Trump souffle le chaud et le froid. Après avoir imposé à tous les pays des droits de douane, parfois exorbitants, le président américain suspend ses attaques commerciales et les ramène à 10 %, le temps de négocier, sauf pour la chine. Une volte-face dont il commence à nous habituer. « Finalement, sa parole perd de plus en plus de crédit. Derrière, il y aura une perte de confiance envers les Etats-Unis pour les entreprises européennes », analyse Stéphanie Villers, conseillère économique du cabinet de conseil, PwC France. « Donald Trump, en allant en force, est en train de détruire ce beau modèle américain, ce territoire qui était considéré comme business friendly », ajoute l’économiste. Mais « tout ça n’est peut-être pas aussi dévastateur pour l’économie européenne » au final, pense Stéphanie Villers, avec peut-être une baisse des taux d’intérêt, si l’arrivée de produits chinois entraîne une baisse de l’inflation. Entretien.
Donald Trump a fait volte-face sur les droits de douane. Ils sont finalement ramenés à 10 % pendant 90 jours, sauf pour la Chine. Comment interpréter cette décision ?
C’est encore un nouveau signe de son imprévisibilité. Et surtout, c’est la pression des marchés financiers en général, car la bourse s’est fortement dégradée aux Etats-Unis et a entraîné avec elle la hausse des taux d’intérêt américains. Et ça, c’est une très mauvaise nouvelle pour Donald Trump. Car on sait que les Etats-Unis sont très endettés, que ce soit l’Etat ou les ménages, donc ça signifie de nouvelles hausses de taux, une nouvelle difficulté à pouvoir financer la dette américaine, et pour les Américains de continuer à vivre à crédit. De plus, les marchés boursiers sont en chute. Les Américains détiennent des fonds de pension pour financer leur retraite, donc c’est un effet de richesse négatif, qui joue sur le moral des Américains.
Trump ressort-il de cette séquence en position de force, car il obtient ce qu’il voulait avec des Etats prêts à négocier, ou est-ce son premier recul important ?
Là, il perd en crédibilité. Et surtout, vis-à-vis du reste du monde, sa parole est de plus en plus questionnée. Car il revient très facilement sur ce qu’il a annoncé. Il avait dit que c’était non négociable. Et finalement sa parole perd de plus en plus de crédit. Derrière, il y aura une perte de confiance envers les Etats-Unis pour les entreprises européennes ou chinoises. La confiance va véritablement se contracter. Et en économie, la confiance fait beaucoup de choses. Ça s’est vu au travers de la hausse des taux d’intérêt. Les bons du trésor étaient une valeur refuge pour des retraités qui ont massivement des fonds de pension. Mais l’action des banques centrales chinoises et japonaises est en train de remettre en cause ce que représentaient les Etats-Unis jusqu’à présent, à savoir la première puissance, considérée comme une zone stable et sécurisée.
Sa décision d’augmenter les droits de douane pour faire pression pouvait-elle avoir un sens économique ?
Ça n’a pas de sens économique dans le sens où ça n’améliore pas la croissance. C’est plutôt le libre-échange qui améliore la croissance et la croissance globale. Après, on peut dire que la protection d’un secteur qui monte en puissance nécessite un protectionnisme temporaire, pour permettre à un domaine de pouvoir se développer, sans être contrarié par une concurrence, qu’elle soit déloyale ou pas. Mais l’histoire nous a montré que le protectionnisme n’a jamais amené une croissance.
Les niveaux de droits de douane ne sont pas absorbables par sa population. Ça ferait trop monter les prix et entachera le pouvoir d’achat des Américains. Et la consommation, c’est 70 % du PIB américain. On peut déjà dire qu’il ne pourra pas maintenir des droits de douane à hauteur de 125 % comme il l’a annoncé avec la Chine. Ce n’est pas absorbable. Il dit qu’il attend que la Chine négocie. Mais les Etats-Unis ont besoin aussi de négocier. La réalité économique et financière est vite revenue à l’esprit, peut-être pas de Trump, mais peut être de tous ses conseillers.
Mais cela ne peut-il pas pousser les entreprises à relocaliser, comme il l’espère ?
