s’apparenter à une guerre commerciale contre une dizaine de pays.
Wall Street a de nouveau fini en net recul jeudi, avec notamment un Nasdaq plombé à 4,31 %, en raison du maintien du bras de fer avec la Chine, que Washington a choisi de surtaxer à 145 %. Pour autant, les changements de pied des derniers jours ont soulevé de vives suspicions chez les adversaires de Donald Trump, qui reprochent au milliardaire d’avoir utilisé cette situation pour favoriser certaines opérations boursières, en dépit des réglementations.
Les démocrates multiplient les accusations
« Le président des États-Unis participe à la plus grande manipulation de marché au monde », ont accusé sur le réseau social X les démocrates qui siègent au sein de la commission des services financiers de la Chambre des représentants, l’équivalent de notre Assemblée nationale. « Si ce n’est pas de la manipulation de marché, qu’est-ce que c’est ? Qui en profite ? Quel milliardaire vient de s’enrichir ? C’est quoi ce bordel ! », s’est scandalisé l’élu démocrate Steven Horsford lors d’une audition mouvementée de Jamieson Greer, le représentant du commerce américain. « Nous essayons de réinitialiser le système commercial mondial », a tenté de défendre ce dernier. La séquence est devenue virale.
Sur son compte X, le sénateur démocrate de Californie Adam Schiff va même jusqu’à parler de « délit d’initié » et appelle le Congrès à ouvrir une enquête. Au cœur de la polémique, l’un des tweets de Donald Trump : « C’EST LE MOMENT D’ACHETER », posté sur son réseau social Truth mercredi après-midi, lorsque Wall Street était au plus bas. Un message interprété par certains comme une injonction à ses soutiens, alors qu’il s’apprêtait, quelques heures plus tard, à annoncer une pause de 90 jours sur les surtarifications, faisant aussitôt remonter les cours.
Sur les réseaux sociaux, d’aucuns pointent la très forte augmentation des volumes d’échange sur le Nasdaq, juste avant la nouvelle annonce de Donald Trump. Plusieurs médias évoquent aussi le cas de Marjorie Taylor Greene, une élue de Géorgie réputée proche de Donald Trump. Elle aurait acheté ces derniers jours de nombreuses actions à bas prix, notamment chez Lululemon, Dell Technologies ou encore Apple, – les élus américains sont tenus de déclarer ce type d’acquisition -, là aussi, juste avant que le président ne rétropédale.
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« C’est tellement gros que cela paraît assez peu probable »
Le délit d’initié consiste à utiliser une information privilégiée sur l’évolution des marchés pour réaliser une opération boursière. Par exemple : apprendre par un tiers qu’une entreprise cotée en Bourse s’apprête à publier de mauvais résultats, et vendre ses actions avant que celles-ci ne baissent. Dans le cas de Donald Trump, les accusations sont alimentées par le fait que l’ancien magnat de l’immobilier a fait rentrer dans ses équipes de nombreux dirigeants d’entreprises, eux-mêmes milliardaires ou millionnaires, à commencer par Elon Musk, le patron de Tesla et SpaceX. Mais aussi Howard Lutnick, président de la banque d’investissement Cantor Fitzgerald devenu secrétaire au commerce, ou encore Scott Bessent, gestionnaire de fonds spéculatif nommé au Trésor. L’Agence France-Press évoque également un entretien qui aurait eu lieu dans la journée de mercredi, entre le locataire de la Maison Blanche et Charles Schwab, fondateur d’une célèbre société de courtage.
« Je crois cette hypothèse possible, à partir du moment où Donald Trump ne jure que par le mercantilisme absolu, pourquoi ne pas imaginer qu’effectivement, après tout, il souhaiterait en faire croquer des amis ou des partenaires en interne ? », relève au micro de Public Sénat Frédéric Encel, docteur en géopolitique et enseignant à Sciences Po Paris. Rappelons toutefois que le camp démocrate, à l’origine de ses accusations, compte lui aussi dans ses rangs de nombreux dirigeants d’entreprises et des grandes fortunes. En outre, la spéculation est une pratique rependue outre-Atlantique, puisqu’une partie des Américains s’appuie sur les fonds de pension pour garantir leur retraite.
« Evidemment, le délit d’initié m’a traversé l’esprit, mais c’est tellement gros que cela paraît assez peu probable », sourit Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM. « Le délit d’initié se traduit en règle générale par des volumes extrêmement importants, et qui sont assez difficiles à cacher. Il implique d’investir certains montants pour être rentable, et dans ce cas vous rentrez aussitôt dans le radar des autorités de contrôle », explique-t-il.
D’autant qu’il existe de nombreux garde-fous : « La SEC n’a pas réagi, nous n’avons aucune information en ce sens pour le moment », pointe Christopher Dembik. Acronyme de Securities and Exchange Commission, la SEC est l’organisme américain de régulation des marchés. Créé en réponse au krach de 1929, il est chargé de faire appliquer le droit des marchés, et de protéger les actionnaires contre les pratiques abusives.
Le président américain contraint par le marché de la dette
Donald Trump a fait ses annonces alors que les marchés étaient encore ouverts, alors que ce type de déclarations se fait d’usage lorsqu’ils sont fermés, précisément pour limiter la déstabilisation. « Le marché obligataire était au bord du krach. Vous aviez des centaines de milliards qui allaient être débouclés, il n’avait plus le choix », pointe Christopher Dembick. Le marché obligataire est celui sur lequel les grandes entreprises et les Etats se financent par création de titres de dettes. Généralement, lorsque la Bourse entre dans une zone de turbulences, la demande pour les obligations souveraines augmente car elles sont considérées comme des valeurs refuges. Mais cette semaine, une partie des investisseurs ont également voulu se débarrasser de ces actifs, signe des très vives inquiétudes soulevées par la politique économique erratique de Donald Trump.
Mercredi, la vente éclair de bons du Trésor américain a fait dangereusement remonter les intérêts de la dette américaine, ce qui a pu donner quelques sueurs froides à l’exécutif américain. « Il est de la responsabilité du président des États-Unis de rassurer les marchés et les Américains sur leur sécurité économique face à la campagne de peur incessante des médias. », a voulu déminer auprès du Washington Post Kush Desai, l’un des responsables press de la Maison Blanche.
« Si le délit d’initié paraît peu probable, on pourrait en revanche parler de ‘manipulation des marchés’. Mais nous sommes sur quelque chose d’extrêmement difficile à démontrer », note Christopher Dembik. Ainsi, le milliardaire aurait sciemment alimenté le chaos pour faire descendre d’un cran les cours. « Tout le monde sait que le marché américain, au moins depuis le début de l’année, est devenu trop cher. Or, si vous voulez que les investisseurs reviennent, il faut que le marché baisse ». Un scenario qui comporte de nombreuses inconnues, mais qui viendrait servir la croisade du Républicain pour ramener « ventre à terre » les usines au pays de l’Oncle Sam.