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Émeutes : commerces pillés, bâtiments publics dégradés et voitures incendiées, qui va payer les dégâts ?

Après six nuits de tensions dans toute la France suite au décès de Nahel à Nanterre, les assureurs commencent à faire les comptes. Bruno Le Maire, samedi, a exhorté le secteur à raccourcir les délais d’indemnisations. Des sénateurs communistes proposent d’apporter des réponses « exceptionnelles ».
Thomas Fraisse

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« Inexcusables, inqualifiables et intolérables ». Trois mots forts choisis par le ministre de l’Économie et des Finances pour qualifier, samedi lors d’un point presse, l’ensemble de destructions volontaires de commerces et de véhicules. En marge des tensions apparues ces six derniers jours après la mort du jeune Nanterrien Nahel, mardi dernier, plus de 2 000 véhicules ont été détruits chaque nuit ainsi que près de 700 commerces pillés et saccagés en moins d’une semaine. Les bâtiments publics, symboles de l’État, ont également été pris d’assaut, notamment des écoles, des mairies ou encore des centres d’impôts, qui ont été soit incendiés, soit dégradés.

Alors que les manifestations des Gilets Jaunes, entre 2018 et 2019, ont entraîné presque 250 millions d’euros de dégâts et 204 millions d’euros en ce qui concerne les émeutes en 2005 débutées à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), les prévisions des tensions observées cette semaine tableraient déjà sur un montant supérieur. Pour Bruno Le Maire, il serait encore « trop tôt » pour chiffrer l’entièreté des dégâts.

Toutefois, la question des indemnisations se pose déjà. Selon le code des assurances, les personnes victimes d’un sinistre n’ont que cinq jours pour déclarer la valeur de leur perte. Le sénateur communiste des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias, domicilié dans la ville de Bagneux, complète : « Il faut qu’il y ait un dépôt de plainte auprès d’un commissariat. Or, en ce moment, les forces de police sont sur le terrain ». Ainsi, face à l’ampleur des dégâts qui se profile, « les services de police et les assurances auront du mal à traiter toutes les demandes dans les délais », souffle le sénateur.

Qui paye quoi ?

Les commerçants doivent faire les comptes de leur préjudice pour en informer leur assureur dans les plus brefs délais. Selon le ministère de l’Économie et des Finances, entre « 90 à 95% des commerçants sont couverts par des assurances sinistres et dégâts ». Ainsi, les incendies, vols et les dégâts seront dans la grande majorité des cas indemnisés. Pour les autres dommages, qui ne seraient pas couverts, les commerçants peuvent, selon le code de la sécurité intérieure, se retourner contre l’État « civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis (…) par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés ». Par ailleurs, la plus grosse déconvenue pour les commerces se matérialise au sein des « pertes d’exploitation ». Selon France Assureurs, la fédération du secteur, seulement un peu plus d’une enseigne sur deux sont assurées contre ces pertes, c’est-à-dire le gain manqué d’un établissement en raison de sa fermeture.

L’indemnisation d’un incendie d’un véhicule, de nature accidentelle ou malveillante n’est que facultative. Pour les personnes ayant souscrit à une assurance dite « tous risques » pour leur véhicule, elles bénéficieront d’une indemnisation complète du dégât. Pour ceux qui n’ont pas souscrit à cette assurance, ni à la garantie incendie, le dégât ne peut être indemnisé. « Si vous avez un véhicule, qui vous est utile mais qu’il est assuré au tier et au minimum, c’est-à-dire sans les garanties incendies, vous perdez l’usage total d’un véhicule du jour au lendemain alors que vous n’avez rien demandé à personne », complète Jean-François Husson, sénateur LR de Meurthe-et-Moselle et ancien agent d’assurance. Une dernière subtilité vient parachever le fonctionnement des assurances, notamment automobiles : les franchises. Autrement appelé reste à charge, les franchises caractérisent le montant d’un sinistre qui n’est pas pris en charge par l’assureur après la déclaration d’un sinistre et dont le remboursement reste donc à la charge du sinistré. Sans avoir les chiffres exacts des contrats d’assurance en France, l’État assure tout de même que les franchises « se retrouvent dans la plupart des contrats d’assurance ».

En ce qui concerne les bâtiments publics, chaque collectivité territoriale – des mairies aux régions – peuvent souscrire leur patrimoine immobilier à l’assurance « dommage aux biens ». Celle-ci permet aux collectivités de protéger leurs bâtiments contre un risque de vandalisme ou d’incendie. Une assurance, qui ne permettra pourtant pas de couvrir tous les frais de réhabilitation des services publics dans les plus brefs délais. Au Palais du Luxembourg, les sénateurs sont tous d’accords pour que l’État vienne au chevet des collectivités. Pour Patrick Chaize, sénateur LR de l’Ain et membre de la commission des affaires économiques, l’État devrait mettre sur la table une enveloppe « qui permette d’indemniser les communes, dont les bâtiments publics ont été vandalisés ». « C’est normal », juge-t-il. Même son de cloche pour son collègue communiste Pierre Ouzoulias. « On va demander aux villes la remise en ordre de ces bâtiments, sous peine d’abandonner la vie locale et leurs services publics. Sans fonds, ce ne sera pas possible ».