Ce n’est pas la même temporalité. L’idée de contraindre les entreprises, dans un système néolibéral, ça paraît un peu ubuesque comme postulat. On est dans un système capitaliste libéral. Donc on ne peut pas, par la contrainte, forcer les entreprises à venir produire sur un territoire. Donc ce rapport de force qu’il a mis en place n’est pas pour moi une méthode qui porte pour réindustrialiser. Car les entreprises étrangères sont dans l’attentisme total. Elles ne peuvent pas se projeter par rapport à l’imprévisibilité de Trump, alors que Joe Biden avait créé un cadre assez attractif. Des entreprises européennes voyaient les Etats-Unis comme un nouvel Eldorado, avec une énergie trois ou quatre fois moins chère qu’en Europe, un territoire peu réglementé. Donald Trump, en allant en force, est en train de détruire ce beau modèle américain, ce territoire qui était considéré comme business friendly.
Les Européens ont-ils été malins de ne pas tout de suite surréagir, ou ont-ils montré leur faiblesse ?
Comment avoir un point de vue, tant la réaction de Trump est arrivée de manière totalement impromptue ? On n’est plus dans le rationnel là. Trump est en train vraiment de déstructurer le commerce mondial et il est en train de créer un désordre international qui est très inquiétant. Donc je ne peux pas prononcer un jugement, car c’est trop rapide. Quelle peut être la réponse européenne face au comportement épileptique de Trump ? Quel crédit porter à sa décision ? Il a détruit les règles du jeu sans en définir les nouvelles, on navigue totalement à vue en réalité.
Pour l’heure, l’Union européenne suspend sa riposte. Cela permet-il au moins la fin de l’escalade ?
Ce qui est sûr, c’est que rien n’est sûr du côté de Trump, car désormais il faut intégrer ce nouveau paramètre de l’imprévisibilité. Et c’est une suspension pour 90 jours, ça va donner lieu à des négociations. Il ne faut pas oublier de noter le mépris que Trump et son équipe ont eu à l’encontre de l’Union européenne. On est dans un autre monde en fait, où tous nos repères ont explosé. On fait bien de suspendre la riposte, mais l’attitude de Trump et de son gouvernement est quand même inquiétante. On m’aurait dit que ça arriverait un jour, j’aurais dit que ce n’est pas possible. Ce qui est sûr, c’est que les Etats-Unis, à cause de la politique de Trump, ne constitue plus des partenaires fiables.
La guerre commerciale avec la Chine continue pour l’heure. Trump a porté la surtaxe à 125 %, accusant Pékin de « manque de respect ». Si aucun accord n’est trouvé, quelles en seront les conséquences ?
Ça n’en restera pas là. Mais les deux puissances sont dans un vrai rapport de force. La Chine risque de vouloir trouver d’autres débouchés pour ses produits et l’Union européenne est une zone attractive pour les produits chinois. Donc il s’agira pour Union européenne de ne pas se faire inonder par les produits chinois qui n’ont pas pu être vendus aux Etats-Unis. Mais la Chine et l’Union ont décidé de se réunir pour évoquer ce sujet.
Pour autant, on entre dans une séquence qui peut être intéressante, car cette redistribution des cartes par Donald Trump fait que les produits chinois, qui vont arriver en Europe, posent certes un problème de compétition pour nos produits, mais amènent aussi l’inflation à diminuer ou à se stabiliser. Ce qui va donc amener la BCE à fléchir ses taux directeurs. Des taux d’intérêt plus faibles, c’est très intéressant pour la zone euro, qui a intérêt à investir dans sa défense et différents secteurs. Et en France, compte tenu de notre niveau de dette, c’est toujours bon à prendre. Tout ça n’est peut-être pas aussi dévastateur pour l’économie européenne, si tant est que les pays de l’Union européenne souhaitent continuer à intensifier leurs échanges intra zone euro. Je rappelle quand même que les exportations européennes vers les Etats-Unis, c’est juste 8 % des exportations, et 65 %, c’est l’exportation intra zone. C’était le but de l’Union européenne, de créer une vaste zone de libre-échange, pour moins dépendre du reste du monde.