« Les indemnisations doivent arriver le plus vite possible »

Après la théorie, dans la pratique les indemnisations prennent beaucoup de temps. C’est pourquoi, samedi lors du point presse organisé par Bercy, Bruno Le Maire s’est adressé directement aux assureurs pour les exhorter à simplifier et à raccourcir les délais d’indemnisations. « Nous avons demandé aux assureurs de faire preuve de la plus grande simplicité dans le traitement des procédures. Un appel suffit, ou un mail, ou un SMS ! », s’est exclamé le Ministre. Il ajoute : « Les indemnisations doivent arriver le plus vite possible, dans des délais qui doivent se chiffrer en jours et pas en semaines ». De plus, Bruno Le Maire a avancé également sa volonté de réduire la franchise des sinistrés au « maximum », c’est-à-dire le reste à charge de la victime après que l’indemnisation ait été effectivement versée. Le Ministre assure que France Assureurs, la fédération de la profession, aurait « pris des engagements formels d’étudier la possibilité de réduire les franchises ». « La mesure la plus urgente, ce serait d’augmenter le délai de déclaration. Il faudrait que les assurances l’acceptent », avance Pierre Ouzoulias. Pour le sénateur des Hauts-de-Seine, cinq jours est un laps de temps beaucoup trop court pour déclarer un sinistre. Justement cette mesure fait aussi partie des mesures qu’envisage le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire.

« Quand le pouvoir politique prend la parole pour donner quasiment des consignes, inviter à une mobilisation hors norme, il y a toujours une question à se poser : pourquoi ne pas parler d’une seule voix ? », s’offusque Jean-François Husson. « Plutôt que d’exhorter à aller au-delà des règles contractuelles, il faudrait travailler avec le secteur pour arrêter des principes. Entre émeutes, pillages, vandalisme, incendie, il y a des garanties diverses et multiples. Les cas sont nombreux. La moindre des choses serait de partir sur le principe d’un dialogue entre l’État et les assureurs ». Dans une situation jugée exceptionnelle, le sénateur LR souhaite ne pas imposer des règles arbitraires à des assureurs privés, qui ont d’ailleurs la possibilité de ne pas les respecter. En 1999, Jean-François Husson se rappelle d’une tempête, qui avait entraîné une discussion entre les assureurs et le gouvernement – alors que le sénateur travaillait dans un cabinet d’assurances – et qui avait permis de déroger pour ce sinistre aux modalités contractuelles d’indemnisations.

De l’autre côté de l’hémicycle, le doute a également envahi le groupe communiste après le discours de Bruno Le Maire. Pour Fabien Gay, sénateur communiste de Seine-Saint-Denis, les assureurs ne respecteront jamais les règles imposées par le gouvernement. « Il y a de belles déclarations de Bruno Le Maire. Il a propension à demander aux assureurs privés, qui ont eux-mêmes propension à ne pas lui répondre ». Thierry Marx, chef deux étoiles et président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), a également évoqué cette incertitude au micro de RMC. « Les annonces sont toujours des annonces, (…) mais il va falloir après traiter directement avec les assurances, simplifier les procédures, c’est encore autre chose ».

Légiférer cette situation exceptionnelle ?

« Soit on légifère en décidant que face à une situation inédite que l’État mette un fonds, soit on reste au bon vouloir des assurances privées », martèle Fabien Gay. Si l’État ne peut pas imposer de règles sous peine de braquer les assureurs, le Parlement pourrait le faire. C’est en tout cas la réflexion menée par le sénateur communiste membre de la commission des affaires économiques. « Face à une situation exceptionnelle, il faut inventer des réponses elles aussi exceptionnelles. Il faut un fonds créé abondé à 50 ou 60 % par les assurances privées »

Une proposition qui n’a pas lieu d’être pour Jean-François Husson. « Il faut arrêter de tout vouloir légiférer. On peut très bien convenir que par un accord, on puisse par dialogue déroger aux conditions de franchise et d’indemnités. Il n’y a pas de nécessité de légiférer ». Par contre, lui aussi préconise l’instauration d’un fonds ou d’un « livret de compte commun », qui sera négocié lors de potentielles rencontres entre les commissions des affaires économiques des deux assemblées, les professionnels, les syndicats et le gouvernement, afin que l’État dans des situation exceptionnelles participent à la couverture des dégâts.

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